Ethnomusicologue spécialiste des musiques soufies, pianiste, chanteuse et directrice artistique de créations interculturelles qui ont marqué l’histoire de ces vingt dernières années, Martina A. Catella est aussi une exceptionnelle pédagogue de la voix.
Elle a développé une méthode originale basée sur la réalité des corps et de la personnalité de ses élèves, renommé(e)s ou anonymes. Au sein de son école les Glotte-Trotters, elle les guide dans l’épanouissement de leur talent et la recherche de leur voie personnelle. De toutes ses expériences, Martina A. Catella a développé une philosophie de la rencontre qui est un antidote à toute forme d’appropriation culturelle.
Médiatrice éclairée entre deux univers qui désirent se rencontrer ou face à un chanteur, ou comédien cherchant la voie entre son présent et son futur vocal, Martina A. Catella définit son rôle comme celui d’un pont : « C’est drôle car mon père qui était ingénieur des ponts et chaussées n’aurait jamais imaginé que sa fille puisse reprendre cette fonction autrement. » Elle précise: « Etre un pont, c’est être quelqu’un sur lequel on marche pour aller d’une rive à l’autre. Ce n’est pas forcément le rôle le plus facile. » Elle doit saisir les personnalités appelées à se rencontrer et connaitre les fondements, l’histoire et les particularité des cultures mises en présence. Elle ajoute : « Il faut que tout cela converge vers un troisième élément, l’auditeur, qui ne vient pas forcément d’une ou l’autre de ces rives. Comment fait-on pour que tout le monde soit satisfait et ne se sente pas trahi ? » Un questionnement qui échappe à beaucoup d’apprentis sorciers : « A mon avis la grande erreur des mixités ratées c’est que les gens mettent ensemble des esthétiques ou des systèmes de pensées qui n’ont rien à voir les uns avec les autres en ne se souciant que de la forme finale avec une optique souvent commerciale. »
Erreur de nombreuses productions de métissages, un mot qu’elle déteste : «Le métissage c’est quand deux personnes de races différentes se retrouvent dans un lit et font un bébé. Moi je pratique le principe d’hospitalité musicale réciproque. On se rencontre et on se dit : “Toi comment tu abordes les questions de l’amour ou de la mort ? Et ton métier tu le fais comment ?” Après, on voit ce qui peut rapprocher des gens qui viennent d’une autre culture, vivent et pensent différemment, mais ont quand même les mêmes préoccupations. C’est sur des questionnements, des passions ou des thèmes communs que j’ai réussi les rencontres que j’ai faites. Mais cela prend beaucoup de temps ! »
Les Voix de la Paix
De son intervention auprès des chanteuses réunies par Yehudi Menuhin en 1998 pour les Voix des femmes pour la paix*, à son travail de directrice artistique pendant huit ans du Bureau de concerts et du label Accords Croisés, Martina A. Catella a été le pont solide à partir duquel des créations exemplaires ont pu voir le jour et marquer l’histoire de ses musiques. En 2003, Radio Kaboul réunit plusieurs générations de musiciens afghans dont le compositeur Hossein Arman et Mahwash, rare femme ayant acquis le titre d’Ustad désignant un Maître dans les musiques savantes du monde musulman.
Radio Kaboul
En 2004, Le Chant de la Terre et des Etoiles célébrait la rencontre de la chanteuse et ambassadrice de la culture quechua de Bolivie Luzmila Carpio avec les musiciens français Pierrick Hardy, Henri Tournier Michel Deneuve… En 2006, l’inoubliable Qawwali/Flamenco, a rapproché la tradition du groupe de Qawwal pakistanais de Faiz Ali Faiz et celle des cantaors et guitaristes espagnols Chicuelo, Duquende et Miguel Poveda. En 2007, Mon Histoire a réuni le multicordiste Thierry Robin, dit « Titi » et la reine des gitans, la macédonienne Esma Redzepova. Enfin, en 2008, Les Cavaliers de l’Aurès ont permis à Houria Aichi de chanter et de raviver la mémoire de ses ancêtres grâce à l’ingéniosité du musicien strasbourgeois Gregory Dargent et de l’Hijâz’Car.
