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Oriane, René et Marco Lacaille
Oriane, René et Marco Lacaille - © Coline Linder

Lacaille dynastie

Denis Péan, chanteur du groupe Lo’Jo, narre les aventures de son compère réunionnais René Lacaille en partageant quelques anecdotes inédites : entre ses influences précoces, les amis musiciens rencontrés sur la route, jusqu’aux marmailles. 

Pays de Cyclones

Pendant le cyclone de 1948 sur l’île de la Réunion le vent faisait s’envoler les toits, le dernier calumet* (assemblage de hampes de bambous utilisé comme couverture des maisons créoles) protégeait René le plus petit de la famille. C’est le récit de la grande sœur qui se souvient aussi des surnoms que le grand-père donnait à l’envie : Barbouillé, Zandèt, Robert le Diable, Fesses-noires, c’est un bout du pays dans la malice d’une langue.

Il y avait encore de la misère, René commence à jouer dès l’âge de 7 ans dans l’Orchestre Lacaille, le père est homme-orchestre.

On joue douze heures de suite - dans les carrousels de bois des fêtes foraines, dans les bals de mariage - calypsos, scottish, polkas, biguines, ségas, tangos ; on revenait avec une poule ou un cochon.

Si le père descendait de blancs, sa mère était cafrine* (femme d’origine africaine), descendante d’esclaves ; la musique était interdite aux filles, Oriane la fille de René se souvient qu’adolescente elle fut impressionnée par Françoise Guimbert, c’est la première fois qu’elle voyait une femme au roulèr* (tambour originellement fait à partir d’un tonneau qui est la percussion basse dans le maloya).

Maximin, l’ainé faisait danser une foule aux maracas, c’était aussi une star de l’accordéon ; plus tard René citera avec émotion l’ami Marcel Loeffler quand il caresse son accordéon.

A 10 ans René commence à jouer du tambour pour les danseurs de moringue (capoeira réunionnaise) devant la boutique du chinois où on « piquait son p’ti rhum ». Il rêve d’aller apprendre le solfège en France.

 

Les classes

En 66, il fait ses classes en « France » plus une rallonge au mitard ; à l’époque du twist il devient chef d’orchestre de la garnison.

Puis il rejoint son frère Renaud à St Maixent et rentre à la basse dans l’orchestre de Jacky Michel, on joue : Sardou, Eddie Mitchell, Christophe et une « série américaine » : Sinatra, Chicago.  Les artistes de variété arrivaient avec leur 45 tours, Renaud relève les partitions et l’orchestre accompagne, il fait aussi plancher René sur les partitions de tangos.

 

Paris

Fin 60, beaucoup de duos sont demandés dans les boîtes corses ou spanish, dans les bars manouches. Au « Clairon des Chasseurs » il est pris en amitié par les guitaristes manouches et apprend beaucoup de Boulou Ferré.

Les Shadows venaient de « tuer » l’accordéon ; le week-end il part à travers la France faire du bal musette à la basse. Il enregistre une chanson avec le chanteur angolais Bonga comme prémisse à une carrière internationale.

 

L’épopée « Caméléon »

 

Michou et Caméléon - © Collection familiale.

Il rentre au pays jouer dans le duo tzigane avec Luc Donnat et fonder Ad Hoc. Il compose un tube Sax Séga, joue le sax et un solo de guitare mythique.

Les artistes de métropole - Nicoletta, G.Allwright, Moustaki - sympathisent avec ces énergumènes qui parlent le créole « cagnar » (créole des rues).

Le groupe Caméléon casse la baraque, les Stones réunionnais ! Péters avait déjà fait son apprentissage dans « Pop Décadence » et « Les Lords ».

René et Péters dorment trois ans au Studio Royal - l’un la tête dans le tambour, l’autre le long de la batterie - c’est là qu’ils voient un jour arriver le jeune Danyèl Waro encore inconnu.

Le groupe accompagne les chanteurs qui viennent avec leur simple mélodie, c’est Caméléon sur la première version de Tantine Zaza de F. Guimbert. Maloya Mon Tisane de Michou est un des premiers ponts entre séga et maloya, dans la famille Lacaille on ne jouait pas le maloya, il y avait une vraie scission, la génération est en train de bousculer l’histoire.

