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Une photo de septembre 2009, dans un lieu français tenu secret, par le label Les Mains Noires, dont le blog est dédié au dig et à la photographie - © Frédéric Thiphagne

Les Diggers, ces aventuriers des sons presque perdus

A en croire la traduction du mot anglais, le Digger est un mineur. Plongeant au plus profond des entrailles des musiques, il exhume des pépites avant de les partager. Rencontre avec quelques-uns de ces orpailleurs des musiques d’antan pour mieux saisir les contours de cette activité et en pister les dernières évolutions. 

Longtemps, “digger” fut l’apanage de collectionneurs qui cherchaient à préserver des patrimoines musicaux enfouis sur d’antédiluviennes galettes de cire noire. A l’aube de la culture club, “digger” est devenu une sorte de légion d’honneur auto-épinglée par des DJs qui savaient déterrer et retailler des bijoux sonores pour le dancefloor. Mais les droits des artistes et des producteurs n’ont pas toujours été respectés. L’engouement pour un titre a parfois pris le pas sur le respect des droits de leurs créateurs et producteurs. Aujourd’hui, dans un monde à portée de clic, le “digger” est devenu une sorte d’archéologue 3.0 qui se doit d’allier passion du groove, connaissance en ethnomusicologie et en droit de la musique.

L’oreille et le flair…

Deni Shain, dont le nom est attaché aux compilations Space Echo et Bitori (Cap-Vert) Pop Makossa (Cameroun) et depuis 2018 à son label Atangana Records, “digge” depuis une dizaine d’années. « J’ai commencé au Portugal », raconte-t-il :« J’avais une résidence au Musicbox, un club de Lisbonne. En sortant à 6 heure du mat, je me précipitais à Feira da Ladra, le marché aux puces local, où des Capverdiens et Haïtiens vendaient les 45 tours de famille. Ainsi, tu construis ta collection, ton empreinte sonore. » Son amour de la musique et des rencontres ont fait le reste. « C’est un vrai boulot », reprend-t-il : « Il faut avoir l’oreille et le flair, car tu dois dénicher les bons titres et pister les ayants-droits. Si tu souhaites les compiler, les commercialiser, tu dois retrouver les artistes, mais aussi les producteurs. » A l’heure d’internet, ce jeu de piste peut sembler plus simple, mais, selon lui rien ne vaut « le terrain, le bouche à oreille ou même le hasard ».

Parfois ce sont les ayant-droits qui sollicitent le savoir-faire de ces archivistes. Installé depuis 2019 à Pointe à Pitre (Guadeloupe), Deni Shain digitalise le catalogue du mythique producteur auteur-compositeur-interprète guadeloupéen Henri Debs décédé il y a 7 ans. « Son fils Ryko a restauré son studio et souhaité archiver les enregistrements de son père (400 albums, 300 45T) » relate le DJ. « Ici, la notion de patrimoine est importante. Être entouré de tous ces disques est un vrai bonheur pour un digger ». En bon activiste, ce DJ qui désormais officie en duo au côté de DJ After au sein du KalBass Sound-System, prévoit un pendant audio-visuel, une série de documentaires et de livres-audio afin de prolonger son travail de restauration, et la dernière sortie de son label, Mizik La Ka Dansé, est une compilation de biguines-latines du catalogue Debs.

Mizik La Ka Dansé

 

Indiana Jones de la musique

Mais combien de titres attendent sur une étagère qu’on puisse retracer la généalogie des droits afin de “clearer” leur utilisation ? Les histoires à ce sujet ne manquent pas. Diggers respectueux comme artistes ou producteurs floués par des “fans” peu scrupuleux, pourraient noircir les pages d’un livre, d’anecdotes cocasses, « même si les sommes en jeu sont rarement faramineuses » précise Etienne Tron. Ce DJ, producteur et responsable du label Secousse, précise que les droits des créateurs et producteurs sont mieux pris en compte que par le passé : « Comme Internet mondialise dans l’instant la moindre sortie, on ne peut plus faire n’importe quoi. Tout se sait, aujourd’hui. De plus, des labels comme Soundway, Honest Jon’s ont contribué à élever le niveau tant en termes de contenu et de respect des droits, que de qualité du son, ce qui a impacté positivement le petit milieu des diggers. »

