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Cocanha : Caroline Dufau et Lila Fraysse à La Flèche d'Or-Paris 2020 © B.M.
- Cocanha : Caroline Dufau et Lila Fraysse à La Flèche d'Or-Paris 2020 © B.M.

Evolutions et révolutions en Pays d’Oc - épisode 3 : Au-delà des frontières, machines, pop et parité.

 

Aujourd’hui, les amateurs de musique ne sont que rarement des auditeurs obsédés par un seul style. Les musiciens de Pays d’Oc n’échappent pas à la règle, ils s’intéressent aussi bien aux traditions de leur culture, qu’à celles du reste du monde, comme aux musiques dites vivantes ou qui explorent les ressources des nouvelles technologies. Conscients et engagés, ils inventent et vont plus loin.

 

Traditions du monde

Comme Massilia Sound System, les Fabulous Trobadors, le Cór de la Plana ou l’iconoclaste Varois Miquèu Montanaro qui, armé de son chant et de son fifre, ne cesse de parcourir le monde à la recherche de dialogues interculturels depuis le milieu des années 70, de nombreux musiciens des Pays d’Oc amplifient leurs expressions musicales d’autres traditions.

 

 

Guillaume Lopez et Bijan Chemirani

 

Le chanteur flûtiste toulousain Guillaume Lopez a démarré son association avec l’accordéoniste Cyrille Brotto à l’époque où se sont formés Artús ou Lo Cór de la Plana. Le duo évolue dans l’univers du baleti, le bal des Pays d’Oc, mais leur musique convie des éléments exogènes.

Guillaume Lopez, qui possède un bagage de conservatoire classique, a commencé à apprendre la langue d’Oc au lycée. Son oncle Xavier Vidal, musicien et ethnomusicologue, lui offre alors un fifre ce qui le plonge dans l’univers traditionnel. Ses racines familiales étant aussi espagnoles, son identité est multiple : « Ce qui me plaît avec ce bagage de chez moi, c’est qu’il est une monnaie d’échange pour des dialogues avec d’autres cultures au Maroc, en Argentine ou même en Chine. »

Après 20 ans de compagnonnage, le Duo Brotto-Lopez s’est interrompu en 2020 pour permettre à chacun de se nourrir d’autres rencontres. Cyrille Lopez a formé un duo avec le griot et joueur de kora sénégalais Ablaye Cissoko. Guillaume Lopez finalise actuellement un projet en compagnie du contrebassiste et manipulateur de samples Louis Navarro et du percussionniste de tradition perse et joueur de saz passionné de musiques anatoliennes Bijan Chemirani.

Guillaume Lopez y chante en langue d’Oc, français ou espagnol ses textes et ceux d’autres amis (Eric Fraj, Alem Garcia ou Fredo des Orges de Barback.)

A Montpellier le collectif Grail’Oli chante en créole, castillan, catalan, portugais ou français, armé de hautbois, trompes et percussions. Un petit peu plus loin à l’Ouest à l’Avérune, le jeune trio Raffut conjugue  musiques locales, guitares psychédélique et rythmes du forró brésilien. Du côté de Carcasonne et autour des ex Du Bartas, Abdel Bouzbiba et Jocelyn Papon, le collectif Fraires Sawa (frères égaux) marient musiques de carnaval des pays d’oc et transe des musiques du Maghreb. Et la liste est loin d’être exhaustive.

 

Trad’ augmenté : La Nòvia

Dans les dernières décennies, la solide tradition du bal auvergnat a largement ouvert ses pratiques à d’autres façons de penser la musique.

 

L’adaptation pour instruments traditionnels et effets électroniques du In C de Terry Riley, pièce emblématique des courants dits minimalistes ou répétitifs américains, la drone trance du groupe France, (Yann Gourdon, Jérémie Sauvage et Mathieu Tilly) ou les oratorios atmosphériques de Jéricho (Antoine Cognet, Clément Gauthier, Jacques Puech, Yann Gourdon) ont été créés au sein du collectif La Nòvia.

