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Interview | Rencontre avec Sukh Mahal

Cet automne #AuxSons a fait un tour au MaMA, le rendez-vous incontournable des musiques actuelles à Paris, du 11 au 13 octobre.

On y a rencontré Sukh Mahal, en concert le 12 octobre, dans le cadre du Prix des Musiques d’Ici. Le groupe - Olivier Olivero (contrebasse, chant, harmonium indien), Marc Mouchès (saxophones) et David Muris (batterie) - opère une fusion entre culture occidentale et orientale, entre musiques traditionnelles du Rajasthan, des Balkans, rock et jazz, le tout imprégné de spiritualité et d’engagement.

Ensemble, nous avons parlé de leurs influences musicales, de leurs sources spirituelles, de leur apprentissage de ces traditions venues d’ailleurs, de leur engagement écologiste et notamment de leur concert à Sainte-Soline.


Comment présenteriez-vous votre musique à quelqu’un qui vous découvrirait pour la première fois ?

[Olivier] : Sukh Mahal c’est une musique hybride, nomade. Un peu de rock, un peu de jazz mais c’est surtout de la musique consciente, puisque les paroles sont engagées sur l’écologie spirituelle ou sur la décroissance. On utilise des instruments comme une batterie, un saxophone et une contrebasse. Sukh Mahal puise ses origines entre toutes les musiques nomades qui partent dans toute l’Europe jusqu’au Rajasthan, jusqu’au Pakistan.


Musiques nomades, épisode 2 : les Roms et leurs diasporas


Vous vous inspirez des musiques traditionnelles du Rajasthan, des Balkans. Comment avez-vous rencontré ces esthétiques ?

[Olivier] : On a beaucoup trainé aux Balkans, on a fait des rencontres et on s’y est intéressé. Même si adolescent je faisais plutôt du rock, j’ai l’impression de comprendre et de m’identifier à ce type de sonorités. J’ai fini par accepter une partie de mon sang parce que ma mère est française, et mon père manouche. Puis, j’ai rencontré des musiciens : Musafir, Dhoad les gitans du Rajasthan, qui m’ont invité à venir chez eux. Ils m’ont initié à leur musique, et l’un des musiciens a dit : « Tu as la voix des gars de chez nous ». Ça m’a surpris, puisque je me suis laissé aller et c’est venu naturellement. Je l’ai fait pour le plaisir avant tout. Voyager là-bas m’a fait comprendre que c’était la source. À cette époque, personne ne s’intéressait à ces musiques traditionnelles. On a décidé de sortir des sentiers battus et d’y aller pleinement.


DHOAD Les Gitans du Rajasthan déconfinent la musique sacrée et traditionnelle des Maharajahs

 

Olivier, vous jouez beaucoup d’instruments, comment avez-vous appris ? Parlez-nous de votre pratique.

[Olivier] : J’ai été beaucoup autodidacte. J’ai pris quelques cours de contrebasse. L’accordéon ça m’est venu comme ça, j’ai travaillé avec les Roms et puis au bout d’une quinzaine d’année je n’avais plus d’épaule donc j’ai un peu laissé tomber. Puis, en 1996, j’ai découvert à la radio Nusrat Fateh Ali Khan, une grande voix qu’on appelle le bouddha chantant, c’est un chanteur pakistanais de musique soufi qawwali. Je vous le conseille. Ensuite, j’ai depuis 1999 mon harmonium indien, le sarpina qui est un guide chant. En réalité je ne joue pas tant d’instruments que ça, je maîtrise sommairement la percussion sinon tout passe par la voix.

 

Quelle est la spécificité des instruments traditionnels que vous mobilisez ? 

[Olivier] : L’harmonium indien c’est un petit piano qui a des lames d’accordéon. Il a été amené au XVIe siècle en Inde par les Portugais. Les Indiens ont démonté le système et en ont fait le serpina, leur harmonium indien. Quand on travaille avec cet instrument, c’est comme si on avait toujours un super clarinettiste ou quelqu’un à côté de soi qui est toujours connecté à vous et qui vous aide pour faire certains effets vocaux. C’est un instrument très simple, un guide chant.

 

Quelles sont les influences de chacun, mises en commun pour forger votre style ?

[David] : La matière première du projet c’est Olivier qui l’amène. On a des parcours artistiquement et humainement différent et pourtant il y a quand même un endroit où l’on se connecte et où l’on matche. Des personnes différentes qui s’associent, ça crée une fusion, un point de rencontre artistique musicale : c’est ça l’hybridation. On produit peut-être quelque chose en marge par rapport à ce que l’on voit mais on ne cherche pas à séduire et c’est honnête.

[Marc] : De mon côté, ça fait 27 ans qu’on travaille ensemble avec Olivier, on jouait dans un autre groupe auparavant, les Rageous Gratoons. Comme le disait David, chacun vient avec son parcours et son vécu. Moi c’est plutôt des influences afro, jazz dans une certaine mesure aussi et rock. C’est une hybridation, on ne se pose pas la question de la séduction, on fait ce qui nous paraît pertinent entre nous.

[Olivier] : Et ce qui nous fait du bien !

[Marc] : Et on revient aux histoires de connexion et au plaisir de jouer qui est quand même primordial.

[Olivier] : Mais il faut avoir l’esprit ouvert !

[David] : Et pour finir, le fait de travailler à 3 nous permet d’explorer même intimement des champs qu’on n’aurait pas explorés ailleurs autrement. Ça crée une émulation collective pour chacun mais aussi collectivement. Sinon, sans trop intellectualiser, parfois on a juste envie de jouer, ça peut être très simple aussi !

