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DakhaBrakha © Kulikov / Vlad Troitskyi ©B.M. / Dakh Daughters © Igor Gaidai
- DakhaBrakha © Kulikov / Vlad Troitskyi ©B.M. / Dakh Daughters © Igor Gaidai

Les artistes ukrainiens du Dakh Theatre ouvrent “l’Art Front” en Occident

Vlad Troitskyi, fondateur du Dakh Theatre de Kyiv et les groupes DakhaBrakha et Dakh Daughters ont quitté l’Ukraine début mars pour porter leur message de résistance culturelle et démocratique au-delà de leurs frontières. A travers l’Art Front, ils portent le drapeau ensanglanté de leur culture, témoignent des horreurs de la guerre de Poutine et alertent des dangers de son expansion. Rencontre.

 

L’indépendance de l’Ukraine a été proclamée le 24 août 1991, quelques mois avant la dislocation officielle de l’URSS (26 décembre 1991). Le pays est alors dévasté mais Vlad Troitskyi dramaturge, metteur en scène et pédagogue a une idée fixe : « Rien ne fonctionnait, il n’y avait pas d’argent, mais je rêvais d’un centre contemporain, pas seulement pour le théâtre, mais différentes sortes d’art. » Sans aide officielle, avec sa volonté et celle d’autres collègues, il trouve un toit (Dakh en ukrainien) et ouvre le Dakh Theatre à Kyiv en 1994 : « Ce n’était pas très grand, mais c’était un espace ouvert avec différents écrivains, metteurs en scène, décorateurs qui pouvaient faire ce qu’ils voulaient. » Ils organisent des concerts, des débats, des représentations théâtrales et des ateliers éducatifs : « L’éducation n’était pas assez développée dans le pays, on s’y est mis et on a aussi contacté des metteurs en scène d’autres pays pour qu’ils viennent enseigner différentes méthodes comme celles de Stanislavski, Brecht ou Meyerhold. »

Drevo

Deux fois par mois, Vlad Troitskyi propose aussi des salons de musique. C’est là que DakhaBrakha (DonnerPrendre) a été créé : « Le groupe s’est formé autour de quatre chanteuses folkloristes qui collectaient des chants à travers l’Ukraine. » Vlad avait déjà eu une expérience de collaboration avec le groupe traditionnel Drevo, mais avec DakhaBrakha il a pu aller plus loin : « Ils étaient plus libres, je leur ai proposé d’utiliser certains instruments, ils ont appris à en jouer et nous avons créé de la musique nouvelle. »  Il en précise l’esprit : « Ni le groupe ni moi ne connaissons les notes, mais la musique c’est avant tout des sentiments. C’est : Comment tu rencontres le silence et comment tu le brises ? Chaque composition est une histoire d’émotions, de sentiments. », et il en détaille la méthode : « Dans chaque région d’Ukraine on trouve d’anciennes traditions avec beaucoup de chants polyphoniques. Nous utilisons des musiques de différentes ethnies pour créer de nouvelles compositions. »

Le groupe, fondé en 2004, est aujourd’hui constitué de 3 chanteuses musiciennes : Olena Tsybulsk, Iryna Kovalenko, Nina Garenetska et de Marko Halanevych, multi-instrumentiste et chanteur. Ils sont devenus célèbres en Ukraine et bien au delà de leur région. Si les activités du quatuor sont indépendantes, Vlad Troitsky est toujours impliqué dans le processus créatif : « Nous faisons les recherches, créons et décidons ensemble des visuels ou des vidéos que nous produisons. »

DakhaBrakha à Londres au Barbican Centre, Londres le 20/01/2022

 

En 2007, Vlad Troitskyi fonde Le GogolFest, un festival d’art contemporain pluridisciplinaire et international qui se déroule à Kyiv et dans d’autres villes ukrainiennes.