Basé au Puy en Velay en Haute Loire, La Nòvia est composée d’artistes résidant sur un large territoire national, mais principalement en Auvergne. Le collectif se définit comme « un lieu de réflexion et d’expérimentation autour des musiques traditionnelles et/ou expérimentales. »

Particularité que confirme Jordan Saisset musicien, journaliste et membre du CIRDOC : « La Nòvia a réussi à parler à des institutions des musiques contemporaines. Avant c’était un peu “on danse la bourrée c’est ringard“ et comme pour certains la musique contemporaine c’est l’ultra modernité, ça a fait du bien pour l’image de ces musiques. Ils restent aussi en prise avec le local. Ils font aussi des bals trad’, on ne peut pas les mettre dans des cases. »

Membres de la Nòvia, Jacques Puech et d’Ernest Bergez (Sourdure) illustrent cet état d’esprit. Ils se sont rencontrés en 2009 au CESDM (Conservatoire national supérieur musique et danse) de Lyon. A cette époque Jacques, virtuose de la cornemuse auvergnate cabrette, venait du monde traditionnel et commençait à s’intéresser aux musiques électroniques. Ernest était dans une démarche exactement inverse. Jacques Puech se souvient : « A force de discuter en groupe on s’est dit qu’on avait 2-3 trucs à se raconter. »

Jacques Puech : « La Nòvia a été créée la même année par le groupe Toad. Le guitariste Guilhem Lacroux, le joueur de vièle à roue Yann Gourdon et le souffleur de cornemuse Pierre-Vincent Fortunier voulaient monter une nouvelle création du répertoire de Virginie Granouillet (1878-1962), une dentellière illettrée. » Pour aller au bout de leurs idées ils ont fait le même constat qu’Artus * : « Ils se disaient qu’ils avaient besoin de se professionnaliser de se payer un peu plus. » Comme Sirventès, La Nòvia s’est organisés en collectif. Au trio de base se sont agrégés d’autres musiciens et entre eux les combinaisons se sont multipliées.

Troad

 

Ernest Bergez est le plus souvent le sorcier sonore en charge des enregistrements de la Nòvia et développe de son côté le projet Sourdure. Il y agrège avec bonheur les traditions auvergnates, les cultures électroniques, comme des éléments venus du Maghreb, d’Asie ou d’ailleurs.

Son nom d’artiste signale son esprit ludique : « Sourdure c’est assez interrogatif, ça ressemble à des mots qui existent, mais ça n’en est pas un. Du coup il a acquis une sorte d’existence tangente. L’idée était de signaler ce rapport joueur avec la langue. »1

Après avoir manié, à travers les années et au fil d’une poignée de disques de plus en plus remarqués, ses chansons en français et d’autres de répertoires vernaculaires, son apprentissage de la langue d’Oc est arrivée à un degré suffisant pour lui permettre de se l’approprier. Ses textes originaux apparaissent dans Sourdurent, conjugaison et élargissement à quatre de son concept avec Jacques Puech, Elisa Trébouville (chant, banjo et fifres) et Loup Uberto, (chant, percussions et gumbri).

Sourdurent

 

Comme Sourdurent, Superparquet a assimilé en temps réel les musiques de bal et la culture rave. Ses membres se sont aussi rencontrés à Lyon, mais au Cefedem (Centre de Formation des Enseignants de la Musique). Louis Jacques (voix et cabrette), Julien Baratay (voix, machines et bourdons électriques) et Simon Drouhin (boîte à bourdon électrique et effets) ont ensuite été rejoint par Antoine Cognet, (joueur de banjo membre de la Nòvia). Leur musique emprunte à ces deux univers, mais en évite les clichés pour approfondir un son personnel, dansant et original qui séduit le circuit des musiques électroniques et des musiques dites actuelles.