Caméléon joue des reprises de Led Zep, des Beatles, Genesis, c’est l’émeute à l’entrée des salles, quand le groupe reprend Starless de King Crimson c’est la folie.

Alain Péters et René Lacaille -  © Collection privée

C’est après qu’Alain Péters enregistre ses chansons en créole sur magnéto Revox - elles deviendront le légendaire Parabolèr. Tout résonne 50 ans plus tard comme un air de légende. René, lui, retourne en métropole en cette année 79.

 

Le Monde 

© Claude Poulet

Avec Odile la compagne d’une vie ils produisent Ségas Instrumentaux de l’Ile de La Réunion. Elle me confie qu’un concert de Danyèl Waro a ramené René à l’accordéon. Le disque Dig Dig avec le guitariste Bob Brozman sera plébiscité à New-York avant même Paris. Bob joue en open-tuning* et apprend à René que son accordage n’est jamais que l’accordage colonial, petite vexation mais grande révélation.

Bob Brozman et René Lacaille

 

Les noms se mélangent … l’ami Manu Dibango, Dédé Minvielle, Dédé St Prix, Les Ogres de Barback, Debashish Bhattacharya duquel il apprendra beaucoup … je n’écoute plus, je rêve à cette vie d’amitiés aux antipodes. Je raccroche à Loïc Lantoine, c’est avec lui qu’il a commencé à être attentif aux paroles sur Le Petit Cheval.

A 77 ans les projets nourrissent l’avenir : un disque d’après les chansons de Bobby Lapointe, son quartet Bassin Dial, un disque solo accordéon, une marmite qui frétille dans la cuisine pendant que René tourne un vieux séga.

 

René Lacaille - Le Caméléon du Maloya

 

Marmailles

La première fois que je l’ai vu c’était à Québec, ses deux marmailles autour de lui, gamins ils découvrent Danyèl Waro sur une cassette pirate donnée par Higelin ; 25 ans après demeurent chez eux 3 trésors familiaux : les cadences ternaires de l’Océan Indien, la langue créole et la culture littéraire française de la maman.

Oriane Lacaille après avoir - avec Coline Linder - formé Titi Zaro, chante au sein de Bonbon Vodou, avant de réaliser son premier album solo habité par ses idoles d’enfance, de Granmoun Lélé à Christine Salem.

Marco après avoir parcouru le monde avec le groupe américain Coco Rosie, - chanteur, percussionniste, bassiste dans le Ligerian Social Club, Galawé, Décolaz - il garde en héritage la dimension sociale du bal même s’il ne repart plus avec une poule ni un cochon.

Oriane Lacaille - Ode Au Doute

 

*Calumets : assemblage de hampes de bambous utilisé comme couverture des maisons créoles

*Roulèr : tambour originellement fait à partir d’un tonneau qui est la percussion basse dans le maloya

*Cafrine : femme d’origine africaine

*Marmaille : enfant

*Open-tuning : l’accord ouvert est une technique d’accordage, les cordes sont accordées de façon différentes de l’accordage standard

Playlist de Christine Salem

Denis Péan

Denis Péan © Fabien Tijou
Denis Péan © Fabien Tijou

Chanteur du groupe Lo'jo, aux accents étranges et familiers qui exsudent un travail ciselé sur la langue, un amour des mots débités façon rap, griot africain ou conteur créole sur un fond de Café du Commerce.

Il est voyageur depuis 30 ans de Timbuktu à Tbilisi, de Canton à Alger, de nulle part à ailleurs.

Compositeur et pianiste, il invente des dubs de chambre sur électro-acoustique, des sonates pour enfant de Voodoo, des géographies pour orchestre de computers et d'orgue-jouet, des blues d'oiseaux sur transgressions de fréquences.

Il lance à l'encre sur papier de riz des poésies inquiètes et ses proses solaires. Calligraphe pour miniatures d'extraordinaire, il mène la vie comme ses entre-sorts forains, de bric-et-de-broc, ...  "à l'aventure" tel les bateliers anciens.

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