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Six artistes à l’assaut des sons du monde

Blick Bassy, Flavia Coelho, Pascal Danaë, Naïssam Jalal,  Awa Ly et Cheick Tidiane Seck avaient parrainé le lancement de la campagne #AuxSons Citoyens il y a deux ans. Nous les avons revus pour évoquer cette diversité culturelle qui leur tient tant à cœur. 

Artistes en orbite 

Si on s’amusait à mettre bout à bout les parcours de chacun, on aurait un vaste quadrillage de notre planète qu’une seule vie ne suffirait pas à explorer. Née à Paris, de parents sénégalais, Awa Ly se rend régulièrement à Dakar, même si la chanteuse a posé ses valises depuis bientôt vingt ans à Rome. Son alter ego Flavia Coelho, native de Rio de Janeiro, a, elle, élu domicile dans la capitale française, après 26 ans passés au Brésil. Originaire d’Argenteuil, Pascal Danaë a promené sa guitare, sa voix et ses racines guadeloupéennes à Londres pendant 7 ans avant de revenir s’installer en région parisienne. C’est aussi là que le claviériste Cheick Tidiane Seck a décidé de son port d’attache, qu’il partage souvent avec son Mali natal. Le guitariste et chanteur Blick Bassy a, lui, jeté les amarres du côté de Bordeaux, après un passage parisien et après avoir quitté il y a un peu plus de dix ans le Cameroun qui l’a vu naître. Quant à la flûtiste Naïssam Jalal, née à Torcy, de père et de mère syriens, et basée aujourd’hui à Saint-Denis, elle a vécu à Damas et au Caire, bourlingué au Mali. Vertiges des mondes possibles. Qu’ont en commun ces itinéraires de vie, pourtant bien distincts ? Ils sont tous commandés par une même injonction : faire rayonner la musique, et à travers elle, la richesse de sa diversité. « La liberté artistique doit être complètement affranchie de ses origines géographiques » assure Awa Ly, qui préfère reléguer aux oubliettes la sempiternelle question qu’on lui pose : pourquoi chante-t-elle en anglais et pas en wolof ? Personne, depuis la nuit des temps, ne saurait la contredire. « Il n’y a pas de frontières dans la musique, renchérit Naïssam Jalal. Il y a des cultures et des vocabulaires. Mais aucune langue musicale n’est hermétique, on peut toujours communiquer avec celle de l’autre. Mieux, si on fait l’effort, si on a l’envie d’aller apprendre le langage de l’autre, on peut l’intégrer à son propre vocabulaire. Parfois, j’ai l’impression d’être polyglotte ! » Chanteuse de covers (reprises) jazz, rock, reggae et hip-hop à ses débuts et nourrie des rythmes traditionnels brésiliens, Flavia Coelho est, à sa manière, elle aussi polyglotte. Elle avoue même avoir immigré pour mieux comprendre la pluralité de son pays, construit sur la migration. Fascinée par Paris, historique asile de tant d’artistes étrangers, elle s’est pourtant vite trouvée confrontée à la caricature quand elle y débarque en 2006. « Le discours des maisons de disques était le suivant, sourit-elle : tu es brésilienne, donc tu fais de la bossa-nova, tu mets ta jupe, ta fleur dans les cheveux, et on te signe un contrat demain ». C’était mal connaître celle qui a toujours refusé de se laisser enfermer dans une mode et un carcan. Il faut dire que depuis l’avènement des musiques du monde en Europe, à la fin des années 70, de l’eau a coulé sous les ponts. Leur essence comme leur visibilité ne sont plus de même nature et imposer son empreinte aujourd’hui pour un jeune artiste venu d’ailleurs n’est pas un long fleuve tranquille.

