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Tarrwaysins à Tiznit © Fondation Banque Populaire
Tarrwaysins à Tiznit © Fondation Banque Populaire - Tarrwaysins à Tiznit © Fondation Banque Populaire

L’Art des Rrways

Au Sud-Ouest du Maroc, un peuple berbérophone créa un genre poétique, musical et chorégraphique à nul autre pareil, qu’il perpétue avec succès. Pour tout savoir sur cette culture vivante, L’Art des Rrways vient de paraître.

Cet impressionnant beau livre de près de 400 pages met une somme de connaissances à la portée de tous avec un ensemble de textes en deux langues, arabe et français. L’ouvrage, à l’iconographie recherchée et à l’édition somptueuse, aborde l’univers des Rrways (pluriel de Raïs) sous tous ses aspects : historique, culturel, sociologique, musical et artistique. Il complète le coffret de 10 CDs Anthologie des Rrways – Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes, qui présente les voix et la musique des grandes figures contemporaines vivantes au moment de son enregistrement en 2019. Pilotées par l’Agence culturelle Anya, laquelle gère aussi le salon-festival Visa For Music à Rabat, ces deux publications sont le fruit d’une vie de passion, celle de Brahim El Mazned, qui commença par consacrer un festival aux musiques amazighes, Timitar à Agadir. « C’est la musique de mon enfance, dit-il. Quand on me demande combien de temps j’ai pris pour faire ce livre, je réponds deux années plus une vie. »

L'art des Rrways © Anya
L’art des Rrways © Anya

 

Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes

  • Taliwin chanson de Lhaj Belaid (circa 1945-1973), LA référence des Rrways, interprété par Ammouri M’barek (avec traduction français)

 

Le “tirruysa”, ou art des Rrways, est un genre spécifique aux populations berbères locutrices du tachelhit établies dans la région marocaine du Souss, les Chleuhs. Les Rrways, sortes de bardes aux troupes itinérantes, qui transportaient jadis à travers leurs chansons les nouvelles de village en village, continuent aujourd’hui d’animer les réjouissances de leur communauté, dont les deux tiers vivent en exil dans les grandes villes marocaines ou européennes. « Ce qui différencie le tirruysa d’autres genres populaires marocains, comme la aïta, c’est que les artistes sont auteurs et compositeurs de leurs œuvres » précise Brahim El Mazned.

 

  • Rrays Aarab Atiggui

 

Lui-même originaire du Souss, Brahim El Mazned, voyant s’étioler la mémoire du grand art de son peuple, a voulu le fixer pour les générations futures. « Compte tenu de mon histoire, de mon identité, de ma famille, j’avais vraiment envie de mener ce projet à bien. Il est consacré à la communauté des gens simples qui jouent cette musique. Elle a un rôle sociétal et est toujours vivante, même si son environnement est en pleine mutation. Ce livre est destiné à mes enfants et va contribuer à nourrir la bibliothèque musicale du Maroc. »

Infatigable promoteur d’échanges artistiques internationaux, des musiques marocaines à l’étranger et de la professionnalisation des artistes dans son pays, Brahim El Mazned déploie une énergie farouche dans le domaine de la production de spectacles, de l’organisation d’événement musicaux et de rencontres globales. La pandémie du Covid 19 mettait un coup d’arrêt brutal à ses acticités, lui offrant l’occasion unique de mettre en œuvre le projet de livre dont il rêvait.

 

  • Fatima Tabaamrant

 

Brahim El Mazned plonge alors dans toute cette documentation qu’il a accumulée en réalisant l’Anthologie des Rrways : enregistrements audio, vidéos, témoignages, textes, ouvrages en arabe, en français, en anglais… Il va concevoir l’architecture du livre et en écrire certains passages, épaulé par El Khatir Aboulkacen, directeur de recherche à l’Institut Royal de la Culture Amazighe de Rabat. L’ouvrage présente deux grandes parties. La première est consacrée aux voix pionnières qui ont fait d’une musique de réjouissances et de lien social un grand art populaire. La deuxième s’attache à ses transformations jusqu’à l’époque contemporaine, et s’attarde sur l’âge d’or du ”tirruysa“ dans les années 1970-80.

