D’abord rejeté parce que considéré comme un genre mineur, le groove des townships est aujourd’hui le plus grand genre musical d’Afrique du Sud en termes de consommation, et son succès est désormais bien établi en ligne et à la radio. C’est devenu un mouvement musical populaire reconnu. Les courants musicaux spontanés défendus par des gens ordinaires sont toujours intrigants, non seulement en raison du contenu, mais aussi de la conscience de soi et de l’empreinte durable qu’ils créent pour les sociétés. Bien que s’identifier au genre puisse sembler conformiste, la valeur réside dans les libertés artistiques, individuelles et collectives - du moins pour les Africains. Plus important encore, comprendre son évolution et pourquoi l’amapiano est devenu si populaire, localement et internationalement, pourrait fournir une raison de plus pour l’adopter tout en indiquant la voie à suivre.
Le genre tire son nom du mot zoulou « les pianos » ; musicalement, c’est un son multiforme avec une forte influence du kwaito qui fusionne des lignes de basse continues, avec la deep house locale des années 90, les percussions traditionnelles et les lignes de piano/synthétiseur du jazz. En clair, les chansons non conventionnelles omettent souvent la grosse caisse à un tempo d’environ 115 bpm, créant une atmosphère sonore moins agressive et plus langoureuse. C’est dans ces compositions peu orthodoxes que réside en fait la puissance du son amapiano. Il convient également de noter que le son relativement nouveau a déjà évolué vers des sous-genres plus distincts, à savoir la dust/street, la private school et la techno amapiano.
Depuis que le son expérimental a commencé à émerger en 2012, on a souvent prétendu que son origine précise était inconnue - plaçant injustement ses racines dans divers provinces en raison de l’émergence fortuite de la musique, Alexandra, Soweto et Katlehong étant les bastions de Johannesburg, et Atteridgeville, Mamelodi et Soshanguve les provinces de Pretoria. Cependant, certains des précurseurs du son désignent le duo de DJ et de producteurs MFR Souls comme ses créateurs.
Parmi les pionniers, il y avait DJ Stokie qui a popularisé le son à Soweto. « J’ai entendu ce son unique chez les MFR Souls dans l’East Rand et j’ai adoré » , a-t-il déclaré à News24.
Le duo MFR Souls, originaire de Katlehong, a commencé à expérimenter différents éléments, mélangeant le kwaito et les productions de la deep house. Les DJ Clock et Bekzin Terris, ainsi que JazziDisciples d’Alexandra et Kabza De Small à Pretoria, étaient connus pour jouer ce qui s’appelait alors iNumba, mais MFR Souls a changé le nom du son lorsque les keyboards sont devenus une partie importante de leurs compositions. C’est ainsi que le genre a été inventé.
Malgré les revendications de propriété de Pretoria, l’ADN qui sous-tend son son populaire (le bacardi), est assez différent de celui de l’amapiano, ce dernier étant surtout un dérivé du kwaito, lui-même initialement inspiré de l’afro-soul, du hip hop et de la house des années 90. Le bacardi est issu de la musique électro gqom, isigubhu et shangaan. Néanmoins, le manager de Kabza De Small, David Ngoma, donne une réponse suffisante dans SHAYA ! – un documentaire sur l’amapiano où il reconnaît les contributions capitales de Pretoria au genre. « lI appartient aux townships d’Afrique du Sud », affirme-t-il.
MFR Souls - Amanikiniki ft. Major League Djz, Kamo Mphela & Bontle Smith
Tout comme ses prédécesseurs locaux avec le kwaito et le gqom, l’amapiano reflète l’ambiance musicale de la province dont il est issu. Ses diverses références à la house, au jazz et à la musique d’église des années 90, créent un son parfois nostalgique et entrecoupé d’éléments culturels dans lesquels beaucoup se retrouvent. Cela lui qui a également permis de rompre avec la trajectoire traditionnelle de la consommation de la pop, qui dépendait largement des médias. Avant d’atteindre les stations de radio commerciales, le phénomène musical était brassé dans les rues, entendu dans les tavernes locales et partagé sur les communautés WhatsApp.
Le regretté DJ Papers 707, qui est devenu populaire pour sa danse avec une bouteille ou un verre de Hennessy comme accessoire, a également contribué au développement de l’amapiano. Des images de lui, ainsi que la chanson Dance Like Papers, sont rapidement devenus virales, suscitant encore plus d’intérêt à travers le pays. Mais son point de basculement est survenu lorsque le DJ de la radio YFM et spécialiste de la culture urbaine, Da Kruk, a ouvert les portes à de nombreux artistes amapiano en consacrant une heure de son émission de radio à leurs morceaux. Cela s’est traduit par plus de contrats et de concerts.
« L’amapiano est l’un des seuls genres où un gars qui n’est connu que pour ses mixtapes YouTube, WhatsApp et Datafilehost, est invité à des émissions et booké pour des concerts. Vous n’avez pas beaucoup vu ça dans le hip hop ou l’afro-house. Il y a toujours un homme d’affaires qui essaie de dicter où l’artiste doit aller et combien il doit gagner », a déclaré Da Kruk.
