Dix ans après la « révolution de la dignité », #AuxSons revient sur l’essor de la musique électronique en Tunisie. Ce Focus ouvre une nouvelle série sur les scènes électro du Maghreb, à suivre !
Les prémisses de la scène électronique tunisienne remontent au milieu des années 1990. A cette époque, en pionnier, Dj Mourad place du son de Detroit et de Chicago dans des clubs touristiques de Hammamet. Son long parcours démarre en 1992 avec la création du show radiophonique « The Strange World of 12 Inches », avant de lancer le collectif Tunis Diaspora 216 avec Dj Nabil et Dj Dali.
A Sousse, le créateur visuel et organisateur de soirées VJ Apachon développe des évènements de qualité dans les clubs de la ville côtière.
The Strange World of 12 Inches
Une seconde vague apparaît dans les années 2000 à Tunis. Erkan Boujellabia (Treecephal, Elixir Géo Ensemble, Silent-Shape Satori) y développe le studio collaboratif El:Xir Labs, où des artistes de tous horizons se rencontrent et expérimentent des fusions inédites. Musicologue et homme de théâtre, Erkan met les compétences de son laboratoire aux services de l’événement « les 24 Heures de la Musique » en Juin 2000 au café-théâtre l’Etoile du Nord. Il y présente une des premières performances live improvisées de musiques électroniques en Tunisie.
En 2005, l’union de SKNDR, Shinigami San, Molsen et l’artiste graphique Kais Dhifi au sein du collectif Hextradecimal engendre une dynamique alternative au paysage commercial dominant.
Hextradecimal Crew Live - 26.06.08
Deux ans plus tard l’« Electro Party » réunit E (Shinigami San et Molsen), SKNDR et le 38ème Parallèle (rock psychédélique expérimental) pour un concert de 3 heures. L’événement marque une avancée certaine de la musique électronique en Tunisie.
A cette époque « Le Boeuf sur le Toit », est le seul lieu tunisois qui accueille des soirées électro, il permet à Hextradecimal d’installer une résidence régulière qui brasse des styles musicaux absents du paysage sonore (IDM, Electronica, Drum N Bass, Techno….).
Winter Fest 2012
En juin 2007, le festival FEST (Festival Echos Sonores de Tunis) est l’événement phare qui finit d’ouvrir le passage de cette culture en Tunisie. Au fil des années son nom se transforme en E-Fest et devient une véritable institution.
Les 10 ans du E-Fest
A travers 11 années d’existence, le festival basé à l’Acropolium de Carthage accueille la crème de la musique électronique mondiale (Luke Vibert, Ellen Allien, Surgeon, Frank Bretschneider, etc…) et soutient la scène locale. Son créateur Afif Riahi élargit peu à peu la programmation aux cultures numériques et organise des ateliers, des expositions ou des événements multimédia comme Intercal.
Intercal
A partir de 2017 l’équipe d’E-Fest, en collaboration avec le collectif La Bulle, lance le projet itinérant « No Logo » qui explore les régions intérieures du pays.
De son côté, le collectif World Full Of Bass, fondé en 2009 par Shinigami San surfe sur le tsunami Dubstep et défend le bas du spectre sonore avec exigence à travers de nombreux évènements. Leur premier anniversaire réunit une poignée d’artistes des scènes électro indépendantes, puis Joe Nice en 2011 ou Darqwan l’année suivante. Des années plus tard, des membres du collectif construisent UNITY Sound System, le premier sound-system tunisien.
World Full Of Bass
Le 5 février 2011, pendant le couvre feu imposé à la suite du soulèvement populaire de fin 2010 et le départ du président déchu le 14 janvier, le collectif Waveform organise la soirée « Under Couvre Feu » en soutien aux victimes et pour marquer leur engagement.
Ce collectif fondé par DJ Ogra s’est épanoui au sein de l’espace artistique alternatif Plug situé à la Marsa près de Tunis, qu’Orga co-anime. Là s’installe une subversion musicale qui stimule la scène musique électronique en Tunisie.
En 2012, le producteur ZRK crée son label de techno pointue Afrotek. Autre producteur techno, Haze-M signe sa première sortie (en collaboration avec Enfants Malins) à l’étranger. Emine Ben Ali (A.k.a. Emine) lance le label underground Source. Le DJ et producteur Hamdi Ryder crée le vinyl shop Eddisco et les soirées « Downtown Vibes : Secret Vibes » qui proposent des rendez-vous secrets House au coeur de la ville. Le producteur Hayej organise quelques événements sauvages « Steppers », dans le respect de la culture Free Party.
L’Ephémère Festival, qui lance entre autres les débuts de Benjemy, effectue sur trois sessions consécutives en 2014, 2015 et 2016, un take over sur le paysage sonore de Hammamet. Il y insuffle un air de fraîcheur, accompagné d’interventions artistiques entre art vidéo et graffitis.
L’année 2015 voit naître le label de musiques non club Infinite Tapes, créé par Krux/DVSN et SKNDR ou le label Techno WARØK créé par Eyth et Clotur.
Festival Ephemere
Le Wax Bar à vinyles devient un lieu de rencontres privilégié pour les musiques club à contre-courant. Il accueille les showcases de WARØK ou les soirées Wax Lab, créés par l’artiste graphique ArtMe.
Avec le collectif Arabstazy ou le producteur Ammar 808, le label Shouka explore les champs de fusions possibles entre musiques traditionnelles et électroniques.
Créé en 2019 par le prolifique Hearthug avec Eyth (sous pseudo Briki) et Emine, Are You Alien ? est le dernier né des labels tunisiens. Avec des artistes comme Marwa Belhaj, Youssef et Mash, la nouvelle génération explore des pistes loin du mainstream.
Boiler Room Tunis Hearthug
Comme toute histoire, celle de la musique électronique en Tunisie s’est faite avec des acteurs, des événements et des lieux de diffusion. Le modèle économique de ces derniers est lié aux conditions d’obtention d’une licence d’alcool, épreuve constante pour le développement de cette scène. L’absence de salles de concerts et de soutien gouvernemental en est une autre. Les festivals récents relèguent parfois les artistes locaux au second plan. Ils constituent, avec l’indifférence des radios, un des grands obstacles à la prise en compte de cette scène en tant que mouvement culturel.
L’accessibilité grandissante de la production musicale via la M.A.O. (musique assistée par ordinateur) a ouvert la porte à une plus grande productivité, notamment à celle du Hip Hop dès 2012, mais l’accroissement du nombre de DJs est confronté à une production timide. Timide au niveau de la quantité comme des orientations artistiques avec une quasi absence d’approches expérimentales.
Quelques artistes réussissent le pari d’une musique originale comme Azu Tiwaline signé chez Livity Sound ou Deena Abdelwahed chez InFiné, dont le succès du premier opus Khonnar prouve que la musique électronique est un champ de création artistique qui doit porter la voix de son auteur sans être assujetti à un système de réponses dicté par la demande.
Deena Abdelwahed - Tawa
Cet article s’inscrit dans une série sur l’électro au Maghreb :
« L’underground algérien… un projet ambitieux à connaître ! »
« Les 90’s oubliées de la musique électronique marocaine »