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Stevo Atambire
Stevo Atambire - Stevo Atambire

Le sens de la fête au Ghana, highlife et dérivés

Le Ghana : Nana Ampadu & les African Brothers d’Accra, Ebo Taylor, Koo Nimo, Gyedu-Blay Ambolley - le « James Brown du Ghana » au style simigwa - Pat Thomas & The Kwashibu Area Band, Orlando Julius & The Heliocentrics, K Frimpong… ce ne sont pas les icônes de l’âge d’or du highlife qui manquent. Mais, la puissance de ce mouvement musical - précurseur de l’afrobeat nigérian de Fela Kuti - ne se limite pas à ses illustres figures ; elle se conjugue également au présent grâce à une relève dont Santrofi, Afla Sackey & Afrik Bawantu et Ah!Kwantou se font les éloquents ambassadeurs. S’emparant d’un héritage, ils privilégient l’odonso - la version euphorique du highlife - en y ajoutant de nouvelles paroles.

Simultanément, le Ghana s’illustre par l’explosion de l’azonto (documentaire Révolution Fonko). Cette danse, née dans les faubourgs d’Accra et proche du coupé-décalé ivoirien, inonde les clubs de la capitale sur les sons de Medikal ou Sarkodie, rappeurs parmi les plus influents d’Afrique. C’est sans compter le hiplife de Fokn Bois, le frafra gospel de Florence Adooni, les fusions afrofuturistes d’un K.O.G ou les créations contemporaines au kologo - luth traditionnel à deux cordes - de King Ayisoba ou d’Alostmen. Si tant est que ce soit possible, tentons un tour d’horizon de l’effervescence à la ghanéenne !

 

Highlife ou l’art jubilatoire des hybridations

Rock, jazz, funk, hip hop, soul, reggae, swing, disco, reggaeton, salsa, soukous, amapiano…le Ghana, est le terrain par excellence de l’hybridation musicale où les notion d’Afrique et d’Occident se dissolvent en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Total Hip Replacement & Anyankofo - Smoke And Mirrors 

 

Premier État d’Afrique subsaharienne à connaître l’indépendance en 1957, le Ghana (anciennement baptisé Gold Coast) est indéfectiblement marqué par le highlife, mélange de calypso caribéen, de musique afro-cubaine et de jazz Be-Bop, qui a accompagné son émancipation, propulsée par la trompette galvanisante d’E.T. Mensah.

E.T. Mensah - Ghana Freedom

 

Si les mélanges musicaux sont si importants au Ghana, c’est que les circulations sont majeures entre ce pays - toujours membre du Commonwealth - et le monde. Que ce soient les soldats anglo-saxons qui fondèrent les premiers ballrooms afro-européens sur le sol ghanéen ou les musiciens d’Accra -  portés par la vague panafricaniste - qui allèrent se former à Londres, le syncrétisme est constant. La diaspora est, en effet, un des fils conducteur de l’histoire du Ghana ; une histoire tumultueuse mais qui privilégia les croisements d’influences. En attestent, déjà au XVIIème siècle, l’incorporation d’éléments mandingues dans la harpe-luth seperewa akan, celle des accordéons des marins du Libéria dans la musique Fanti Osibisaaba des années 30 ou encore le « burger highlife ». Ce dernier, né en Allemagne, version synth-pop/boogie prônée par George Darko, est devenu culte avec l’afro-rock du groupe londonien Osibisa. L’exil vers l’Europe, dans les années 80, était alors la meilleure option, face à l’embargo, pour continuer à être musicien.

Osibisa - Sunshine Day

 

Représentant davantage une matrice de création qu’un héritage, au genre imperméable et à l’instrumentarium bien défini, le highlife est bel et bien un état d’esprit. Sur des litanies entraînantes, s’applique le principe du décloisonnement, du jeu subversif. Face à l’adversité - coups d’état militaires, couvre-feux à répétition, précarité - le rythme haletant de la joie et les pulsations de optimisme l’emportent.

Du panafricanisme à l’afrofuturisme, il n’y a qu’un pas. On ne compte plus les artistes ghanéens qui actualisent leur idiosyncrasie musicale sous le sceau d’une même frénésie syncopée. C’est le « new highlife », toujours plus éclectique. Citons le « roi » du Ghana K.O.G., leader de The Zongo Brigade et d’ONIPA, la performeuse expérimentale Jojo Abot, la techno-soul-free jazz d’ELi A Free, l’afro-roots de Rocky Dawuni ou la diva montante de l’afro-pop Wiyaala…tous ont en commun de débrider les imaginaires tant visuels que sonores.

