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Frenchmen Street, Nouvelle-Orléans, USA - © photo : Robson Hatsukami Morgan via Unsplash

Troubadours urbains modernes : mendiants ou musiciens de rue ?

Une perspective d’ensemble des musiciens urbains modernes, le rôle qu’ils jouent dans l’espace public et quelques leçons que nous pouvons en tirer.

En 2007, une expérience a été réalisée dans une station de métro de Washington D.C. : Joshua Bell, violoniste de renommée mondiale, a joué incognito pendant près d’une heure. Plus d’un millier de personnes sont passées devant lui mais seulement quelques-unes se sont arrêtées pour l’écouter, et une seule l’a reconnu. Il a collecté 32 dollars.

 

Que nous apprend cette performance sur notre rapport, en tant que public, à la musique dans les espaces publics et notre capacité à percevoir la beauté au milieu du chaos urbain ? Si Joshua Bell peut être ignoré, un artiste de rue inconnu a-t-il une chance d’être vraiment remarqué ? L’anonymat que procure la métropole moderne couplée à l’omniprésence du muzak et à la pollution sonore croissante dans nos villes sont tels que certains pourraient même se demander si les musiciens de rue ne contribueraient pas plus à la cacophonie de la ville qu’autre chose.

Cependant, si nous écoutons attentivement, peut-être que les musiciens de rue pourront nous donner quelques leçons. Les troubadours urbains modernes apportent des rencontres musicales surprenantes dans la vie quotidienne des navetteurs et des citoyens ordinaires et créent des moments musicaux dans des lieux insoupçonnés.

 

En s’appropriant de manière temporaire les espaces publics, ils animent nos rues et participent à façonner l’identité des quartiers. De nombreux espaces publics urbains sont aussi réputés pour leurs qualités spatiales que pour leur atmosphère culturelle et musicale. Les quartiers de Grafton Street à Dublin, Washington Square à New York, Royal Street à La Nouvelle-Orléans et bien d’autres sont même devenus des forums culturels en plein air. Les musiques comme le jazz, le Chicago blues, le hip-hop, les musiques klezmer et tziganes, pour ne citer que quelques exemples, sont maintenant jouées partout dans le monde, mais elles sont nées dans la rue et sont le produit vivant d’échanges interculturels entre différentes communautés.

Plaza Garibaldi, La Mecque des musiciens Mariachi à Mexico.

 

Nos rues constituent des carrefours uniques de trajectoires musicales. Pour certains musiciens, comme Valentina Morales, violoncelliste classique qui se produit dans le centre-ville de Mexico, les concerts de rue ne représentent pas uniquement l’occasion de faire découvrir son art à un public plus large qui n’aurait pas autrement les moyens d’assister à un concert de musique classique.

Ses prestations tentent de susciter un dialogue sur l’accessibilité de la musique classique à différents milieux sociaux et sur le statut des musiciens, ainsi que sur l’opportunité de plaider pour la réglementation et la reconnaissance des musiciens de rue.

Pour d’autres, les concerts de rue représentent une première étape dans leur carrière musicale.

Rodrigo y Gabriela, le célèbre duo de guitares mexicaines, a quitté son pays d’origine après des années de modeste succès et est reparti de zéro, se produisant dans les rues de Dublin à la fin des années 1990 avant d’atteindre la renommée internationale. Leur histoire est incroyable, mais elle n’est pas unique. En réalité, la liste de musiciens célèbres ayant commencé leur carrière comme artistes de rue est longue et comprend des artistes comme Édith Piaf, Janis Joplin, Rod Stewart, Tracy Chapman et plus récemment Ed Sheeran, qui jouait dans le métro de Londres. Parfois, même le contraire et le plus surprenant se produisent : des célébrités de la musique vont dans la rue et offrent des prestations surprises à un public crédule.

 

Un public curieux est également un aspect clé des flash mobs musicaux. Ils constituent un type nouveau et différent de spectacle de rue de plus en plus populaire depuis le début des années 2000 bien qu’ils soient souvent organisés à des fins politiques, militantes ou marketing et largement promus sur les réseaux sociaux pour maximiser leur impact et leur notoriété.

