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Participants Peuls Wodaabe à la fête de chant et de danse Geerewol, 1997, Niger. © Dan Lundberg, Creative Commons Attribution.
Participants Peuls Wodaabe à la fête de chant et de danse Geerewol, 1997, Niger. - © Dan Lundberg, Creative Commons Attribution.

Musiques Nomades Episode 3 : Kel Tamasheq, Peuls & Pygmées.

Passé le détroit de Gibraltar dans le sens inverse des migrants, allons à la rencontre du premier des grands peuples nomades d’Afrique. Nous leur donnons le nom de Touareg, mais eux-mêmes se nomment Kel Tamasheq (ceux qui parlent le tamasheq). Leur langue berbère est apparentée à celles des Imazighen (pluriel de Amazigh) sédentaires d’Afrique du Nord. Leurs tribus regroupées en sept fédérations se répartissent dans le Sahara central et ses bordures : Algérie, Libye, Niger, Burkina Faso, Mali.

 

Carte
Zone de circulation des Tamasheq

Tinariwen (littéralement “les déserts”) a révolutionné la musique du désert, avec ses guitares électriques et ses paroles de combat. Originaire de la région de Kidal au Mali, zone montagneuse de l’Adrar des Ifoghas, il demeure le groupe phare de la cause touareg. Son combat pour la préservation de la culture qui unit les tribus, prend une nouvelle dimension depuis que le désert, leur cher Ténéré, est devenu un champ de manœuvres pour les Islamistes.

 

 

En une vingtaine d’années, la musique touarègue est devenue une tendance appréciée des réseaux internationaux de musiques du monde. Un phénomène analysé par l’anthropologue Marta Amico dans un ouvrage passionnant : La fabrique d’une musique touarègue. Un son du désert dans la World Music. Ce livre, écrit-elle, « suit un mouvement sonore et politique qui recompose le monde touareg à l’aune de la mondialisation : entre la menace de disparition d’un “peuple nomade” et sa surexposition lors de festivals internationaux ; entre le “goûts des autres” des institutions culturelles occidentales et les évolutions esthétiques des répertoires dits traditionnels ; entre l’image internationale du musicien rebelle avec kalachnikov et guitare et la réalité d’un conflit qui transforme le Nord du Mali en un lieu d’enlèvements terroristes et d’affrontements militaires. »

Dans la partie algérienne du Sahara, l’oasis de Djanet est enchâssée au creux du massif montagneux du Tassili N’Ajjer. Ce plateau aride, tout de sables et de forêts de pierres, regorge de peintures et de gravures rupestres. L’oasis abrite les derniers représentants de la poésie targuie. En voici quelques vers que chantait la regrettée Khadidja Othmani : « Que celui qui veut se désaltérer se rende à Tin Gharifane. Il trouvera l’eau fraîche de la source. Quant à celui qui veut voir le printemps, il doit se rendre à Illizi la verdoyante. Ce soir on chantera en l’honneur des seigneurs des grands espaces fascinants. Nous danserons la communion afin d’apprivoiser le désert. » Une poésie accompagnée au son profond du monocorde imzad, inscrit en 2013 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

 

 

L’un des ensembles humains nomades les plus importants de l’aire africaine relève de cette grande famille linguistique des Peuls, qui compte entre vingt et trente millions d’individus. Elle comprend les Pulaar à l’Ouest et les Fulfulde à l’Est, qui se divisent en de nombreux groupes, dans une douzaine de pays, depuis la côte atlantique jusqu’au Lac Tchad. Pasteurs nomades à l’origine, seule une partie des Peuls continuent de pousser leurs troupeaux en quête de pâturages aux franges du Sahel. Un mode de vie rendu de plus en plus précaire par les sécheresses successives et le désintérêt des gouvernants, qui les poussent à se sédentariser.

 

Peuls

 

Les musiques peules sont d’une extraordinaire beauté en termes d’expressions vocales et de polyrythmies. Un de leurs instruments emblématiques est la fameuse flûte peule, qui compte de très nombreux virtuoses. Yakouba Moumouni, leader de Mamar Kassey, groupe star du Niger, est de ceux qui se sont construit une renommée internationale.