Neba Solo. Hymne de la CAN 2002

 

Lui avoue dépenser à chaque sortie, plusieurs milliers d’euros pour la digitalisation, le mastering et la laque, les trois étapes qui assurent un rendu sonore maximum. « C’est un investissement, qu’on ne peut recouvrer en 6 mois. Heureusement, nos sorties s’écoulent souvent sur des périodes bien plus longues » ajoute-t-il, citant deux de ses best-sellers qui continue à se vendre : la réédition du maxi Propriété Privée du Congolais Sammy Massamba ou l’hymne composé par le balafoniste malien Neba Solo pour la Coupe d’Afrique des Nations 2002.

Au début de l’été, Etienne Tron publiait Nduzangou, un titre composé en 2015 de la chanteuse comorienne Zaza. « C’est une artiste qui anime les mariages en duo avec Zile un musicien-producteur. Je l’ai découverte par le biais de ses clips dont certains passent la barre du million et demi de vues. Quand j’ai voulu la joindre, j’ai cherché en vain du côté des Comores, avant de la localiser via un contact dans le 93 » raconte-t-il.

Zaza - Nduzangou

 

 

L’Orient Sonore

Présentation de l’exposition L’Orient Sonore

 

Depuis Beyrouth, Kamal Kassar, un « avocat, amoureux de la musique et musicien » comme il se définit, tente de faire revivre des « répertoires classiques tombés dans l’oubli ». S’il perçoit ce que peut recouvrir le terme “digger”, il considère que le travail initié en 2009 par la Fondation AMAR, vouée à l’Archivage et la Recherche sur la Musique Arabe, est différent, plus complet : « Ces musiques qui ont connu leur heure de gloire entre 1850 et 1930, ne doivent pas disparaitre. Nous publions un à deux coffrets par an (Dist. L’Autre Distribution), accompagnés de livrets très documentés et diffusons de nombreux podcasts en arabe, transcrits en anglais via notre site. Nous soutenons par ailleurs de jeunes formations intéressées par ces musiques, que nous enregistrons et diffusons. » explique celui qui est aussi le commissaire de l’exposition L’Orient Sonore proposée jusqu’au 4 janvier au MuCEM à Marseille. A côté de la soixantaine de 78 tours issus de la collection de la fondation, sont présentés, sous forme d’installations géantes, des enregistrements audiovisuels d’une douzaine de traditions musicales orales orientales menacées de disparition.

 

Quelques sites pour s’aventurer dans le monde des diggers :

https://​soundwayrecords​.com

https://​honestjons​.com

http://​secousse​.tv

https://​atanganarecords​.bandcamp​.com

https://​www​.amar​-foundation​.org

https://​orientsonore​.fr

https://​www​.amar​-foundation​.org 

 

© photo : Les Mains Noires 

 

 

 

 

 

Baba Squaaly

Journaliste musical depuis des décennies, Baba Squaaly a collaboré à L’Affiche, Mondomix, RFIMusique.com, Musique Info Hebdo et à de nombreuses autres parutions. 

Correspondant marseillais de Radio Nova depuis l’ouverture de fréquence en 2006, il griffe depuis le premier confinement la matinale de la radio parisienne de son “Baba Squaaly se confie sans haine”, qui selon l’inspi’ zigzague entre édito poétique et harangue engagée. Programmateur du festival parisien semestriel Trois 6 Neuf au Théâtre de l’Atalante et parrain officiel du Nomad Café à Marseille, il est aussi Big Buddha, DJ spécialisé “musiques du monde”, qu’elles soient traditionnelles, actuelles ou futuristes.

 Il est un des membres fondateurs de Goldenberg & Schmuyle. Ce big band du monde à trois comme aiment à se qualifier ces passionnés de sons et d’images de tous les recoins de la planète ont publié un album en 2013, simplement baptisé “&”(A Son Rythme/Rue Stendhal), sélection FIP à sa sortie.

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