 

International Busking Day : Journée internationale de la musique de rue 

Depuis 2011, l’International Busking Day, sous forme de hashtag, est organisé pour aider à rehausser le profil du spectacle de rue et célébrer les talents. Il est également de plus en plus visible via les réseaux communautaires de musiciens de rue sur Internet et comme phénomène international à l’instar de plusieurs festivals tels que Linz et Ferrara en Europe, qui existent depuis plus de 30 ans. Ces festivals s’efforcent de maintenir l’esprit de la rue, soulignant l’interaction du musicien et du public et offrant des opportunités pour de nouveaux talents.

Mais n’oublions pas ce qui caractérise vraiment les concerts de rue : le cadre unique, la spontanéité et l’interaction entre l’interprète et le public. Contrairement aux concerts conventionnels, le public est libre de rester ou de partir à tout moment, de montrer son appréciation à sa guise ou de retransmettre. Quand un musicien réussit à capter l’attention des passants et les convainc d’interrompre leur trajet et de rester, même juste quelques minutes, il crée un moment spécial à partir de rien. Petit à petit, presque de manière organique, une foule se rassemble et parfois un véritable sentiment de convivialité est atteint entre de parfaits inconnus. C’est à la fois la beauté et la simplicité de cette expérience. Et lorsque les gens rétribuent pour cela, ils permettent à la musique de continuer pour les futures audiences. Les musiciens de rue ne sont en rien des mendiants.

 

Rien ne saurait remplacer le voyage dans le monde et la découverte de la musique dans ses rues, mais heureusement, les musiciens de rue nous rapprochent de la musique du monde. Il existe plusieurs initiatives intéressantes qui nous permettent de voyager virtuellement, comme worldstreetmusic​.com et Playing for change, un mouvement consacré à inspirer et connecter le monde au travers de la musique qui a entrepris d’enregistrer des musiciens de rue dans différents pays et dont a découlé le film documentaire primé, A Cinematic Discovery of Street Music.

 

Il semblerait que les récentes performances depuis les balcons et les toits dans plusieurs villes du monde pendant la crise du COVID-19 rappellent la nécessité de nous exprimer à travers la musique et l’importance de la musique live reliant les gens malgré l’isolement et l’enfermement. En apportant la culture et la vie dans les rues, les musiciens de rue sont de facto des acteurs de base de la musique du monde et une partie intégrante de l’écosystème musical des villes. Pollinisateurs culturels, ils parcourent souvent le monde et apportent non seulement leur musique avec eux mais incarnent également une philosophie d’échange, de liberté et de diversité.

L’histoire de la musique de rue est encore inachevée et c’est très probablement dans les rues d’aujourd’hui que la musique urbaine de demain se crée.

 

 

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Alejandro Abbud Torres Torija

Alejandro est un Franco-mexicain avec plus de 20 ans d'expérience internationale, ayant vécu à Paris, Berlin, Rome, Vienne, Munich, St. Petersburg, Interlochen, Aspen et au Mexique. Il donne actuellement des cours dans plusieurs universités françaises, et organise des séminaires sur les questions urbaines en Europe pour des universités et des délégations d’élus locaux chiliens et mexicains. Précédemment, il travaillait dans la diplomatie (OCDE, UNESCO, Ambassade du Mexique à Berlin) et depuis 2014, il enseigne à Sciences Po Paris (aux campus de Poitiers, Nancy et Reims) ainsi qu'à l’ESPOL Lille. Ses cours s'intitulent "Musique et Pouvoir", " Sons du monde : la musique comme miroir de l'intime et du collectif", "Etre un acteur de la ville"et "Langues du monde / Monde des langues". Alejandro est aussi musicien (guitariste classique) diplômé d'un master en Relations Internationales à Sciences Po Paris et titulaire de la carte de guide conférencier délivrée par la Préfecture de Paris (mention anglais, espagnol, français, allemand, italien et russe)

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