 

 

Chaque année en période d’hivernage, les hommes, qui ont nomadisé dans la savane avec les troupeaux, retrouvent les femmes, restées aux campements avec les enfants. C’est l’occasion de grandes fêtes de retrouvailles pour les familles et les clans. Les jeunes femmes y choisissent l’élu de leur cœur. Sandrine Loncke, ethnomusicologue spécialiste des Peuls, a consacré un livre magnifique au Geerewol, la grande fête des nomades Wodaabe du Niger, accompagné d’un film. Cet événement annuel rassemble des milliers de Wodaabe, durant sept jours et sept nuits. « Le Geerewol », écrit-elle : « est une guerre rituelle dont les armes sont le chant et la danse… L’enjeu de cette guerre, son but officiel, est de se voler des femmes. Et son ultime finalité est de se séparer dans la paix. »

Geerewol, musique, danse et liens social chez les Peuls nomades wodaabe du Niger, Sandrine Loncke.

 

Extrait du film “La danse des Wodaabe” de Sandrine Loncke

 

Peul Wodaabés, nomades du Sahel, Dominique Philippe, 2007.

 

Projetons-nous à présent vers la zone forestière équatoriale. Enfonçons-nous sous le couvert de la canopée à la rencontre des plus anciens hôtes humains des forêts africaines : les Pygmées, dont la population est estimée à un demi-million de personnes.

 

Sans Titre

De tradition nomade, ces peuples appartiennent à différents groupes, parmi lesquels : les Baka, les Aka, les Bongo, les Efe, les Kango, les Twa… Chaque groupe parle sa propre langue et pratique ses propres techniques de chasse. Le mode d’habitat varie aussi selon les groupes, de même les rites prennent des formes différentes, tout comme les rythmes et les chants qui constituent leurs musiques, lesquels présentent des variantes assez importantes.

 

 

De nombreux disques vous convient à plonger dans ces sonorités envoutantes, la référence étant sans doute l’Anthologie de la musique des Pygmées Aka, réalisée par Simha Arom pour le label Ocora Radio France.

 

Disques Musiques Pygmées

« Les Pygmées ont inventé une polyphonie libre, ouverte et généreuse fondée sur la répétition de séquences mélodico-rythmiques à multiples variations. L’enchevêtrement des voix, le jeu des timbres et la technique vocale révèlent un contrepoint d’une grande singularité. Ces chants, dont le vaste répertoire est étroitement lié aux activités quotidiennes, impliquent hommes, femmes et enfants à parts égales » écrit l’ethnomusicologue Jean-Claude Lemenuel. Cet art de la polyphonie vocale, accompagnée de percussions, se double chez les Baka d’une pratique de la harpe forestière et des tambours d’eau.

 

 

Au-delà de l’extraordinaire beauté artistique créée par ces communautés, Survival International nous alerte sur le fait qu’aujourd’hui « les Pygmées sont confrontés à la non-reconnaissance de leurs droits territoriaux de chasseurs-cueilleurs, auquel s’ajoute le déni de leur statut de peuple indigène dans de nombreux pays africains. Leurs droits sur les forêts, dont ils dépendent, ne sont pas reconnus. Des États ou des entreprises étrangères peuvent impunément s’emparer de leurs terres. Lorsqu’elles ont perdu leurs modes de vie traditionnels et leurs terres, ces communautés se retrouvent au bas de l’échelle sociale, victimes d’une discrimination généralisée qui affecte tous les aspects de leur vie. » Un constat confirmé par ce poignant court métrage documentaire sur les Baka, co-produit par le Centre International pour le Patrimoine Culturel Africain (CIPCA) à partir des photos et vidéos de Aitor Lara et des sons réalisés par Jose Bautista.

 

 

 

François Bensignor

François Bensignor

Journaliste, auteur de livres, dont Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat, et réalisateur de guides (Les Musiques du Monde chez Larousse, Sans Visa pour Zone Franche, Planètes Musiques et Euro World Book pour l’Irma), il préside le Collectif Musiques et Danses du Monde en Ile-de-France. Cofondateur de Zone Franche, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma, il est l’auteur de films documentaires sur Papa Wemba, Alan Stivell et de jeunes musiciens kanak de Nouvelle-Calédonie. Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music. On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

 

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