Dans la continuité du Focus « Brève histoire de la musique électronique en Tunisie », cet article s’inscrit dans une série sur l’électro au Maghreb, à suivre !
Sur les hauteurs d’Alger, le son des caissons de basse résonne jusqu’à la mer. La fête bat son plein sur le rooftop d’une maison de la Casbah. Sur la piste, il y a foule. Derrière les platines, on retrouve plusieurs DJs et producteurs algériens de musique électronique. En Algérie, plusieurs collectifs se sont donnés pour mission d’abattre les murs chargés d’histoire et de codes sociaux qui cloisonnaient jusque-là la scène musicale algérienne.
Pour raconter l’histoire de la bouillonnante scène des musiques électroniques algériennes, on a pu rassembler certains membres fondateurs de ces collectifs, aux sons et aux désirs variés. Leur point commun : leur amour pour la musique, leur engagement et leur envie de partage. A travers eux, et leur travail constant, une communauté jusqu’alors éparpillée, a su se trouver et se retrouver, sur internet et lors de soirées.
Un mouvement qui répond à ses propres règles et dynamiques…
Cette scène est en plein essor ces dernières années, mais existe depuis les années 90, où Moh Techno et bien d’autres DJs faisaient déjà découvrir au public la Techno et la House en boîte de nuit.
Aujourd’hui, l’histoire continue essentiellement avec le lancement du projet Algerian Techno Movement en 2015, une continuité du projet « Underground Artist Movement » initié par DJ Bokko. Parmi ses fondateurs, on retrouve AKM, DJ et producteur sous le nom 3abdelkader : « ATM c’est avant tout une communauté intergénérationnelle, d’ici et d’ailleurs, pour l’éveil musical et l’échange. »
Parmi les collectifs populaires, on compte aussi l’équipe Between Us, fondée notamment par Hicham Salhi, DJ et producteur, qui organise une série d’événements sous différents formats à Alger.
A l’ouest du pays, le collectif Rebelz rassemble 7 DJs passionnés de techno, minimal et tech house. En 2016 et 2017, ils organisent deux éditions du festival Naturatek, qui rassemblent la communauté de musique électronique underground dans un domaine forestier de la région d’Oran.
Tous partagent un même état d’esprit et un objectif unique : faire revivre la fête en Algérie et déconstruire les idées reçues et préjugés autour de l’univers électronique. Leur démarche est spontanée et ne copie aucun modèle établi. L’Algérie n’étant pas un pays touristique, l’influence de DJs étrangers est moins importante que dans le reste du Maghreb.
C’est surtout internet et les réseaux sociaux qui permettent à ces artistes d’échanger avec le public : « Sur internet, on se rend bien compte que les fans de musique électronique sont nombreux et sont demandeurs de nouveautés du nord au sud et de l’est à l’ouest. L’Algérie est un très grand pays, et il y a toujours des initiatives ponctuelles. Aujourd’hui nous sommes mieux organisés et plus structurés, avec des collectifs, et des diffusions de nos productions quasi quotidiennes » nous dit AKM.
Faire avec les moyens du bord…
Mais le manque d’infrastructures freine le développement de la musique électronique en Algérie. Outre les démarches administratives lourdes et les autorisations compliquées à obtenir, il y a un réel manque de professionnalisation de l’organisation d’événements culturels.
Cette partie est complètement gérée par les collectifs d’artistes, de la réservation de la salle à la conception de la scène : « Ce qui nous a permis jusque-là d’organiser nos soirées, c’est que l’on est multi-casquettes. On est à la fois artistes, techniciens, agents de logistique, décorateurs, etc. Au-delà de la composition du line-up, il faut trouver une salle qui accepte d’accueillir ce type d’évènements. Il faut prendre en compte la contrainte du transport pour que le public puisse s’y rendre facilement. Il faut aussi prévoir la sécurité. Tous ces facteurs extérieurs peuvent être un vrai challenge dans l’organisation », nous confie Hichem Salhi. La plupart des événements sont financés par les membres du collectif eux-mêmes. Leur priorité étant d’abord, culturelle et non lucrative.
Il existe un véritable enjeu dans la création d’une structure permanente : un lieu dédié à l’accueil de ces artistes. Une forme de repère et de symbole, pour toute la communauté, comme il en existe partout dans le monde, et qui permettrait d’inscrire ce courant dans la vie culturelle du pays. « Le format clubbing qui est le plus présent, offre un espace assez réduit musicalement (généraliste/House) car trop guindé et surtout devant être rentable et faire du profit. Ces clubs ne correspondent pas à notre univers » nous dit Adel Picasso, DJ et organisateur d’événements à Alger.
L’avenir de la scène algérienne : Doucement mais surement…
Lorsque l’on pose la question de l’avenir, on comprend vite que l’enjeu est double. Au-delà de fédérer les amoureux de ces musiques, il y a une réelle ambition de faire éclore les talents bruts algériens.
« Il faut d’abord continuer à développer une techno 100% algérienne ». La composition est un exercice intéressant pour tous ces DJs, puisque le répertoire à disposition est extrêmement riche : « En terme de rythmes, la musique folklorique Algérienne est un héritage inouï pour les DJs et les producteurs. Beaucoup d’entre nous l’explorons et l’intégrons déjà dans nos univers musicaux, car cela fait partie de notre environnement. C’est en accord avec notre envie de créer sans copier » explique AKM.
Il s’agit ensuite d’offrir une vitrine aux protagonistes qui leur permette de partager en continu avec leurs fans. Sur internet, les collectifs sont très productifs, on y retrouve une abondance de tracks, et une diffusion régulière de podcasts, ce qui reflète bien l’ébullition de la scène actuelle. Le collectif REBELZ publie consciencieusement, sur Soundcloud et Mixcloud, un set hebdomadaire de l’un de leur 7 DJs : « Nous n’avons pas manqué une seule semaine ! Depuis deux ans, tous les jeudis, nous sommes au rendez-vous. Récemment, nous avons publié notre 100ème podcast, qui a réuni tous les membres du collectif, sur plus de 6 heures de direct, et ce n’est que le commencement » raconte le membre fondateur Reda Doni. Autre exemple, le groupe Facebook Algerian Popular Techno Movement, où se côtoient fans de musique électronique, DJ et producteurs, publie régulièrement sur Soundcloud, sous la série Tariqa, des podcasts 100% algériens.
Si l’ambition est forte, les membres des collectifs algériens espèrent aussi que les institutions culturelles locales facilitent la concrétisation de leurs projets, la lumière serait ainsi faite sur une contre-culture qui existe bel et bien en Algérie.
« Notre but est surtout de préparer le terrain pour les futures générations d’artistes, pour qu’ils ne galèrent pas comme nous, et qu’ils ne se découragent pas. » AKM
Plusieurs noms se sont dernièrement fait remarquer et connaissent un succès considérable, tels que Dark Mate, Inject 31, pour ne citer qu’eux.
Cette énergie constante engendre un bel espoir, et l’avenir de la scène underground semble prendre forme à travers plusieurs projets, qui sont en cours de réalisation. L’équipe Between Us nous a confié qu’ils prévoyaient un premier festival underground en 2021. Les collaborations entre artistes et plateformes de diffusion étrangères se multiplient (comme la plateforme parisienne DIGGR et RTS FM à Berlin), avec le support de Djs comme Adel Picasso et Idriss D, la sortie d’une compilation inédite de producteurs algériens, dont nous entendrons parler prochainement.
Cet article s’inscrit dans une série sur l’électro au Maghreb :
« Brève histoire de la musique électronique en Tunisie »
« Les 90’s oubliées de la musique électronique marocaine »