En 4 ans, la vente de vinyles en France a encore doublé. Collectionneurs, chineurs, simples amateurs ou décorateurs : l’envie de rompre avec l’immatériel et le retour à une forme de lenteur correspond aussi à une quête de sens… Une mauvaise nouvelle pour la planète.
5,4 millions d’exemplaires vendus chaque année dans l’Hexagone. Chiffre d’affaires ? 84 de plus… Sans être une martingale aux pertes de revenus du disque physique, le rebond du vinyle porte en lui une ironie : d’un côté des labels intéressés par ces compléments financiers (après avoir pourtant dévalorisé le support au profit du CD). De l’autre ? Une nouvelle quête des bacs entre nostalgie, héritages familiaux, érudition et collection, malgré l’inflation des prix sur les réseaux… Car si une majeure partie de la discothèque mondiale est désormais accessible via un simple clic, l’objet se mérite pour sa rareté comme pour son lent mode de consommation (sortir la galette de microsillons de sa pochette, changer la face…).
Oui, mais le vinyle est fabriqué à partir de PVC, troisième matière plastique « la plus toxique pour notre planète » selon Greenpeace. Et pour cause : il est composé de sel de mer et de pétrole, contient des produits chimiques cancérigènes et est responsable d’émissions toxiques lors de sa fabrication (en raison de la vétusté des machines), voire de sa destruction (si elle est réalisée par le feu). Soit une empreinte de 0,5 kg de dioxyde de carbone pour un objet de 135 g. ! Excusez du peu.
C’était mieux avant ? Oui. Définitivement. Car avant 1950, les vinyles étaient composés de gomme laque, une résine naturelle sécrétée par la punaise femelle Kerria Lacca… Une ressource non issue des énergies fossiles avec une empreinte carbone plus faible qu’aujourd’hui. Pourquoi donc l’utilisation de PVC depuis ? Pour augmenter la durabilité de l’objet, pardi. Même le CD, composé principalement de polycarbonate et d’aluminium, avait moins d’impact sur l’environnement lors de son étape de fabrication ! Seul souci : son alliage de matières très difficile à décomposer, rend son recyclage aussi laborieux que coûteux.
Deux axes réflexions sont donc à l’œuvre pour une production de vinyle plus éthique : la fabrication et les matériaux utilisés. Les Parisiens de La Contrebande ont ainsi opté pour « le gravage directement sur plastique, sans passer par l’étape du master en laque ». Comptez 15 min. de gravure pour une face de… 15 min. La pratique – le “direct cutting“ – est certes ancestrale, supprime les stocks et limite le gâchis, mais est si lente qu’elle ne peut se réaliser qu’à la commande… et donc destinée à une commercialisation de niche. Les Danois de RPM ont eux automatisé leur production pour réduire de 35% leurs déchets et utilisent un système de refroidissement par eau en circuit fermé… Pas mal ! Mais peut mieux faire. C’est pour cette raison que les Hollandais Green Vinyle Records préfèrent le « moulage par injection » avec des galettes réalisées en partie en PET… Or, si le principe permet « d’économiser jusqu’à 70% d’énergie et d’augmenter la durée de vie », le PVC est lui encore et toujours présent. Encore raté.
Côté matériaux d’ailleurs, les entrepreneurs rennais (M Com’ Musique) ont eu l’idée du “vinylgue“ en 2016. Kezaco ? Le PVC est ici remplacé par des algues (solution déjà utilisée dans l’industrie pharmaceutique). Problème : l’objet se détériore au bout de quelques années, provoquant de nombreux grésillements… Depuis, l’entreprise planche sur une alternative à base de coquilles d’huître (oui oui), tandis que leurs compatriotes Diggers Factory proposent des réalisations à partir de « granulés à base de calcium-zinc ». Hélas encore, pour Antoine Olliver de M Com’ Musique : « le développement du projet nécessite entre 500 000 et un million d’euros »… Mais c’était sans compter sur la concurrence outre-Manche : le bioplastique créé par la société anglaise Evolution Music est « organique et compostable avec une meilleure qualité d’écoute » et créé à partir de… canne à sucre. « Au moins, nous sommes la seule entreprise à bénéficier de la hausse de prix du pétrole », résume hilare son directeur et ancien DJ Marc Carey… Son coût est cependant 50% supérieur, dans une industrie déjà prise à la gorge (en 2022, les pénuries de matières premières avaient déjà participé à l’inflation). Mais surtout : si l’avenir semble là, sa production est encore trop faible pour parler de révolution…
D’autant que le papier et carton de l’emballage des vinyles pourraient être aussi imprimés sur des matériaux certifiés, en utilisant une encre écologique et une distribution via des transporteurs neutres en carbone… Allô ?
En attendant, les infrastructures de stockage, traitement et transmission du streaming ont des émissions de gaz à effet de serre plus élevées que les plastiques pétrochimiques utilisés pour les CD/vinyles… Une pollution loin des yeux et donc moins dans les esprits. Tant pis ? En plein prise de conscience autour de l’alimentation, il est peut-être temps de se décider aussi à écouter éthique, non ?
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