Cette prestigieuse liste s’énonce facilement mais chaque projet lui a demandé un gros investissement : « Ça ne se fait pas en deux minutes. Ce n’est pas : j’enferme deux pygmées et quatre bulgares dans le coffre et on voit comment ils s’en sortent. C’est vraiment trouver les endroits où ils peuvent avoir envie d’échanger et comment les combiner. Cela demande un vrai travail de négociations et une intime connaissance de chacun. Faire du commerce ce n’est pas le même boulot. Mon propos a toujours été que ces musiciens se sentent magnifiés à travers ce travail effectué ensemble. Et c’est la même approche quand j’enseigne à quelqu’un. »
Martina A. Catella distingue deux types de personnes qui viennent la consulter : « Ceux qui veulent apprendre à chanter et n’ont pas forcément une idée précise du répertoire vers lequel ils pourraient se diriger ou des représentants d’un style vocal qui rencontrent de vraies difficultés à force d’utiliser leur instrument sans la moindre idée de son fonctionnement car ayant appris le plus souvent intuitivement. Ceux là viennent me voir pour que mes propositions de plomberie vocale leur permettent de mieux exprimer le répertoire dont ils sont les porte-paroles. » Dans cette catégorie on peut citer des artistes comme Waed Bou Hassoun, Rocio Marquez, Titi Robin ou Erika Serre mais aussi, Arthur H., sa sœur Izzia, Amel Bent, Camélia Jordana ou Jeanne Added dont on trouve les messages de remerciements sur le site des Glotte-Trotters. D’autres ont aussi trouvé leur voie après leur passage aux Glottes comme Raphaële Lannadère (L) Norig, ou Awena Burgess qui se sont orientées vers le chant tsigane ou Sandrine Monlezun qui s’est dédiée aux traditions bulgares. Mais ces choix ne se font jamais à la légère : « Sandrine Monlezun, qui venait de la maîtrise de Radio France, est une créatrice. Elle n’a pas fait les choses à moitié. Elle a suivi un cursus en ethnomusicologie et a fait son mémoire sur les chants bulgares, elle a appris la langue et est allée vivre et travailler là-bas, mais elle ne se considère pas comme une chanteuse bulgare. »
Sandrine Monlezun
Il y a aussi ceux qui ont renforcé les rangs de l’équipe pédagogique tels Emmanuel Pesnot, qui est depuis devenu un autre des grands spécialistes des langues du français ou Clotilde Rullaud artiste accomplie (Madeleine et Salomon, Tribute to Radiohead ou XXY [ɛks/ɛks/wʌɪ]) et fidèle représentante de la méthode de Martina A. Catella depuis 2004.
Clotilde Rullaud trailer du film XXY [ɛks/ɛks/wʌɪ]
Ces apprenants ne viennent pas la voir par hasard, ils ont souvent une attirance pour les cultures d’ailleurs et font le choix d’un enseignement particulier. Martina précise sa technique vocale : « Je procède par la construction point par point de régions corporelles indispensables à la phonation parlée ou chantée : les muscles, les zones d’appuis ou de résonances etc. Cela permet de faire émerger “la note unique sur laquelle chacun est accordé”. Ensuite j’ouvre sur des cultures de certaines aires du monde qui privilégient plus particulièrement ces zones en expliquant pourquoi. Puis, je fais entendre et pratiquer ces chants “de l’intérieur”, c’est à dire en tenant compte de ce qui caractérise la voix de l’interprète mais aussi bien sûr, les fondements de ce qui constitue “le son” d’une autre culture. Je fais en sorte que les élèves ne jugent pas une esthétique différente de l’extérieur. Par exemple le katajjaq, le chant de gorge des Inuits canadiens. Si je leur passais ces chants sans leur expliquer sans le leur faire pratiquer, il serait certainement déconcertés par ces sons rauques et s’en détourneraient. Mais quand ils découvrent la liste infinie des bienfaits de cette respiration qui permet, entre autres de gérer des émotions négatives et la complexité des formules rythmiques, ils deviennent complètement accro et veulent en savoir plus sur la culture Inuit. »
Extrait du film de Marie Pascale Dubé Rouge Gorge
Sa philosophie de l’enseignement vocal possède d‘autres vertus : « Elle permet de rencontrer d’autres cultures et de penser la définition du verbe “chanter” d’une manière beaucoup plus large que celle qu’on lui accorde dans notre culture où malheureusement pour beaucoup, cela signifie d’abord : “être connu, vendre et gagner de l’argent”. Je reviens aux fonctions essentielles du chant. Chaque personne est un être musical potentiel, c’est un vrai chemin que l’on peut faire de l’intérieur de soi, pour se réapproprier son corps, sa parole, sa pensée par le souffle car il n’y a pas de parole, ni de pensée, ni de gestion de l’émotion si le souffle ne fonctionne pas. »
En conclusion Martina A. Catella cite un dicton souvent attribué à la culture touarègue qui régit son approche : « “Voyager c’est aller de soi à soi en passant par les autres.” Cela résume ma philosophie. La question n’est pas d’être l’autre. C’est grâce au chemin par l’autre que tu trouves qui tu es profondément. Et en plus, tu as rencontré quelqu’un d’autre et tu le chantes. Et ça, c’est vraiment formidable ! »
* Le concert et le disque Les Voix des femmes pour la Paix réunissaient, la Bolivienne Luzmila Carpio, l’Africaine du Sud Miriam Makeba, l’Afghane Mahwash, la Grecque Angélique Ionatos, la macédonienne et Reine des tsiganes Esma Redzepova.
Le site des Glottes-Trotters : http://lesglottetrotters.com
La chaîne YouTube : http://www.youtube.com/lesglottetrotters
La page facebook : https://www.facebook.com/Les-Glotte-Trotters-page-officielle-159371184099650/
L’application et le site “Sing the word”, pour découvrir sa voix, le monde, ses langues et ses cultures par le chant : http://singtheworld.fr