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Michael Jackson, capture écran du clip "Thriller" - droits réservés
Michael Jackson, capture écran du clip "Thriller" - droits réservés

Zombie en musique : la manipulation des revenants et des revenus - épisode 2 

Comme évoqué dans le premier épisode, le mot zombie désigne d’abord l’esprit d’un ancêtre qui se manifeste en revenant. Il peut ranimer un mort ou s’emparer du corps d’un vivant. Dans le vaudou d’Haïti ou le voodoo de Louisiane, le mort vivant totalement privé de volonté, est un objet de manipulation. Au Brésil, par contraste, l’image du zumbi s’est construite comme un symbole de résistance et de lutte politique dans une société brésilienne à domination blanche refusant de reconnaître l’apport des Afro-descendants, qui la composent pourtant à environ 40%.

Zombie en musique : la manipulation des revenus et des revenants – épisode 1

 

À ce propos, l’anthropologue Francine Saillant et l’historienne Ana Lucia Araujo écrivent : « Le zumbi brésilien dont les racines, comme les autres zombies, sont africaines est cependant différent de ses frères haïtiens ou louisianais, ces derniers étant plutôt déterminés par des significations ancrées dans l’expérience magico-religieuse des sociétés qui les fabriquent. Il n’est point la mémoire qui hante et trouble, sans ne jamais vouloir sortir de l’entre-deux-mondes du mort vivant ; il est plutôt le héros dont la mort est un modèle pour tous ceux qui cherchent à échapper au cadre victimaire et à la subjectivation esclavagiste et post-esclavagiste, celui dont les vivants honorent la mémoire. »

Naçao Zumbi, le groupe de Chico Science (1966-1997) s’inscrit dans cet esprit dynamique et proliférant. Sa “nation zumbi” se lève pour construire plutôt que pour détruire, comme le suggère le mouvement Mangue Bit, dont il est l’un des instigateurs, en prônant la rencontre créative entre les styles traditionnels du Nordeste brésilien pétris de percussions afro-descendantes (maracatu, frevo, coco, forro…) et les genres globaux (rock, funk, ragga, hip-hop…). Le refrain de la chanson A Cidade (La Ville) dénonce l’assignation de classe produite par la ville, où les possédants, blancs, ont toujours plus et les démunis, noirs, toujours moins : « La ville ne s’arrête pas, la ville ne fait que grandir / Le haut monte et le bas descend. »

Chico Science & Nação Zumbi - A Cidade

 

La langue sacrée des tambours s’est conservée dans toutes les sociétés afro-descendantes qui ont fait souche au Nouveau Monde. Elle s’est transmise à travers les rituels des religions syncrétiques et, plus encore, ceux des confréries et autres sociétés secrètes. À Cuba, la rumba est l’exemple type du processus de mise en valeur des percussions africaines transmises en héritage dans une forme musicale “syncrétique”. Parce qu’ils énoncent le sens profond des liens sociaux basés sur la relation entre vivants et ancêtres défunts, les tambours constituent le centre névralgique de la musique afro-cubaine. Le langage des rythmes apparaît ainsi comme le bien culturel essentiel permettant aux 250 000 esclaves cubains libérés en 1886 de reconstruire leur société.

Dans la première moitié du XXème siècle, la plupart des percussionnistes cubains ont été initiés au sein de communautés religieuses. Chano Pozo, par exemple, faisait partie de la confrérie Abakwa, l’une des plus secrètes à Cuba, où l’on vénère le tambour fétiche Ékué, réceptacle de la voix du Léopard ancestral. Selon la légende Ékué, être sacré vivant dans le fleuve, est mort de honte pour avoir été capturé dans la calebasse d’une femme. Le tambour ékué, qui a été recouvert de sa peau, parle grâce à elle à l’occasion des fêtes initiatiques.

La vie de Chano Pozo, né dans un quartier pauvre de La Havane en 1915, trouve sa fin à New York, alors qu’il est en pleine gloire. À 33 ans, il est assassiné dans un bar de Harlem pour une sombre affaire de marijuana. Percussionniste et compositeur, il était le premier à avoir introduit le langage des congas dans le jazz et son morceau Manteca était un tube en cette funeste année 1948. Dizzie Gillespie raconte comment il fut composé.