De l’âge d’or à la crise

« Dans les années 80, la diversité n’était pas nommée, souligne Pascal Danaë, mais on la vivait. Le jazz fusion, ou ce genre de musiques, existait beaucoup dans les clubs. On traînait du côté de la rue des Lombards. Le Baiser Salé était un vivier incroyable, un point de chute de grands musiciens, où j’ai connu Francis Lassus, Richard Bona, Minimo Garay, Etienne Mbapé, Hilaire Penda…Et des gros succès publics étaient issus de la diversité, avec les Cheb Khaled, Youssou N’Dour ou Kassav. Il y avait un espace pour ces musiques et cette curiosité pour ce qui arrivait de l’extérieur passait sur les ondes ». Cheick Tidiane Seck affiche un large sourire nostalgique quand il évoque cette époque. Celui qui s’est toqué des touches noires et blanches des claviers dans une école catholique de Sikasso où une nonne espagnole parlant français l’a initié au solfège et à l’harmonium, a connu les débuts chatoyants de cette sono mondiale, comme la nommait Jean-François Bizot d’Actuel. Lorsqu’il arrive dans la ville lumière en 1983, il a dans ses bagages une solide expérience menée aux côtés des illustres orchestres du Rail Band de Bamako, des Ambassadeurs et du Bembeya Jazz. Il la confrontera plus tard aux pointures de la scène rock et jazz en composant pour Carlos Santana, Joe Zawinul, Stevie Wonder, Public Enemy et bien d’autres. « Ces années étaient beaucoup plus ouvertes à ces musiques, convient-il. Les établissements qui les accueillaient étaient généreux en terme de cachets, et si nombreux ! Le Phil One, le Farafina, l’Excalibur…ils ont tous fermé aujourd’hui, quant aux nouveaux lieux, exceptés certains, ils sont devenus aseptisés ».

La dictature du son lisse, uniformisé, nous y voilà. Les grandes chaînes de télévision comme les radios publiques ou privées y obéissent aujourd’hui au doigt et à l’œil, diminuant de façon drastique la diffusion de ces musiques du monde porteuses de diversité. Même le métro et la rue n’offrent plus ce havre spontané qui accueillait ces artistes. « Il y a bien moins de concerts maintenant dans ces endroits informels, se désole Flavia Coelho. Moi, ma première grande tournée parisienne, je l’ai faite dans le métro, sur la ligne 4, la 7 et la 12 ! ». Ajoutez à cela les lois radicales imposées aux artistes étrangers pour l’obtention d’un visa ou d’une carte de séjour, et le tableau peut virer au cauchemar pour ces va-t-en guerre qui se battent à défendre les cultures du monde. «  On a beau nous parler des droits de l’homme, de démocratie, on se rend bien compte que ces concepts géniaux ont été vidés de leur contenu, témoigne Blick Bassy. On n’a pas la même liberté de circulation aujourd’hui si on a un passeport américain, allemand ou camerounais. J’ai la nationalité camerounaise et malgré une carte de séjour de 10 ans, je dois jongler comme un fou, autrement je ne travaille pas. Pour la zone Schengen, j’ai besoin d’un passeport, et pour aller en Afrique ou ailleurs, d’un visa. Comment faire quand je suis en tournée en Europe et que je dois, dans le même temps, déposer mon passeport pour l’obtention d’un visa en vue d’autres concerts ? » Médiatisation en berne, mobilité empêchée, nos artistes ont de quoi se faire des cheveux blancs mais pas au point de baisser les bras. Climat délétère oblige, ils ferraillent dur pour ouvrir de nouveaux horizons.

