Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Diaboliquement charmeur et charismatique, Burna Boy, star nigériane de l’afrobeats, a fait irruption sur la scène mondiale en 2018 avec une flopée de tubes irrésistibles extraits de son troisième album, Outside. Et grâce à ses récompenses aux Grammys et aux BET Awards, il a pu consolider son statut dans une industrie musicale internationale très compétitive.
Avant de rencontrer un succès international, confirmé par son dernier album Love, Damini (2022), Burna a passé des années à expérimenter différents sons à Londres et en Afrique du Sud et son style vocal inspiré du ragga est devenu unique.
En 2014, sa collaboration sur la chanson contagieuse de AKA, un pilier du hip-hop sud-africain, All Eyes on Me l’a d’abord fait connaître en Afrique. Son hook enflammé sur ce titre plusieurs fois primé a fait toute la différence et démontré qu’il était un artiste à suivre, canalisant les influences musicales de l’Afrique de l’Ouest et de la Jamaïque.
Bien qu’il ait été jugé talentueux par ses pairs du hip-hop sud-africain, son éclat est resté quelque peu voilé. Il a donc fallu qu’il retourne dans son pays natal, le Nigeria, pour atteindre le niveau de succès auquel il aspirait manifestement : récompenses, tournées mondiales et relations professionnelles de premier ordre étaient au rendez-vous.
Bien qu’il se soit révélé dans un tourbillon, en combinant de manière énigmatique des styles de chant et des influences diverses, Burna Boy est, du moins pour le moment, devenu un artiste grand public, un acteur complaisant sur les bords de l’industrie musicale commerciale. (Il en est de même pour la plupart des stars actuelles de l’afrobeats, même si l’on peut choisir d’ignorer cette vérité faustienne.)
Sur l’album Love, Damini (l’artiste est né sous le nom de Damini Ebunoluwa Ogulu), Burna dégage juste ce qu’il faut de prémonition et d’intrigue palpables pour rester crédible en tant qu’artiste. Mais quelle part d’originalité lui reste-t-il ? Pour trouver les réponses à cette question, il faut peut-être se pencher sur ses influences musicales.
Repérer ses influences
Il est difficile de ne pas succomber à ces hits de dancefloor tels que Soke, Ye, et On the Low, tous produits avant que Burna Boy ne remporte un Grammy en 2021 avec son cinquième album, Twice as Tall (2020).
Burna Boy - Ye
Dans la plupart de ces chansons, l’influence de Fela Kuti est évidente grâce à des samples et à la reprise sans équivoque de divers hooks. Pour beaucoup, il semblait que Burna était l’héritier présumé de Kuti.
Dès la fin des années 1960, le musicien et chanteur nigérian Fela Kuti, accompagné de ses incroyables orchestres, a été le pionnier, presque à lui seul, d’un genre appelé Afrobeat. Ce son incorpore une dimension panafricaine forte, des paroles complexes en appels et réponses, ainsi que de lourds tambours ouest-africains agrémentés de riffs jazz et funk séduisants. L’afrobeats de nos jours est un terme générique désignant une version plus conviviale et commerciale que l’Afrobeat de Kuti. (ndlr #AuxSons voir l’article « Afrobeats : méfiez-vous du S ! » sur les différences entre afrobeat et afrobeats)
Les références de Burna Boy à Kuti apparaissent irréprochables. Son grand-père maternel, l’animateur radio et amateur de jazz Benson Idonije, était le manager de Kuti dans les années 1960. Dans une interview, la mère et manager de Burna, la femme d’affaires Bose Ogulu, aurait même déclaré que Kuti était comme un parrain pour elle.
Depuis ses années d’études au Royaume-Uni, Burna a également été influencé par le ragga, le dub et le grime. Bien que les bases de ces genres aient été posées principalement en Jamaïque, elles ont trouvé de nouvelles voies de création sur les scènes musicales urbaines du Royaume-Uni. Le résultat s’est traduit par le succès Rock your Body de Burna en 2017.
Burna Boy - Rock your Body
Avant même la sortie de Love, Damini, Burna Boy avait réussi à mélanger ses diverses expériences culturelles et sonores en un puissant cocktail auditif.
