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Fela Kuti By United Souls © tous droits réservés
Fela Kuti vu par United Souls - © tous droits réservés

Ce que Fela Kuti a à voir avec la popularité grandissante de la musique ouest-africaine

Cet article a été rédigé pour The Conversation et a été publié par Music In Africa, #AuxSons l’a traduit et publié dans le cadre d’un partenariat média. 

Merci à United Souls pour le magnifique visuel !

 

En avril 2022, les Grammy Awards ont comptabilisé un nombre record d’artistes nominés africains, et notamment d’Afrique de l’Ouest - Angelique Kidjo (Bénin), Rocky Dawuni (Ghana), Femi Kuti, Made Kuti, Wizkid, Burna Boy et Tems (Nigeria). 

La plupart de ces artistes sont également des adeptes de l’afrobeat (Femi et Made Kuti, suivant la forme musicale et politique définie par Fela Kuti) ou de l’afrobeats nouvelle mouture (Wizkid, Burna Boy et Tems). Angélique Kidjo, elle aussi, a admis être influencée par Fela. 

À l’instar de l’afrobeat, l’afrobeats est une musique caractérisée par des grooves harmoniques et mélodiques, des refrains faits d’appel et de réponse, et des syncopes (rythmes interrompus) complexes. Mais l’afrobeats est plus commercial, plus adapté à la radio et souvent politiquement vide - facilement assimilable par le grand public. 

Il y a eu de nombreuses conversations sur les différences et les similitudes entre l’afrobeat et l’afrobeats, (ndlr #AuxSons, voir le focus « Afrobeats : méfiez-vous du S !  ») Mais il est aussi intéressant d’interroger les lignes de rencontre entre les deux genres, et d’observer la diffusion de l’héritage de Fela sous des formes variées, avec ses nombreux héritiers qui lui rendent hommage par leurs samples ou une imitation pure et simple. 

 

La dynastie Kuti

La domination de Fela sur la scène musicale s’est étendue sur les années 1970 et 1980. Après son incarcération par les autorités militaires nigérianes en 1984, son fils Femi a progressivement commencé à s’imposer sur le plan musical. Femi est décidément plus afrobeat old school que afrobeats new school. Il a longtemps été sous la tutelle musicale de Fela et a travaillé pour se faire sa propre place artistique, mais il sera toujours considéré avant tout comme un musicien afrobeat.

Femi, visuellement et politiquement parlant, est un pari beaucoup plus sûr que son père. Il a évité les controverses et s’est associé à une grande variété de musiciens américains accomplis dans le monde entier, tels que le pianiste Randy Weston, le rappeur Mos Def et la chanteuse Macy Gray, entre autres collaborations remarquables. Fela ne s’est jamais coulé dans le moule en raison de ses compositions peu commerciales, de sa nature controversée et de son caractère carrément rebelle. Mais personne ne mettait en doute son génie musical. À bien des égards, il est irrévocablement lié au modèle classique de l’afrobeat en termes d’acuité lyrique, de conscience politique, de définition esthétique et de curiosité spirituelle.

Mádé Kuti - Free Your Mind

 

Au départ, Femi a peut-être été tenté de s’approprier le titre d’héritier de l’afrobeat et s’est peut-être laissé aller. Mais il n’est jamais sage d’essayer d’imiter Fela. Ce qui est possible et judicieux, c’est de tenter d’assimiler des parties de son vaste héritage plutôt que sa totalité. Et c’est précisément ce que font les stars actuelles de l’afrobeats. 

Made, le fils de Femi et petit-fils de Fela, est plus éloigné de l’influence dominante de son grand-père et peut donc explorer son vaste héritage musical à son propre rythme et avec beaucoup moins de pression extérieure. Pourtant, Made est toujours étroitement lié à son père, et la musique, et non la politique controversée, est ce qui le motive essentiellemen

Si Femi et Made représentent la vieille garde de l’afrobeat et un héritage toujours croissant dans la musique nigériane, Wizkid, Burna Boy et Tems représentent la nouvelle école.

 

La nouvelle école 

Les liens entre Burna Boy et la dynastie Kuti sont également profonds. Son grand-père maternel, Benson Idonije, célèbre animateur et amateur de jazz, était le manager de Fela dans les années 1960. Fela lui-même a été animateur jusqu’à ce qu’il décide de se lancer à plein temps dans l’industrie musicale. Il existe une vidéo de la mère de Burna, Bose, dansant sur scène sous un Fela torse nu, faisant partie de l’entourage tentaculaire de Fela. 

Burna Boy a samplé de nombreuses chansons de Fela - comme Soke et Y’e - et il ne cache pas sa dette envers le maestro. La vision socio-politique de Burna, ses cadences et son flux musical sont directement inspirés de Fela. 