« La première période, au début du XXe siècle, est marquée par la fixation du son des grands artistes sur 78 tours et par le rôle des mécènes, essentiellement des notables de l’Atlas, qui appréciaient cette musique et accueillaient les artistes au cours de leur “errance” », explique Brahim El Mazned : « Je dis errance, parce qu’ils étaient sur la route dans les montagnes durant l’été, et l’hiver dans les régions plus clémentes du Sud marocain, toujours accueillis par des passionnés. C’était l’époque du protectorat français, qui a suscité l’engouement de ceux que j’appelle les “explorateurs” de ces musiques, un intérêt exceptionnel pour la culture de cette petite région à l’échelle de l’Afrique. À l’époque, des troupes de Rways ont été invitées à se produire et enregistrer à Paris ou à Grenoble. »

 

  • Rrways, Anthologie des Rrways, documentaire version française

 

L’art des Rrways subit sa traversée du désert après l’indépendance du Maroc en 1956, puis renait avec le 45 tours et connait son âge d’or grâce à la cassette audio. « À cette période, les artistes enregistraient leurs cassettes l’hiver », explique Brahim El Mazned :« L’aménagement routier leur permettait de circuler de mieux en mieux à l’intérieur du pays. Et les notables qui avaient émigré vers les grandes villes comme Casablanca, Paris ou Bruxelles se faisaient une fierté d’inviter des troupes de Rrways, qui contribuaient à leur bienêtre en calmant leur nostalgie. »

 

  • Rraysa Fatima Tihihit Mzzin

 

« La communauté des Rrways a su s’adapter aux évolutions actuelles. Chaque artiste a maintenant sa chaîne Youtube. Mais bien évidemment, comme le monde a changé, beaucoup de choses ont disparu, comme le rapport maître à disciple dans la transmission. Du début du XXe siècle jusqu’aux années 1990, chaque Raïs avait sa propre troupe, sa communauté d’artistes. Ils vivaient tous ensemble. Aujourd’hui, pour des raisons économique, les musiciens passent d’une compagnie à une autre. Les artistes travaillent essentiellement en studio et, par rapport à l’âge d’or du style, on trouve beaucoup moins de musiciens de scène, de choristes ou de danseuses. »

La riche iconographie du livre a de quoi fasciner. « J’ai pu obtenir des photos anciennes auprès des Archives Diplomatiques de Nantes, ainsi qu’auprès de la Bibliothèque Nationale du Maroc », dit Brahim El Mazned :« Certaines photos viennent d’archives privées de familles ou de photographes, d’agences de presse et de mes archives personnelles. J’ai bénéficié d’une grande générosité de la part des membres de cette communauté artistique, qui savaient que je travaillais sur le sujet. Toutes nos sources sont citées. Mais je n’ai utilisé que la moitié de l’iconographie que j’avais rassemblée… Un musée devrait ouvrir prochainement à Agadir, auquel nous pourrions consacrer une partie des documents qui ont servi pour le livre. »

 

 

François Bensignor

François Bensignor

Journaliste musical depuis la fin des années 1970, il est l’auteur de Sons d’Afrique (Marabout, 1988), de la biographie Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat (éditions Demi-Lune, 2012). Il a dirigé l’édition du Guide Totem Les Musiques du Monde (Larousse, 2002) et de Kaneka, Musique en Mouvement (Centre Tjibaou, Nouméa 2013).

Cofondateur de Zone Franche en 1990, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma (2002-14), il a coordonné la réalisation de Sans Visa, le Guide des musiques de l’espace francophone (Zone Franche/Irma, 1991 et 1995), des quatre dernières éditions de Planètes Musiques et de l’Euro World Book (Irma).

Auteur des films documentaires Papa Wemba Fula Ngenge (Nova/Paris Première, 2000) tourné à Kinshasa, Au-Delà des Frontières, Stivell (France 3, 2011) et Belaï, le voyage de Lélé (La Belle Télé, 2018) tourné en Nouvelle-Calédonie, il crée pour la chaîne Melody d’Afrique la série d’émissions Les Sons de… (2017).

Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music pour la Cité de la Musique de Paris (2014).

On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

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