[Olivier] : Ça peut être complètement sauvage même.

 

Vous vous inspirez de la culture et de la poésie soufi, pouvez-vous nous introduire brièvement à cette spiritualité ? 

[Olivier] : Dans les grandes lignes, la musique soufi est associée au monde musulman, c’est la version la plus douce du Coran. Elle existe depuis des millénaires, et est garante de chant divin et de dévotion. C’est une musique de connexion, où il ne faut pas prendre les choses pour soi. La musique ne nous appartient pas, elle passe par nous le temps de notre présence, on peut en faire bon usage ou pas. C’est ça qui est compliqué avec les religions, le message peut être très beau mais les hommes peuvent tout détruire. Malheureusement, la bêtise alimente la bêtise et c’est sans fin. Dommage que la bêtise ne soit pas une énergie renouvelable, on n’en manquerait jamais !

 

Y a-t-il des valeurs issues de ces spiritualités que vous mobilisez dans votre musique et dans votre vie ?

[Olivier] : Il faut prendre le temps d’écouter et de s’écouter, parce que pour aimer il faut s’aimer, autrement ça n’a pas de sens. En avançant sur un chemin conscient, on se rend compte que plus on croit savoir, moins on sait. Il faut se battre pour garder l’humilité, car chez nous les artistes, la plupart sont mégalomanes. Cette spiritualité nous fait nous rendre compte que rien n’est à nous, et que nous ne sommes que les vecteurs de la musique pendant le moment où nous sommes là.

 

Qu’est-ce qui a déclenché votre prise de conscience écologiste ?

[Olivier] : L’événement déclencheur a été la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine en 1986, qui a donné lieu au plus grand rejet radioactif non contrôlé de l’histoire. Par la suite, s’est créé un mouvement anti-nucléaire. On entend beaucoup de bêtises et on voit beaucoup de greenwashing, comme les voitures électriques qui ne sont qu’un cauchemar de plus. On a joué à Sainte Soline, et on voit que les combats arrivent à avancer.

Mais les gens ignorent que le plus grand consommateur d’eau c’est le parc nucléaire français… Nucléaire et manque d’eau, ça ne colle pas ensemble. Mais c’est un problème franco-français dont les médias ne s’emparent pas parce qu’ils sont frileux, comme sur plein d’autres sujets, et c’est bien triste. Et donc cette conscience a commencé comme ça.

Ça remonte un peu, mais en 1999, la centrale nucléaire du Blayais près de Braud-et-Saint-Louis a été inondée, et ça n’a pas été relayé. Avec un ami, on a interviewé des pompiers et on est tombés des nues parce qu’on ne connaissait pas le sujet et en réalité on a découvert que c’était une autre catastrophe qui a été totalement minimisée comme plein d’autres parce qu’il y a toujours des réacteurs en panne en France.

Il y a une vieille étude tchèque et allemande qui montrait que l’on était l’un des pays où il y’a le plus de cancers … Et je pense que tout est lié que ce soit les pesticides ou le nucléaire. Le problème est que l’on vit dans un monde individualiste où chacun veut se tirer la couverture. Heureusement (et il était temps,) l’esprit de se tenir la main revient, mais nous sommes un peu au pied du mur. On voit les études sur le réchauffement climatique : la température survenue lors de l’été 2022 avait été estimée pour dans 10 ans et comme c’est exponentiel on ne peut pas précisément calculer toutes ces choses.

 

Comment s’est déroulé votre concert à Sainte-Soline ?

[Olivier] : Je n’ai pas vraiment envie de décrire, parce que c’était d’une violence extrême, j’ai même pris une grenade. J’ai joué à la première manifestation en octobre où l’on était 8000. On a passé 4 jours avec 6 hélicoptères au-dessus de nous, pas trop bas - pour qu’ils ne puissent pas se faire caillasser - mais assez pour nous faire très mal à la tête. En plus, la police nous a empêché de repartir donc on était coincés et on n’avait presque plus d’eau. On a quand même pu jouer devant les quelques milliers de personnes qui avaient besoin de se lâcher. Puis, je suis retourné à la deuxième manifestation, où nous étions entre 30 000 et 40 000. On s’est dit avec mon ami : « on ne va pas au front » mais là malheureusement, ce sont les quads qui sont arrivés et ils nous ont massacrés. On ne parle pas de ça mais il faut que les gens prennent conscience que ça va trop loin et qu’il faut se réveiller. Les manifestants, les gens comme moi… on n’est pas armés face à cette violence, ce n’est pas possible…

8 avril 2023 - reportage de Kombini sur Les Soulèvements de La Terre
8 avril 2023 - reportage de Kombini sur Les Soulèvements de La Terre - capture écran

 

Merci d’avoir partagé cette expérience. Auriez-vous un message à faire passer, des pistes à mettre en place à notre niveau, dans le secteur musical, pour changer nos pratiques ?

[Olivier] : Ce serait bien qu’on essaye d’arrêter les clivages, qu’on ouvre de plus en plus à d’autres communautés. La prise de conscience dans le milieu alternatif underground du spectacle est arrivée dans les années 60-70-80. Alors que dans le milieu agricole, il a pris un essor que récemment et on est tous ensemble aujourd’hui et c’est pour ça que ça avance. Enfin doucement mais ça avance.

 

photo : Sukh Mahal © Stéphanie Curic 

 

Et pour plonger un peu plus encore dans leur univers sonore, découvrez la playlist commentée de Sukh Mahal !

Playlist de Sukh Mahal

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