Dans une optique cabaret,  Vlad initie aussi le groupe Dakh Daughters avec 6 de ses élèves, parfois rejointes par la violoncelliste Nina Garenetska de DakhaBrakha : « En 2012, j’ai créé une performance intitulée ‘’ l’école d’art non théâtral ‘’, et il y avait cette chanson Rosy Donbass (qui contient le sonnet 35 de Shakespeare ndlr) qui est devenue la carte de visite des Dakh Daughters. Je me suis aperçu qu’elles pouvaient devenir une entité indépendante comme DakhaBrakha. » Les Dakh Daughters ont également traversé le monde et travaillé avec d’autres metteurs en scène comme Stéphane Ricordel, directeur du théâtre du Rond-Point ou Lucie Berelowitsch, directrice du Centre Dramatique National de Normandie à Vire.

Les deux groupes, comme Vlad Troitskyi, sont des ardents défenseurs de la culture ukrainienne et de la démocratie. Ils se méfient des agissements de Poutine depuis l’attaque de la Géorgie en 2008 et leur travail s’est largement politisé au fil du temps.

Depuis le début de la guerre en Ukraine leurs craintes se sont accentuées et leurs vies ont basculé : « Au début du conflit, je ne pensais pas qu’il allait être aussi global, je pensais comme vous que cela allait être une attaque autour du Donbass, mais quand je me suis réveillé le 24 février en entendant les bombes, j’ai compris que c’était un crash mondial et l’effondrement de toute ma vie passée. J’avais construit ma maison et j’ai du la quitter, comme le théâtre que j’avais construit et les histoires que nous avions mis en place avec dix autres villes comme Kharkiv ou Marioupol où aujourd’hui tout est détruit. »

Respectés et connus à travers le monde, Dakha Brakha et Dakh Daughters sont devenus de véritables ambassadeurs de la culture ukrainienne et endossent le rôle de porte parole international des craintes et des besoins d’un peuple.

Live des Dakh Daughters à KEXP, Seattle, le 14 janvier 2019.

 

Début mars, Vlad Troitskyi organise un convoi de voitures pour quitter le pays avec les artistes et leurs familles. Les musiciens de DakhaBrakha ont rejoint les Etats-Unis d’où ils vont reprendre leur tournée mondiale stoppée net par le début de la guerre. Dès leur arrivée en France, Vlad et les Dakh Daughters sont accueillies au Centre Dramatique National de Normandie à Vire. Le 4 avril elles seront au Théâtre de la Ville – Espace Cardin et à partir du mois de juin, elles présenteront une nouvelle pièce intitulée “Danse Macabre’’.

Ils ont baptisé cette nouvelle étape “Art Front“, lors de leurs spectacles ils collectent des fonds pour des organisations ukrainiennes et vont à la rencontre des publics, des journalistes et de personnalités publiques afin de décrire la situation réelle. Vlad Troitskyi travaille sur un projet ambitieux autour du procès de Nuremberg qui jugea les criminels de la seconde guerre mondiale car, dit-il « Il est important de faire ce nouveau procès avant plutôt qu’après. » Au début du conflit le sobriquet Putler est apparu dans les villes ukrainiennes pour désigner le président russe et l’associer à Adolf Hitler. Pour Vlad c’est justifié : « Mais comment est-ce possible de bombarder les villes, ils n’attaquent pas des militaires, mais des théâtres, des hôpitaux, des écoles et des civils à bout portant. » Mais c’est Poutine qui justifie son attaque comme une chasse aux nazis. Ce à quoi Vlad Troitkyi répond : « Poutine soutient des partis blancs radicaux en Allemagne ou en France où Marine Le Pen avoisine les 20% d’intention de votes, alors qu’en Ukraine nos partis radicaux Svoboda et Pravyi Sektor ont obtenu des résultats autour de 1%. » D’après lui Poutine ne va pas s’arrêter à l’Ukraine : « Maintenant c’est le commencement d’une guerre sérieuse je pense que c’est sans doute le début de la troisième guerre mondiale. Car quand il attaque Kyiv ou le cœur de Marioupol il s’en prend aux civils, aux femmes et aux enfants. Ce que défend aujourd’hui l’Ukraine c’est l’Europe entière, le monde entier. »

 

 

Benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM © Ida Wa
Benjamin MiNiMuM © Ida Wa

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014. Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

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