Dizzie Gillespie raconte comment Chano Pozo a composé Manteca et comment il l’a arrangé.

 

À travers cet exemple, on comprend bien comment le jeu complexe des percussions héritées de l’Afrique — et donc chargée de sens ésotérique voire magique — s’est introduit dans la composition des musiques populaires au XXème siècle. La langue des tambours en est devenu progressivement la colonne vertébrale, constituant aujourd’hui le vocabulaire de base sur lequel se construisent la plupart des musiques à vocation globale. Une expansion que, par certains aspects, on pourrait comparer au caractère exponentiel de la contamination du zombie.

Le mythe du zombie s’impose à l’imaginaire de l’Amérique blanche au gré d’une imposante production cinématographique, qui démarre en 1932 avec White Zombie de Victor Halperin. Reprise dans d’autres films, la figure du zombie dérive du modèle haïtien, plus robot que mort vivant, jusqu’en 1968 où elle est réinventée par George Romero dansLa Nuit des Morts Vivants. Dans cette acception, le mythe fait fonction d’exorcisme pour la société blanche, dont la suprématie repose sur l’extermination des autochtones, et la prospérité sur l’esclavage des Afro-descendants. Avec La Nuit des Morts Vivants, le zombie non seulement change de couleur, mais est toqué de fixations, comme dévorer les vivants et surtout leurs cervelles… C’est dans ce monde blanc, troublé par une faute originel toujours niée, jamais expiée, que le zombie contamine le courant du hard rock au début des années 1980. Avec le death metal, le zombie va prospérer dans l’univers du showbiz. Il se pare d’un son très caractéristique et d’une iconographie directement dérivé du cinéma qui l’a inspiré. On le voit ici dans un genre dérivé, le grindcore.

Terrorizer - Hordes Of Zombies

 

L’idée féconde du zombie touche bien d’autres champs des musiques populaires. Avec Zombie, l’Irlandaise Dolores O’Riordan et son groupe The Cranberries signent le plus énorme tube de leur carrière. Lourd de sens, son message se rapporte à la guerre et à ces cerveaux qui l’agissent, en particulier dans les deux camps qui s’affrontent à l’époque en Irlande. Écrite en 1993, suite à un double attentat meurtrier de l’IRA, qui a choqué la chanteuse, la chanson paraît un an plus tard, alors que les belligérants viennent de signer un cessé le feu. Lorsque les combattants sont traités de zombies, certains y voient une provocation.

The Cranberries - Zombie

 

La star qui sans conteste a intériorisé le plus parfaitement l’irruption du zombie au cœur du show-business n’est autre que Michael Jackson. Originaire de Détroit, où les noirs du Sud ont servi l’industrie automobile, il n’a cessé de vouloir échapper à sa condition d’Afro-descendant, en se faisant blanchir la peau, refaire le nez, les lèvres et défriser les cheveux. Il a si bien compris la culpabilité de l’Amérique blanche, qu’il est sans doute celui qui a le mieux incarné la malédiction du zombie, mais avec dans son jeu le rire légendaire de l’ironie.

Michael Jackson - Thriller (version longue dirigée par John Landis)

 

 

 

François Bensignor

François Bensignor
François Bensignor

Journaliste musical depuis la fin des années 1970, il est l’auteur de Sons d’Afrique (Marabout, 1988), de la biographie Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat (éditions Demi-Lune, 2012). Il a dirigé l’édition du Guide Totem Les Musiques du Monde (Larousse, 2002) et de Kaneka, Musique en Mouvement (Centre Tjibaou, Nouméa 2013).

Cofondateur de Zone Franche en 1990, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma (2002-14), il a coordonné la réalisation de Sans Visa, le Guide des musiques de l’espace francophone (Zone Franche/Irma, 1991 et 1995), des quatre dernières éditions de Planètes Musiques et de l’Euro World Book (Irma).

Auteur des films documentaires Papa Wemba Fula Ngenge (Nova/Paris Première, 2000) tourné à Kinshasa, Au-Delà des Frontières, Stivell (France 3, 2011) et Belaï, le voyage de Lélé (La Belle Télé, 2018) tourné en Nouvelle-Calédonie, il crée pour la chaîne Melody d’Afrique la série d’émissions Les Sons de… (2017).

Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music pour la Cité de la Musique de Paris (2014).

On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

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