Les premières compositions et mélanges amapiano étaient expérimentaux et représentaient un esprit de liberté, dépourvus de tout style spécifique mais tirant leur influence de partout ; l’absence de limites engendrera une croissance organique à travers les lignes culturelles.
La fréquence des posts liés à l’amapiano sur les réseaux sociaux confirme la popularité massive du genre. En septembre 2020, le hashtag #amapiano a atteint plus de 100 millions de mentions sur TikTok, avec des musiciens nouveaux et établis, qui ont partagé leur musique avec la communauté mondiale. Kabza De Small et DJ Maphorisa étaient en tête du peloton, amassant plus de 13 millions de vues pour leur tube Phoyisa. Le genre commande également une forte présence sur les plateformes de streaming musical.
L’année dernière, Kabza De Small était l’artiste local le plus écouté sur Spotify South Africa, suivi de DJ Maphorisa. Deezer a récemment signalé que sa liste de lecture amapiano était la plus diffusée à ce jour qu’en 2020. Cette croissance généralisée a engendré davantage de production musicale avec des compositions idiosyncratiques.
Busiswa - SBWL (feat. Kamo Mphela)
Un certain nombre de volets importants se distinguent désormais au sein du genre. L’amapiano de la dust ou de la street est une version plus brute avec des lignes de basse lourdes, tandis que l’amapiano de la private school a un caractère plus émouvant et est généralement fortement vocalisé. Le son amapiano qui a émergé de Pretoria est distinct et optimiste ; un nouveau type de techno expérimentale, qui intègre plus de kicks dans ses compositions, prend également de l’ampleur.
Au fur et à mesure que le son se développait, l’amapiano est devenu plus qu’une simple musique ; c’est devenu une expression et une validation d’un mode de vie, avec son propre dress code, son propre vocabulaire et sa danse unique. Le genre, dominé par les hommes, a également donné naissance à un certains nombres de figures féminines, telles que MC Kamo Mphela, catapultée par les réseaux sociaux vers une renommée soudaine. Il ya aussi la chanteuse d’origine zimbabwéenne Sha Sha, surnommée la « reine de l’Amapiano », ainsi que les MC et les influenceurs des médias sociaux Mbali Sibeko et Nadeem « Dimpi Dimpopo » Poen, largement considérés comme les ambassadeurs non officiels du genre.
Le son se prête également à d’autres genres inattendus, avec de nombreuses collaborations avec des artistes locaux hip hop, house et R&B dont Cassper Nyovest, Focalistic, Samthing Soweto, Busiswa et Mi Casa. Cette pollinisation croisée a également dépassé les frontières de l’Afrique du Sud et a vu diverses collaborations avec des poids lourds de l’afrobeats comme Burna Boy, Tiwa Savage ou encore Wizkid. La popularité du genre gagne de plus en plus de terrain au-delà du continent, dans des endroits comme le Canada, l’Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni et les Émirats arabes unis. L’amapiano est simplement devenu un genre attrayant…
Shayi Mpempe - Mavuthela x Swizz Panache x Ribby
Malgré l’attrait international du genre, l’amapiano n’a pas été en mesure d’échapper complètement aux critiques, certains rejetant ses arrangements inhabituels, son choix de notes décalées et l’utilisation de samples et de rythmes. L’année dernière, le producteur allemand DJ Lars Behrenroth, basé aux États-Unis, a été fustigé sur les réseaux sociaux après avoir partagé son opinion sur le son : « Je l’ai enfin vérifié pour la première fois et tout ce que je peux dire, l’amapiano est si soporifique ! »
Que Behrenroth ait raison ou tort, la musique est contextuelle et nécessite une profonde compréhension de ce qu’elle représente. De la même manière que ceux qui ne sont pas enclins au son thrash metal des années 80 pourraient affirmer qu’il n’est qu’une véritable cacophonie, où la rébellion expulse la véritable musicalité, il y a forcément un groupe qui pourrait ne pas prendre en compte les détails contextuels d’amapiano.
Soit dit en passant, ceux qui pensent que le thrash metal n’est qu’un bruit dépourvu de talent ne pourraient pas être plus éloignés de la vérité. Une petite recherche sur les idées dominantes et le mode de vie de la jeunesse mécontente des années 1980, et une analyse de ses motivations à créer un son cohérent à 100 milles à l’heure basé sur les normes classiques, contribueraient grandement à cultiver son oreille à accepter ce son et à en avoir une meilleure compréhension. Il faudrait donc se résumer à voir à travers ses controverses, que toutes les critiques de l’étranger ne sont que la preuve et la validation de l’impact croissant de l’amapiano.
L’amapiano porte en lui une forte esthétique culturelle, et son évolution, ainsi que son attrait, sont les symboles de son énorme potentiel. L’argument le plus convaincant pour expliquer son succès, est que c’est la musique du peuple…
Abidoza - Diamond Walk ft. Cassper Nyovest and DJ Sumbody