L’époque est charnière pour les musiques des pays d’Oc, depuis la fin 2021, trois formations importantes des deux dernières décennies, Lo Còr de la Plana, Artús et Du Bartas, se sont arrêtées. Mais la plupart des artistes qui les composaient se tournent vers des futurs prometteurs.
Lo Còr de la Plana (2001-2022)
En 20 ans, le chœur, crée dans le quartier marseillais de La Plaine, a sorti trois albums et fait le tour de monde. Ils se sont notamment produits au prestigieux Carnegie Hall new-yorkais et le chorégraphe Bradley Shelvers, lié au Alvin Ailey American Dance Theater a utilisé leur musique pour la pièce Where They Are Tongues.
Les aspirations musicales de certains de ses membres et l’érosion amicale sont venues à bout de la belle aventure. Manu Théron qui n’a jamais cessé d’expérimenter d’autres collaborations, ne manque pas de projets. Tout en assumant le programmation de la Cité de la musique de Marseille, il prépare un troisième album du trio Sirventés avec le oudiste Gregory Dargent et le percussionniste Etienne Gruel, peaufine un répertoire avec le chanteur et musicien Damien Doumi pour leur Duò Lavao Lapò (La Voix La Peau) et pose les bases de projets avec des musiciens bengalis. Il est aussi le directeur artistique de La Compagnie du Lamparo, qui accueille De La Crau, le trio incandescent et post-rock de Sam Karpienia, Thomas Lippens et Manu Reymond. Ils seront à Babel Music XP à Marseille le 24 mars 2023.
Depuis la fin de Dupain et du trio Forrabandit avec Bijan Chemirani et le musicien turc Ulaş Özdemir, Sam a saisi les occasions de dialogues avec d’autres artistes iconoclastes comme la joueuse de vièle bulgare gadulka Pauline Willerval (Horla) ou le guitariste Mathieu Sourisseau (Tigre des Platanes). Aujourd’hui en parallèle de De La Crau il élabore un projet solo.
Membre fondateur de Dupain, le joueur de vièle à roue Pierre-Laurent Bertolino a créé un duo avec le flutiste Gulvan Le Gac qui avait rejoint la formation dans sa dernière incarnation.
Rodín - Rei De La Luna
Des autres membres du Còr, Rodín Kaufman est le plus visiblement actif. Chanteur, producteur et dessinateur ; il a signé la pochette de Puput de Cocanha ; Rodin a crée à la compagnie Neblum (les brumes), dont Jordan Saisset est le président, et fondé le label Pantais Records. Son premier album dont les arrangements trap-rap mélancoliques semblent séduire davantage les médias américains que français, toujours frileux lorsque la langue employée n’est ni la leur, ni celle de l’oncle Sam. Espérons que son passage aux Transmusicales de Rennes en décembre 2022, change la donne.
Son label est aussi un piédestal pour de jeunes talents. L’ EP de Feràmia de Toulouse, avec Louis Pezet, chanteur de 25 ans, offre un écrin musical cuivré et débridé aux vers du poète du Rouergue Jean Boudon (1920-1975) et demorar de Louis Z, projet solo de Pezet, lance les musiques d’oc dans un univers pop rock alternatif efficace et séduisant.
Du Bartàs (2006-2021)
Le 6 novembre 2021, le groupe Du Bartàs a donné un concert d’adieu près de Carcasonne. Cette soirée joyeuse a réunit 3 fanfares minervoises amies et tous les musiciens ayant participé à cette histoire collective, démarrée près de deux décennies plus tôt et soldée en beauté. Des voix, des percussions, des cordes et l’accordéon de Laurent Cavalié, initiateur et moteur du groupe, qui racontent le local et les trous de mémoire historiques régionaux laissés béants par le pouvoir centraliste. Le répertoire de Du Bartàs combine chants collectés, adaptations de poètes des pays d’oc et compositions originales. Si toutes les décisions artistiques du groupe ont été collégiales l’apport de Laurent Cavalié a été fondamental. Attiré par une expression plus intimiste, Cavalié a préparé le groupe en amont « Ça fait deux trois ans que je dis que la façon de travailler sur la notion d’arrangements collectif ne me convient plus, comme les tournées dans toute la France car j’ai envie de me relocaliser. Ils ont eu le temps de se faire à l’idée de se projeter autrement et sont venus me voir en solo et ont constaté que je me dirigeais ailleurs. »
Il privilégie les têtes à têtes en duo sur des textes de luttes en langue d’oc avec Marie Coumes, conteuse et chanteuse de La Mal Coiffée ou avec l’accordéoniste Guilhem Verger. Pour son travail de soliste il a abandonné son accordéon pour explorer les possibilités d’un instrument inédit aux capacités mélodiques et percussives. Mais s’il se recentre sur un travail de “chanteur-poète“ ce n’est pas pour étaler ses états d’âme : « Je fuis le nombrilisme comme la peste. Je ne parle de moi qu’à la condition de parler du monde. Je perçois le monde, ca rentre en moi, ça fait son chemin et sa ressort le plus honnêtement possible, mais ma vie est avant tout dans l’acte social et politique. » Ses activité s’articulent au sein de l‘agence coopérative artistique Sirventès où, à l’exception des orientations artistiques, tout se décide par concertation égalitaire de ses membres, techniciens du spectacle et artistes, musiciens, chanteurs ou conteurs.