Wiyaala - Yaga Yaga (Plenty Plenty)

De l’église au club, en passant par la place du marché et le palm wine bar

Kumasi, le berceau du highlife, l’a vu naître comme divertissement réservé aux élites. Joué pour le roi, à l’occasion des grands événements, seuls les riches avaient le droit de l’écouter. Pensé ensuite comme la musique savante sous sa forme orchestrale, le highlife contient néanmoins une version première plus populaire : le jeu de guitare palmwine (à deux doigts) -  « la musique du vin de palme » ou blues rural - popularisée par Kwabena Nyama. Accompagnée par le penpensiwa, lamellophone géant, et de percussions rudimentaires telles que le kunkun - deux boîtes de conserve frottées l’une contre l’autre -, une fourchette ou une pièce de monnaie frappées contre une bouteille de bière, cette musique acoustique, bricolée, narre et rythme le quotidien à coups d’ostinato, l’auréolant de poésie sur des thèmes universels (bonheur, maladie, amour, mort).

The KYF ! Invitational - Kyekyeku

 

Un autre genre musical et vocal, issu cette fois des campagnes du nord-est du Ghana - du pays frafra - est symbolisé par le kologo, l’ancêtre présumé du banjo. À l’origine instrument du barde solitaire, il est popularisé par les stars King Ayisoba, Ayuune Sule, Guy One et le label hollandais Makkum Records (compilation This is Kologo Power) puis le label anglais Strut Records. Aujourd’hui électrifié au moyen de boucles analogiques, il occupe encore une place importante dans les cérémonies collectives de Bolgatanga (capitale de la région) telles que mariages et funérailles - où, à côté des sound systems, rivalisent les joueurs de kologo et de flûte loués pour l’occasion - ou dans les bars lors de la confection de la bière traditionnelle pito…Composé de mélodies hypnotiques, répétitives et joué sur des rythmes percussifs très rapides, le kologo sert, par excellence, la catharsis de la transe.

 

 

Le frafra gospel - avec ses gammes pentatoniques - continue, lui aussi, de servir la ferveur religieuse de la communauté à la messe du dimanche tout en s’exportant dans les clubs internationaux grâce à la version digitale produite par le beat-maker Francis Ayamga dans son populaire studio Top Link. Curateur de la compilation This is Frafra Power, il a notamment fait connaître la puissante voix du chef de choeur Linda Ayupuka. Autres exemples : Alogte Oho & His Sounds of Joy - propulsé par le label berlinois Philophon et encensé par Gilles Peterson - et Florence Adooni qui mélange highlife et frafra gospel.

 

 

Convoqué lors des « concert parties », le highlife démocratisé était mis au service de la satire théâtrale des tensions politiques traversées par le pays, avant et après l’indépendance. C’est dans ce sillon que s’inscrivent bon nombre d’artistes ghanéens aujourd’hui avec pour mot d’ordre : l’engagement. Qu’elle prenne les atours du rap caustique de Fokn Bois, militant pour les droits LGBTQI+ - dans un pays qui sanctionne pénalement l’homosexualité - de leur homologue songwriter Agorvey, de l’afro-dancehall de Stonebwoy ou de l’afrobeat au féminin des Lipstick Queens, la musique au Ghana reste intimement associée à la célébration de la différence.

Lipstick Queens - Maria

 

Grâce à la puissance de la voix, le corps transcrit la réalité dans laquelle il est embarqué afin de contrer le désenchantement. C’est la même ambition, la même révolte, qu’on retrouve dans les banlieues d’Accra ou de Kumasi chez les jeunes d’Asakaa boys, Yaw Tog, Jay Bahd, Kwaku DMC et leur drill ghanéenne en dialecte twi - dérivée du rap américain et du grime londonien. La rencontre entre la trap et le highlife : Santrofi l’a fait en invitant Yaw Tog sur le titre Sei Mu.

 

Sandrine Le Coz

Sandrine Le Coz
Sandrine Le Coz

Diplômée d’une licence en lettres modernes et d'un master en anthropologie, Sandrine Le Coz réalise actuellement un doctorat d’anthropologie sociale à l’EHESS à Paris.

Sa recherche de thèse porte sur les réseaux professionnels structurant le secteur de la diffusion et de la commercialisation des musiques du monde. Initié en Australie -avec l’Australasian World Music Expo, à Melbourne- son travail de terrain prend pour objet d’analyse ce que l’on appelle communément dans l’industrie de la musique : « marché » ou « salon ». A travers une ethnographie multi-située, elle se propose de décliner les relations entre les différents acteurs-clés et l’impact de leur pouvoir décisionnaire lors de sélections ou d’attributions de prix par des jurys. L’aide à la visibilité, l’attribution de la « valeur artistique » ainsi que les enjeux soulevés par la reproduction de rapports hiérarchiques coercitifs se trouve ainsi au coeur de sa réflexion sur un processus de création aux prises avec une concurrence économique mondialisée et exponentielle.

Par ailleurs, elle travaille également dans le champ des musiques du monde en tant que journaliste, tourneuse, régisseuse artistique, scénariste, attachée de production, de communication, chargée de diffusion et de programmation pour différentes institutions telles qu'Hermès (depuis 2018), évènements et festivals dont le Festival de l'Imaginaire (2016), le Festival des Musiques Sacrées de Fès, le World Sacred Spirit Festival en Inde (depuis 2017) ou Al Kamandjati Festival en Palestine (2018).

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