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Aliou Toure, lead singer of Songhoy Blues: “Mogoya has disappeared and the love of power has eclipsed the power of love” - © Andy Morgan

Mogoya (épisode 2)

Lire l’épisode 1.

La rappeuse Ami Yèrèwolo, un paradigme du franc-parler, en convient : « Comme tout dans une société, la mogoya a ses forces et ses faiblesses. Sa force : quand vous avez un problème, toute la famille est avec vous. On dort ensemble, on mange ensemble et on parle. Mais il y a un côté hypocrite à tout ça. Les gens sont vulnérables, il n’y a pas de travail, rien à faire, donc la seule occupation qu’ils peuvent trouver pour se distraire est de se blesser, se haïr, et trouver quelque chose avec lequel se détruire. »

Ami Yerewolo - Lyamba

 

Derrière la décennie de troubles que les Maliens ont subie et le coup d’État qui a renversé le père de Karim Keïta, le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août, il y a le sentiment profond que quelque chose d’essentiel au caractère malien est sur le point d’être brisé par la cupidité, la corruption et l’aveuglement causé par l’argent. « S’il y a tous ces problèmes aujourd’hui », déclare Aliou Touré, chanteur principal du groupe Songhoy Blues, « c’est parce que la mogoya a disparu et que l’amour du pouvoir a éclipsé le pouvoir de l’amour. Il fut un temps où nous étions vraiment heureux ici au Mali avec le peu que nous avions, parce que nous étions en paix, nous étions en sécurité et la vie était belle. Les gens commencent à réaliser leur erreur. »

 

Songhoy Blues - Worry

 

Bourama Soumano, chef héréditaire des griots de Bamako, attribue cette chute en disgrâce au fait que plus personne n’écoute les griots. « Le rôle du griot dans la transmission de la mogoya d’une génération à l’autre est indispensable », déclare-t-il. « La société malienne a compris que c’était une erreur de vouloir reléguer ce rôle aux communicateurs modernes, tels que les présentateurs télé ou les influenceurs sur Internet. La nouvelle génération n’a pas bénéficié de l’enseignement des griots comme elle aurait dû. »

Un autre griot, reconnu sur la scène musicale internationale, est même allé jusqu’à accuser la religion, sous-entendu l’Islam, de la lente mort de la mogoya.

« Silameya (l’islamisme), c’est ce qui a tout détruit », dit-il. « La religion est arrivée ici seulement pour constater que nous possédions déjà la mogoya. C’était encore plus honorable que leur religion. Aujourd’hui, ils ont construit de nombreuses mosquées, mais il n’y a plus de mogoya. On était heureux avant qu’elle n’arrive. On s’en sortait très bien sans elle. »

La disparition de la mogoya, cette philosophie « centrée sur l’homme », est au cœur du débat moral interne au Mali depuis des décennies. Aujourd’hui, ce débat est de plus en plus formulé en termes islamiques, « centrés sur Dieu ». L’immense popularité de certains imams charismatiques tels que Mahmoud Dicko, leader de facto du mouvement d’opposition M5, suggère que les Maliens recherchent un antidote sanctifié et juste à la faillite morale de la classe politique actuelle. Mais quelle forme la justice doit-elle prendre ? La forme d’une plus forte dévotion religieuse ? Ou de davantage de mogoya ? Ou des deux ?

Peut-être qu’à l’ère du capitalisme et du consumérisme, la mogoya est un rêve impossible. Peut-être n’a-t-elle jamais existé que lorsque tout le monde - rois, nobles, guerriers, marchands, griots, artisans, esclaves - connaissait sa place, et lorsque les femmes restaient à la maison pour éduquer leurs enfants 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (comme l’a affirmé un griot lors de mes entretiens). Peut-être, comme le suggère l’écrivain ivoirien Amadou Koné, est-il temps pour une nouvelle mogoya, incarnée par quelques individus éclairés comme N’Douba, héros du roman de Koné, Le Respect des morts (1992), qui déclare : « L’homme noir de demain se fait non pas par celui qui adhère désespérément au passé, ou celui que l’Europe a égaré en l’éblouissant, mais simplement par celui qui est suffisamment lucide pour avancer vers l’Europe tout en restant lui-même. »

Oumou Sangaré pense que l’Afrique peut sauver son mogoya en imitant le Japon. « Le Japon est le pays le plus moderne du monde, n’est-ce pas ? Le Japon est aussi le pays le plus ancré dans la tradition au monde, n’est-ce pas ? L’Afrique peut évoluer tout en préservant certaines traditions qui en valent la peine. Je voudrais vraiment que l’Afrique devienne comme ça. Et c’est faisable. »

 

Dans la Playlist de Songhoy Blues, Aliou, Oumar et Garba Touré de Songhoy Blues nous présentent les morceaux qui leur inspirent le sentiment d’humanité, propre aux principes de Mogoya.

 

 

Andy Morgan

 

Basé à Bristol au Royaume-Uni, Andy Morgan est auteur et photographe. Il a travaillé dans la music pendant 30 ans, devenant manager de Tinariwen. En 2010 il se tourne vers l'écriture et la photographie à plein temps, rédigeant des articles pour The Guardian, The Independent, Songlines et bien d'autres publications. Il apparaît aussi sut la BBC, Al Jazeera et CBC. Son premier livre, Musique, Culture et Conflit au Mali (Freemuse Publications) sort en mai 2013. Les photos d'Andy sont apparues dans Songlines, Condé Nast Travaller, d'autres publications et sur les pochettes d'album de Songhoy Blues, Catrin Finch & Secko Keira et Gwyneth Glyn. En 2017 Andy est le commissaire d'une exposition photo dédiée à la musique de part le monde, au Royal Albert Hall de Londres, dans laquelle il expose aussi ses clichés.

 

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