Super Parquet 

 

Micromusique et parité

A Arles, le courant alternatif et lowfi de la micromusique rencontre les traditions provençales. Ce style souterrain réunit des musiciens bricoleurs fous qui utilisent des jouets électroniques comme les gameboys et autres objets sonores détournés. Elle s’entend dans plusieurs projets des très actifs Henri Maquet (multi instrumentiste) et Emmanuelle Aymés (chanteuse guitariste et co-signataire du livre Micromusique et ludismes régressifs depuis 2000) : Leur duo Butor Stellaris, le solo d’Henri Delta Sonic, Maqqx son dialogue avec le joueur de cornemuse Maxence Camelin ou Cacho Fio, trio du couple et de la chanteuse et percussionniste Audrey Peinadot augmentent leurs relectures des traditions d’oc de machines et de principes de la micromusique.

 

 

En utilisant des appareils souvent issus de technologie obsolètes, il ne s’agit pas d’un seul souci esthétique mais d’énoncer aussi un point de vue sur le monde qui nous entoure. Henri Maquet : « On veut sauver la planète, avoir une vie plus tournée vers la nature avec des questionnements environnementaux, mais on a aussi des vies plus numériques.2 »

La culture occitane, l’écologie, et le numérique ne sont pas leurs seuls engagements. Malavalisc, anciennement Diga Men Diga, le duo d’Emmanuelle et Virginie Becamel (chant, percussions et flûtes) explore un répertoire de chants de collectages et de créations de chansons sur les sorcières où l’aspect féministe est intrinsèque. 3

 

L’enjeu de la parité

La place des femmes dans les cultures des pays d’Oc n’est pas davantage en parité que dans d’autres musiques, mais elle est en augmentation.

A travers les années des personnalités fortes ont laissés des traces importantes ou déterminantes dans l’histoire qui nous occupe. L’Ariègeoise Rosina de Pèira (1933-2019) et sa fille Martina ont marqué les années 70, Marilis Orioanaa, née à Aix en Provence d’une famille béarnaise, a rayonné deux décennies plus tard. Dans les années 90 depuis Toulouse, dans le sillage des Fabulous Trobadors, les Femmouzes T. le duo de Rita Macedo et Françoise Chapuis (disparue quelques jours après la mise en ligne de ce focus)  ont valorisés une tradition modernisée des femmes troubadours.

Femmouzes T.

 

Dans les années 2000 en parallèle des incontournables La Mal Coiffée, de nombreux autres chœurs féminins à durée de vie inégales ont vues le jour D’autres carrières y ont pris racines comme l’exemplaire chanteuse et tambourinaire provençales Guylaine Renaud, qui après sa participation Gacha Empega et El Hillal a multiplié des propositions inédites, croisant à l’occasion d’autres grands noms des traditions française comme le maître du chant basque Beñat Achiary.

La Mal Coiffée - Pim Pam !

 

Aujourd’hui ce sont des femmes qui occupent les postes clés dans la gestion de structures comme Sirventés ou La Nòvia et la densité de chanteuses et musiciennes augmente. Soutenue par Hart Brut, avec Tal Coal, Maud Herrera défend un inventif solo voix, alto et percussions à cordes ou pédestres. Au coeur de La Nòvia, Perrine Bourel et Mana Serrano développent le duo Les Violoneuses.

Tal Coal - Trabalh En Talh

 

 

Ce ne sont que des exemples mais les Toulounaises du duo Cocanha sont l’une des formations les plus séduisantes de toute la scène Oc.

Trio devenu duo après le départ vers d’autres aventures plus francophones de Lolita Delmonteil-Ayral, Cocanha accorde avec magnificence et force la beauté des timbres et des rythmes tirées de tambourins à cordes, ce qu’un mariage vocal tout en Oc complète.

Lila Fraysse et Caroline Dufau se sont bien trouvées (à Toulouse). Ces deux musiciennes sont épanouies, Lila poursuit d’autres projets dont Choc Gaz’l où elle chante derrière sa batterie, Caroline est aussi conteuse, biais par lequel elle transmet la langue.