Djé Balèti - Fou
A la fois organisateur d’évènements, tourneur et label musical Sirventes représente des artistes de langue régionales aux esthétiques variées (Arnaud Cance, Djé Balèti, Alidé Sans, Mbraia, CXK ou P.A.T.O.I.S.) et bien sûr La Mal Coiffée, qui aujourd’hui creuse leur son en ajoutant aux percussions classiques, des instruments monocordes spécialement crées pour elles, pour porter leurs polyphonies. Créés en 1996, Sirventès a accompagné les débuts des Béarnais d’Artús qui a apporté de nouvelles saveurs aux musiques des pays d’oc.
Artús (2000-2022)
Romain Baudoin, joueur de vielle à roue et membre fondateur d’Artús : « Nos influences de départ c’étaient King Crimson, Magma, des musiques que nous pratiquions par ailleurs dans des groupes qui n’étaient pas du tout liés à la culture occitane. J’avais deux vies en faisant des concerts de musiques progressives expérimentales et métal et à côté on faisait du bal trad et un jour de l’an 2000, on s’est dit que l’on allait réunir ces deux univers sous le nom de Familha Artús. (Artús depuis 2013)». Leur démarche novatrice peine alors à trouver une résonnance dans les scènes trad’ ou musiques du monde. « Pour le second album on a été un peu plus loin dans notre style. On a réalisé que l’on avait notre place dans les musiques actuelles. Ca se passait mieux, mais ce sont des milieux où les groupes, qui comme nous ne remplissent pas les salles, ne sont pas professionnels. Alors on a commencé à organiser notre collectif, notre agence de booking, on est rentré dans le dur du “do-it-yourself“ »
Ils ont tenu 20 ans sans s’écarter de leur ligne artistique sans concession ; 6 albums en attestent ; en gérant eux-mêmes leurs affaires à travers la coopérative Hart Brut et le label Pagans. Suite au pas de côté obligé par le covid, certains d’entre eux ne se sentaient plus de vivre la vie type d’un groupe indé’ : « Pour une date payée le week-end, on partait pour jouer gratos le mercredi et le jeudi dans des squats. C’est très agréable quand tu as 20-30 ans mais à 40 tu commences à tirer et à 45 tu commences à te poser des questions. » Eux aussi on terminé en beauté, avec un des disques les plus ambitieux de leur carrière, le conceptuel Cerc (Cercle) et une tournée exceptionnelle qui les a vu notamment joué au Hellfest et s’est terminée à domicile à Pau le 17 septembre 2022.
Romain Baudoin et son torrom borrom
Artús n’est plus, mais les structures qu’ils ont mises en place continuent à soutenir les différents projets des membres du groupe tels le duo expérimental d’En Haut avec Romain Colautti et Tomàs Baudoin, le duo chant et tambourins à cordes de Aèdes de Lutxi Achiary et Tomàs Baudoin, le duo percussif Trucs d’Alexis Toussaint & Romain Colautti ou les solos de Romain Arrehar ou Bestiari où il utilise le torrom borrom, un instrument hybride entre vielle à roue et guitare électrique. Sur leur label Pagans ils abritent les albums d’amis comme Cocanha, Super Parquet, De la Crau ou Sourdure. Artús s’est aussi doté du centre de création CERC à Pau, financé par l’agglomération, la région et la DRAC. C’est un lieu de recherche et d’expérimentation sur les musiques d’essence patrimoniale, un outil qui leur a permit de mettre au point Crec (la caverne) version ouverte et improvisée du très réfléchi Cerc où l’ordre de chaque partie est défini par le public via un tirage de cartes. En s’arrêtant sur ce travail, ils laissent une trace inattendue qui relie les traditions orales et écrites et rentre dans le répertoire des musiques contemporaines. Car cette œuvre a été transmise à l’ensemble Ars Nova qui va la traduire pour orchestre et l’interpréter.
Ces trois groupes se sont donnés les moyens de leur indépendance, perpétué le dynamisme de ces musiques et inspiré d’autres musiciens, par leurs organisations indépendantes et alternatives et leur liberté créative.
Episode 1 : Evolutions et révolutions en Pays d’OC : Particularités et antécédents
Episode 3 : Au delà des frontières, machines, pop et parité