Depuis près d’un siècle, le flamenco fait vibrer Paris, ville d’accueil de musiciens et danseurs espagnols, devenue l’un des centres névralgiques du rayonnement international de cet art. Du quartier latin aux portes de Paris, cet article vous propose un itinéraire en trois escales au sein des lieux, pour certains disparus, qui ont permis l’épanouissement du flamenco dans la capitale depuis les années 50.
Le Catalan – un restaurant du quartier latin devenu cabaret-tablao
Dans le courant de la Seconde Guerre Mondiale, au détour de la rue des Grands Augustins dans le sixième arrondissement, un café-restaurant devient le rendez-vous des artistes espagnols exilés, mais aussi, des peintres et écrivains français de l’époque. Ce lieu s’appelle le Catalan, il est tenu par Joan Castanyer (1903-1972) – alias Jean Castanier – lui aussi artiste s’exerçant à la peinture, à l’écriture ou encore au cinéma. Picasso y vient pour manger, puis en fait un lieu d’inspiration de premier ordre, tandis que s’y croisent le poète Léon-Paul Fargue, ou les peintres Óscar Dominguez ou André Dunoyer de Segonzac, puis Jean Paul Sartre, ou encore, Jean Cocteau.
Extrait du film « Gitans d’Espagnes » réalisé par Jean Castanier, tenancier du Catalan
Au fil des années, ce restaurant se transforme en un cabaret proposant des spectacles de flamenco à la manière d’un tablao ou des plus anciens cafés cantante, ces bars nocturnes où se produisaient tour à tour les chanteurs andalous depuis la fin du XIXème. Entre les années 50 et les années 70, le Catalan accueille les plus grands artistes de l’époque comme Pepe de Córdoba, Pepe de Malaga, Rafael Romero, Román el Granaíno, Pepe de Almeria, Carmen Ruiz ou encore Niño de Murcia.
C’est aussi au Catalan, que le franco-suisse, René Robert découvre cet art, avant d’en devenir l’un des photographes les plus emblématiques des dernières décennies. A la fin des années 60, il y rencontre Manolo Marín, puis immortalise la danseuse Nieves la Pimienta. Sa carrière l’amènera à suivre Camarón de la Isla, Aurora Vargas, Paco de Lucía, Belén Maya, Fernanda de Utrera, Tomatito, El Torta, ou encore Vicente Amigo. Ses photographies dévoilent l’émotion des musiciens saisie sur le vif par des plans resserrés et un traitement subtil du noir et blanc. Près de cinquante ans après la fermeture du Catalan, le photographe iconique décède de manière tragique le 20 janvier 2022, dans l’indifférence des passants de Paris.
La naissance de « Flamenco en France » : une peña dans un passage du vingtième arrondissement
En 1979, un groupe d’aficionados français et espagnols, parmi lesquels Frédéric Duval et Paco de la Rosa, fondent Flamenco en France. Le projet est d’abord artisanal et entièrement bénévole. Bientôt, Flamenco en France prend racine dans les murs d’une ancienne mercerie et fabrique de boutons au sein d’un passage ouvrier du 20ème arrondissement. Le premier artiste à s’y produire n’est autre qu’Enrique Morente. En 1993, l’association participe à l’organisation du XXIème Congrès d’Art Flamenco à Paris, une première hors des frontières andalouses pour cette institution du flamenco. Au fils des années, beaucoup d’artistes espagnols foulent les planches de Flamenco en France, à l’instar de Farruco, El Pele, Maria Del Mar Moreno ou encore Israel Galvan.
Dolores Agujetas y Familia - Villancico
le 21 décembre 2007 à Flamenco en France (concert non sonorisé).
L’axe artistique du lieu se développe autour du chant et de la recherche de conditions de spectacle au plus proche de la peña traditionnelle. Il offre, encore aujourd’hui, des concerts et dispense un enseignement de guitare, de chant et de danse à plus de 400 élèves.
La Tobala et Pedro Sierra - janvier 2020 à Flamenco en France
Planète Andalucia, un tablao aux portes de Paris
En 1997, au fond d’une cour de la rue Emile Zola à Montreuil, Jean-Paul Ferrand créé Planète Andalucia dans une ancienne imprimerie. Le lieu est aménagé comme un tablao pouvant accueillir jusqu’à 250 personnes. Il devient, dans le tournant des années 2000, un passage incontournable pour les artistes espagnols et français et un lieu de production pour de nombreux projets musicaux, initiant parfois des rencontres musicales entre le flamenco et d’autres esthétiques musicales comme le jazz. Entre 1998 et 2009, le lieu accueille plus de 270 spectacles soit près 471 artistes.
La danseuse Pastora Galván à Planète Andalucía, Paris - enregistré en directe pour le film Mi padre, su flamenco, e yo.
« Du temps de Planète Andalucia, on disait souvent que si Paris était Séville, Montreuil serait Triana. Pendant les 10 dernières années, c’était le passage obligé des flamencos à Paris et en France. C’est aussi à Planète Andalucia que toute une génération de musiciens et danseurs a commencé à se produire », raconte Laurent Milhoud qui s’est occupé du lieu pendant plusieurs années. Au sein de cette génération, on compte notamment des musiciens comme Cristo Cortes, Jose Cortes, Alberto Garcia, Ana Perez ou Alejandra Gonzalez. Pour la danseuse Sharon Sultan, la découverte de Planète Andalucia a coïncidé avec son arrivée à Paris en tant qu’artiste : « Tous les week-ends on se retrouvait là-bas. Quand je suis arrivée en France, je ne connaissais personne. C’était un vrai tablao flamenco, et dans cette cour, c’était comme si on arrivait à Séville. J’y ai rencontré beaucoup d’artistes avec qui j’ai ensuite noué des collaborations. »
Parmi les moments les plus emblématiques de Planète Andalucia, Laurent Milhoud se souvient :
« Il y a eu ce spectacle de La Farruca. Elle n’avait pas dansé depuis trois ans en public car elle était en deuil. Au début de la deuxième partie, elle a envoyé sa soléa. Je ne l’ai jamais vu danser aussi bien. C’est un de mes plus grands souvenirs de flamenco. » Le lieu ferme ses portes en 2010, laissant de nombreux souvenirs aux aficionados de flamenco.
1989. Rosario Montoya La Farruca danse la soleá, accompagnée au chant par Juan Fernández Flores El Moreno et Enrique El Extremeño, et à la guitare par Ramón Amador et Paco Jarana.
Depuis, le flamenco n’a cessé d’investir les rues de la capitale. De Flamenco en France, qui reste un lieu incontournable, au cirque Romanès, à la Péniche Marcounet, ou encore au Lou Pascalou, le compas n’a pas fini de faire résonner la capitale.