Lila Frayse : « Avec Cocahna, ça n’a pas été un combat de s’imposer.. Nous sommes deux femmes qui faisons tout nous mêmes, personne ne nous dit ce que l’on doit faire. Mais des femmes qui chantent en occitan ça ne bouscule personne. Avec Choc Gaz’l, j’entends parfois des réflexions du type : “Ah y’a une meuf à la batterie !“ Ce n’est pas une difficulté dans mon parcours. Avec Cocanha prendre cette place sur scène et être en représentation nous a beaucoup interrogé. Dans le féminisme, nous avons trouvé beaucoup de questions qui nous ont aidées à nous situer, à trouver la force d’être sur scène et d’y être bien. Notre travail sur les paroles est lié à ça, on ne peut pas continuer à chanter des chants traditionnels souvent misogynes et on a réadapté le répertoire pour être en accord et fières de le porter. »

Cocanha - Colorina De Ròsa

 

Fascinantes sur scène, elles le sont aussi sur l’album Puput, produit en 2020 par le génial musicien et producteur catalan Raül Refree4. Lila raconte : « J’avais écouté le disque qu’il a fait avec Rosalia. Je trouvais son travail sur le son, le mixage et la spatialisation très fin alors qu’il y avait peu de choses. Avec Cocanha nous cultivons aussi le minimalisme. Je pensais qu’il saurait quoi faire avec seulement nos tambourins et nos trois voix et ça n’a pas loupé. »

 

Pop et Oc

Los Angeles a mis Rosalia sur orbite. Avec ce premier album Refree4 lui a offert un écrin pour poser son approche personnelle du flamenco et transmis suffisamment de confiance en elle pour qu’elle développe son univers qui a trouvé depuis une portée internationale. Produit par la Barcelonaise et le musicien-producteur El Guincho, le concept album El Mal Querer a proposé un détonant mix de flamenco, RnB, hip-hop et influences latino qui a séduit le globe. Il y a pourtant un point qui a totalement échappé aux français et qui nous ramène à la culture des pays d’Oc.

Jordan Saisset : « La source des chansons de “El Mal Querer” est un roman érotique occitan du XIIème siècle écrit en Rouergue par un anonyme possiblement membre du clergé. Flamenca, qui donne son nom à cette histoire, sans rapport avec l’Andalousie, est une princesse enfermée dans son château que son amant rejoint par un souterrain. Rosalia s’est inspirée de ce roman subversif. Le succès du disque a relancé l’édition du roman en Espagne et en France personne n’a parlé de ce livre pourtant écrit ici et conservé à la bibliothèque de Carcasonne. »  

Comme le hip hop, à travers les samples utilisés dans ses productions, a permis à de nouvelles générations de découvrir des artistes de jazz, de funk ou de soul, la musique de Rosalia a contribué à moderniser l’image du flamenco. La question peut aussi se poser sur les musiques des pays d’Oc.
Jordan Saisset : « On n’a pas de pop star occitane et je serais curieux de voir ce que donnerait en terme de représentation, un artiste chantant en langue d’Oc qui toucherait la culture mondialisée. Ce rapport à la pop culture c’est peut-être le prochain jalon des musiques d’Oc. »

Cette étape semble être en germe on peut déceler cette intention chez des artistes croisés dans cette enquête, comme Rodin, Louie Z, Butor Stelaris, Cocanha ou Brama, trio psyché pop proche de San Salvador.

Brama - Ma Jòia

 

Mais on peut aussi se demander si la logique de la pop, qui implique souvent un esprit de compétition sans merci, ne remettrait pas en question les valeurs de solidarité, d’indépendance et de militantisme qui ont jusqu’alors prévalu dans l’évolution des cultures des pays d’oc. L’avenir le dira.

Extrait d’un article du blog Plein Suds sur Médiapart

2Extrait d’un article du blog Plein Suds sur Médiapart

3 Extrait d’un article du blog Plein Suds sur Médiapart

Focus Aux Sons : Refree, révolutionnaire en traditions

 

 

benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM © Ida Wa
© Ida Wa

 

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014.

Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

 

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