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Arn’ sur la scène du festival des Vielles Charrues à Carhaix. © Eric Legret
Arn’ sur la scène du festival des Vielles Charrues à Carhaix. - © Eric Legret

Musique bretonne : 2022, sélection 100% Kreiz Breizh - épisode 2

Musique bretonne : 1972, année charnière – épisode 1

 

Si 2022 a marqué partout en Bretagne de nombreux cinquantenaires, tant 1972 a représenté une année charnière sur les plans politique, social et culturel, la musique armoricaine n’a rien perdu de son dynamisme et de sa diversité. Pop, trap, jazz, rock, électro évoluent entre compositions et adaptations du répertoire traditionnel. Sur les différents ‘’pays’’ que compte la péninsule, le Kreiz Breizh (littéralement « Centre-Bretagne »), joue un rôle-clé dans la mouvance actuelle, fort d’un milieu associatif dense (Fiselerie, Radio Kreiz Breizh, Compagnie des Musiques Têtues, Raok, La Fourmi.e…), d’un agenda des concerts fourni, et d’une multitude de groupes et projets musicaux. Tour d’horizon d’une partie de ces derniers, au sein desquels les mêmes noms et visages apparaissent régulièrement. Loin de traduire un suffoquant entre-soi, le phénomène permet à ceux qui ont décidé de venir ou de rester ici de donner libre-cours à sa créativité. Et de continuer à vivre de son art en milieu rural.

 

Né d’une rencontre entre deux anciens de la Kreiz Breizh Akademi — l’organisme de formation des musiciens professionnels à la musique modale savante et populaire fondé en 2001 par Erik Marchand, qui en a confié depuis 2021 la direction artistique au rappeur Krismenn —, Ludjêr (nom donné à l’aire commune des fermes et hameaux) offre un écrin électro oscillant entre minimalisme et saturation aux gwerzioù (complaintes) de la région. La captation d’un de leurs concerts dans le cadre du premier « Trad’Garaj » de la Fiselerie à Rostrenen est un pur moment de bonheur suspendu, conclu par une envoûtante reprise de Skolvan, interprétée en d’autres temps par Marie-Josèphe Bertrand (qui, malgré son âge avancé lors de ce premier enregistrement a capella dans sa cuisine, n’a rien perdu de sa clarté et de sa force), Yann-Fañch Kemener avec le groupe éponyme ou le pianiste Didier Squiban, ou encore Kristen Noguès/Erik Marchand.

Ludjêr - Trad’Garaj #1

 

Le chanteur de Ludjêr, Youenn Lange, qui se produit régulièrement en couple dans les festoù-noz (fêtes de nuit) avec Éric Menneteau, Erik Marchand et désormais Élodie Jaffré, fait également partie de Kiñkoñs, dont la collaboration avec un autre enfant du pays, Ilyas Raphaël Khan, mêle gavotte et tabla.

Kiñkoñs & Ilyas Raphael Khan - Metig

 

Accordéon diatonique, clarinette, chant traditionnel…et machines s’entremêlent harmonieusement chez Ducasse, auquel Youenn Lange prête sa voix. C’est que l’électro fonctionne encore et toujours particulièrement bien avec le répertoire à danser breton alors que les festoù-noz demeurent des points d’ancrage essentiels de l’animation culturelle comme sociale du Kreiz Breizh. En témoigne Arn’ (Orage), qui apporte une atmosphère de tonnerre avec sa section clarinette basse / saxophone baryton, ses bombardes et sa planche. Une occasion de rappeler que la clarinette, dans sa version locale (la treujenn gaol, littéralement ‘’trognon de chou’’, forme oblige), constitue la base de la musique à danser dans certains territoires du Centre-Bretagne, avant même les incontournables biniou/bombarde.

 

Ce sont justement le clarinettiste de ArnÉtienne Cabaret et le violoniste de Kiñkoñs Pierre Droual que l’on retrouve, accompagnés du guitariste Antoine Lahay (qui officie chez Denez Prigent, le sextet voix/cordes Eben ou encore Liamm avec le sonneur et facteur de cornemuse Xavier Boderioù et le flûtiste Sylvain Barou) dans Dièse 3. Le trio est également à l’initiative du projet Amzer (Temps), conçu en 2009 avec Yann-Fañch Kemener et le violoncelliste Aldo Ripoche. Enregistré en 2012 mais sorti tout récemment, l’album éponyme constitué de marches et de complaintes des pays Fañch et Fisel se voit doublé, disparition du célèbre chanteur en 2019 oblige, d’une recréation live avec Annie Ebrel, alors qu’un projet d’édition du deuxième volume des cahiers de chant de Kemener — mené entre autres par Youenn Lange et Éric Menneteau — devrait voir le jour prochainement.

 

Cuivres et clarinettes sont décidément à l’honneur aussi chez Suprême Folklore, le méga-ensemble constitué des Brestois de Fleuves et de ‘Ndiaz. Deux groupes, donc deux fois plus d’énergie, à l’aise en festoù-noz comme dans les salles de concert, pour une ambiance électrique qui emprunte à la fois au jazz et aux rythmes à danser bretons. Esprit transe hypnotique garanti, tout en puissance et exubérance.

 

Jeannette Maquignon, Marie-Josèphe Bertrand, les Soeurs Goadec…si les grandes voix et ahurissantes mémoires du chant traditionnel breton s’accordent également au féminin, les poétesses ne sont pas en reste, avec Añjela Duval évidemment — à laquelle rend hommage d’ailleurs Annie Ebrel avec Lellig —, mais aussi Filomena Cadoret. Originaire de Bonen, au sud de Rostrenen, cette dernière compose une oeuvre marquée par son attachement à la foi comme à la terre fournie et hétéroclite au cours de sa courte vie, interrompue brutalement par la tuberculose en 1923. Habituée du chant à danser avec son père Jean-Claude, Anne Le Brigand ou le Talec Noguet Quartet — où elle retrouve le saxophoniste de ‘Ndiaz, Timothée Le Bour —, Rozen Talec vient de terminer un spectacle mi-théâtral mi-musical consacré à l’écrivaine, cent ans après sa disparition.

 

Aux antipodes des grands déferlements musicaux, le groupe Mouilc’hi (Merle) joue avec les harmonies de voix accompagnées le plus souvent d’un harmonium pour un résultat planant et intimiste. Un esprit à retrouver aussi chez Here, et son EP sorti sur Bandcamp en 2022.

 

Episode 1 : Musique bretonne : 1972, année charnière

 

 

Coline Houssais

Coline Houssais
Coline Houssais

Née en 1987 en Bretagne, Coline Houssais est une chercheuse, commissaire, journaliste et traductrice indépendante spécialisée sur la musique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ainsi que sur l’histoire culturelle de l’immigration arabe et berbère en Europe. Elle enseigne ces deux sujets à Sciences Po, dont elle est par ailleurs diplômée, et contribue régulièrement à de nombreux médias. Auteure de «Musiques du monde arabe - une anthologie en 100 artistes» (Le Mot et le Reste, 2020), elle a créé et produit “Les Rossignols de Bagdad”, une performance vidéo, musique & texte autour de l’âge d’or de la musique irakienne et de la mémoire oubliée des musiciens juifs irakiens

Fellow de la Fondation Camargo pour l’année 2020, Coline est également la récipiendaire du programme de résidence IMéRA-MUCEM pour « Ceci n’est pas un voile », une réflexion  visuelle mêlant images d’archives et portraits contemporains autour de l’histoire du couvre-chef féminin en France et de ses perceptions.

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