Burna Boy - Soke

 

Wizkid, quant à lui, est un peu plus circonspect dans son sampling de morceaux de Fela. Mais son plus grand succès, Joro, qui approche les 200 millions de vues sur YouTube, est sans doute dérivé du refrain « Joro jara joro » de la célèbre chanson incendiaire de Fela, Zombie. Wizkid a également collaboré avec Femi plus tôt dans sa carrière, comme s’il recherchait un authentique imprimatur afrobeat.

Wizkid - Joro

Fela Kuti - Zombie

Tems, la plus jeune parmi les nominés 2022 aux Grammys, est probablement la moins directement influencée par l’afrobeat de Fela. Elle est plus redevable au R&B et à la musique soul des États-Unis. Sa voix profonde et sensuelle est combinée à un style et à une ambiance qui tendent vers le look afrocentrique de l’afrobeat. Mais il y a beaucoup d’autres artistes dans les coulisses, qui aspirent à devenir des vedettes de l’afrobeat - parmi eux Rema, Buju, Joeboy, Omah Lay, Fireboy DML, Olakira, CkayJaywillz et Asake. 

 

La culture des célébrités 

C’est ici que l’afrobeat diffère de l’afrobeats. Fela fuyait le matérialisme grossier et avait une mentalité à la « Robin des Bois » dans la distribution de sa richesse personnelle. Il évitait les flexions consuméristes des stars de la pop d’aujourd’hui. 

Burna Boy s’est finalement imposé comme un artiste mature. Son dernier album, Twice as Tall, politiquement conscient et récompensé par un Grammy Award, s’élève contre le colonialisme, l’oppression mondiale et le racisme. Mais le style de vie et les valeurs personnelles de Burna disent autre chose. Il est fasciné par les chaînes et les colliers flamboyants, les Lamborghinis, les femmes-objet et autres signes distinctifs de la culture hip-hop, tout en essayant d’entretenir sa mystique d’artiste sérieux. Il a été difficile à trouver lorsque les jeunes manifestants de #EndSARS au Nigeria ont récemment eu besoin de la voix de célébrités locales pour soutenir leur cause. 

Wizkid n’a pas de grandes prétentions. Ses principales préoccupations, que l’on retrouve dans son dernier album, Made In Lagos, sont les belles filles, les affaires de coeur, la domination des pistes de danse et le statut de célébrité de premier plan. 

 

Des croisements massifs

L’afrobeats n’est plus confiné au Nigeria, au Ghana ou à la seule Afrique de l’Ouest. Des artistes d’Afrique australe, du Rwanda, du Royaume-Uni et d’Europe ont tous été touchés par le style. 

L’acceptation mondiale de l’afrobeats peut être perçue à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a les collaborations de la superstar Beyoncé avec Wizkid, Burna, Tiwa Savage et Yemi Alade sur son album Black Is King. Justin Bieber a été très heureux de participer au remix du tube mondial de Wizkid, Essence. Il faut aussi penser aux collaborations de Burna avec Sam Smith, Stormzy, Pop Smoke et Jorja Smith. Ou encore la collaboration de Fireboy DML avec Ed Sheeran, Peru, qui a fait fureur dans les charts. 

En effet, ces croisements massifs racontent une histoire sans équivoque : l’afrobeats a acquis une légitimité mondiale parce qu’il apporte un style et une saveur uniques à une scène musicale autrement blasée, et les racines de ce style remontent à Fela Kuti. 

 

Cet article a été rédigé pour The Conversation et a été publié par Music In Africa, #AuxSons l’a traduit et publié dans le cadre d’un partenariat média. Merci à United Souls pour le magnifique visuel !

 

 

Sanya Osha

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Sanya Osha est titulaire d'un doctorat en philosophie et a enseigné cette discipline dans des universités nigérianes pendant une décennie. Il a publié de nombreux ouvrages sur l'anthropologie, les études culturelles, les systèmes de connaissance de l'Afrique, la politique de la région ouest-africaine et les réalités sociopolitiques et culturelles de l'Afrique australe. Il a entrepris des recherches approfondies sur le statut discursif des systèmes de connaissance africains. Il a également passé une décennie à étudier et à enseigner l'aspect sociologique et politique des études sur les innovations. En tant qu'universitaire, il a occupé des postes de recherche au Smith College aux États-Unis, à l'université de Groningue et au Centre d'études africaines aux Pays-Bas, ainsi qu'en Afrique du Sud, à l'université de KwaZulu-Natal, à l'université d'Afrique du Sud et à l'Institut pour l'Afrique du Sud. À l'Institut des sciences humaines en Afrique, il travaille sur divers aspects du projet "On Being Human" et sur le renforcement de la branche publications et du profil de l'institut.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Postethnophilosophie (2011) et Dust, Spittle and Wind (2011), An Underground Colony of Summer Bees (2012) et Ken Saro-Wiwa's Shadow (Expanded Edition)(2021).

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