Burna ne s’est pas contenté de piocher dans le son jamaïcain. Il a également adopté le style du mauvais garçon, avec des histoires de coups de feu tirés par des agents de sécurité privés. Des allégations de viol ont aussi assombri son aura déjà menaçante.
Des façons de peser Burna
Manifestement, Burna entendait se faire le porte-parole d’une génération d’afropolitains agitée et en plein essor. Il ne pouvait en être autrement après avoir été nourri au régime du panafricanisme d’inspiration Kuti et de résistance néocoloniale. D’aucuns s’entendraient pour dire que c’est une lourde tâche pour un public et une génération captivés par la gratification instantanée.
Puis il a trouvé une mine d’or musicale avec son mélange éclectique de rythmes ouest-africains, de grooves de la jungle antillaise et l’omniprésence du hip-hop. Burna a un jour décrit ce mélange comme une « pizza pepperoni » dont la pâte serait l’Afrobeat de Kuti. Cette recette n’a rien d’exceptionnel, mais l’élément clé se trouve dans sa propre combinaison gagnante d’ingrédients, associée à une personnalité détonante. Bien sûr, on peut aussi méditer sur sa surprenante maîtrise du sampling.
Il a déclaré que son style de musique est un nouveau genre appelé afrofusion. C’est sans doute une façon de tirer parti d’un nouveau succès pour mieux l’exploiter. Une façon de se distinguer de la foule grouillante d’aspirants de l’afrobeats.
Pour les non-initiés, le son de Burna Boy est du pur génie. Mais pour ceux qui connaissent bien Kuti, le parrain jamaïcain du dub, Lee « Scratch » Perry, et les genres similaires de « toasting » caribéens (chant lyrique sur de la musique dancehall), tout cela a un air de déjà-vu.
Il y a différentes façons de peser Burna. Si on le place face à Kuti, Perry et les grands noms du dub, on peut dire qu’il est un poids plume. Mais dans notre époque Instagrammée, photographiée et reproduite à l’infini, il est un géant hérissé de substance, de menace créative et de signification à décoder.
Les racines solides de l’Afrobeat, du hip-hop, du ragga, du grime, de la drum “n” bass et des sons liés au dub ont fait éclore Burna. Il n’y a guère d’autres racines aussi profondes que celles-ci. Jusqu’à présent, son travail a principalement consisté à traduire et à reconfigurer ces sons chargés de jungle pour un public de masse.
À cet égard, il est un véhicule fidèle, un vecteur de grooves mijotés, purs et quasi spirituels. Par moments, il n’est même pas certain que Burna reconnaisse la profondeur de ce qu’il canalise. Si c’était le cas, il ne serait pas aussi désireux de collaborer avec toutes les stars de la musique qui apparaissent sur la scène.
Les paroles de Burna dans des tubes comme Last Last (2022) sont pleines de blasphèmes, d’inanités et de rimes absurdes qui sonnent bien aux oreilles, surtout si vous ne comprenez pas le pidgin ouest-africain. C’est un autre aspect de son travail qui peut être assez déconcertant ; les oscillations soudaines entre le sens et le non-sens, entre la gravité pseudo-philosophique et la puérilité pure et simple.
Burna Boy - Last Last
Les dollars coulent à flots
Burna a récemment lancé une opération pour connaître un succès encore plus grand. Il suffit de voir ses collaborations très médiatisées avec des musiciens américains comme Pop Smoke et Beyoncé, des stars de la pop britannique comme Sam Smith, Ed Sheeran et Stormzy ou le chanteur nigérian Wizkid.
Déjà, certains de ses succès commencent à sonner un peu laborieux, trop ou pas assez réfléchis. Mais peut-être cela n’a-t-il guère d’importance tant que les dollars, les marques et les invitations aux festivals continuent d’affluer. De nos jours dans l’industrie musicale, c’est tout ce qui compte. Burna Boy a conquis le monde tout en conservant son aura menaçante, mais on ignore encore ce qu’il reste de sa véritable âme créatrice.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.