De la crise aux solutions

Dans notre société individualiste, où l’exacerbation de la peur, voire de la haine, de l’autre est devenue réalité, la diversité culturelle a plus que jamais sa raison d’exister. Elle devient une nécessité, un moteur pour nos artistes promoteurs de l’altérité. « Nous sommes tous des individus, donc nous sommes tous différents, et il faut arrêter de penser que certains le sont plus que d’autres », s’indigne Naïssam Jajal qui a donné à une de ces trois formations – créée avec le rappeur Osloob – le nom d’Al Akhareen, Les Autres en arabe. Sentinelle de sa langue et de sa culture bassa, Blick Bassy a fait de sa singularité culturelle le socle de sa musique. Il constate chaque jour l’intérêt porté par un public sensible à cet imaginaire inconnu de lui. « A travers la langue, les gens ont envie d’en savoir un peu plus, ils m’écrivent, se manifestent pour comprendre mes textes, précisent-t-il. Au-delà de la musique, c’est aussi une culture que j’offre, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos musiques s’exportent bien. Je me vends beaucoup plus à l’international qu’un artiste qui chanterait en français. J’ai fait plus de 250 concerts avec ma dernière tournée, dont la moitié dans le monde entier, en dehors de l’Europe. C’est une opportunité, une vraie stratégie de développement ». Même constat du côté de Pascal Danaë, qui, avec son groupe de blues créole, Delgrès, rencontre un succès public sans précédent. « Je suis parfois émerveillé par l’intérêt que le public nous porte, confesse-t-il. On a joué l’autre jour près de Paris et rencontré un couple avec des enfants : ils avaient fait le déplacement depuis Arles pour venir nous voir ! » L’audience est donc là, les salles, souvent complètes. Pour que résonnent ces coups de cœur dans les medias, Blick Bassy préconise de changer la donne, comme beaucoup de ses comparses : « Il faut décloisonner, s’émanciper de la case « musiques du monde » dans laquelle on nous a mis pour toucher le grand public ». Avec son nouvel album, 1958, son label No Format a mis en pratique cette stratégie, en s’alliant au label Tôt ou Tard, fort d’un catalogue plutôt francophone et grand public, lui apportant ainsi une force de frappe inédite. Du côté de l’enseignement musical, les signes d’ouverture sont aussi éloquents. « Pas mal de jeunes qui sortent du conservatoire sont beaucoup moins formatés qu’ils n’étaient avant, constate Pascal Danaë, ils ont une culture vaste qui va du classique au jazz ». Encourager les jeunes musiciens à être inventifs, à s’approprier les nouvelles technologies, à avoir une vision précise de son projet, bref, à être soi-même, voilà l’attitude que nos six artistes revendiquent à l’unanimité.

Sur tous les fronts pour brandir le drapeau de la diversité

Blick Bassy, Flavia Coelho, Pascal Danaë, Naïssam Jalal, Awa Ly et Cheick Tidiane Seck œuvrent en dehors de leur carrière artistique à cultiver ce précieux multiculturalisme. Awa Ly en donnant des concerts pour l’association Sos Méditerranée qu’elle défend activement ; Cheick Tidiane Seck, en menant des masterclass au Danemark et aux Etats-Unis, en encadrant des jeunes de manière informelle ou en parrainant le festival international Ollin Kan des Cultures en Résistance à Mexico. Blick Bassy en montant la plate-forme Wanda-full qui propose aux jeunes artistes de maîtriser tous les pans de l’industrie de la musique ; en créant, avec la journaliste Elisabeth Stoudmann, l’événement Show Me en Suisse, un marché digital dédié à la rencontre de programmateurs internationaux et d’artistes dépourvus de structures d’accompagnement. Quant à Naïssam Jalal, elle représente pour beaucoup la voix de la Syrie libre et des martyrs de la Révolution. Elle leur a dédié un album, Almot Wala Almazala, avec son quintet Rhythms of Resistance et a multiplié les concerts de soutien au peuple syrien. Pour autant, elle réfute l’idée d’être une ambassadrice. « On ne peut pas détacher l’être de ses influences, de son monde, de son imaginaire, mais on ne peut pas le réduire à ça, il a son langage propre. A priori, je ne représente que moi-même ». Sauf que Naïssam Jalal repousse tant les frontières, que parfois, elle finit par être l’autre. En témoigne cette magnifique anecdote qu’elle raconte en riant aux éclats : « Un jour, j’ai enregistré un morceau pour l’album de Sébastien Giniaux et Chérif Soumano, African Vibrations. Au sortir de la session, un ami de Chérif qui avait écouté de l’extérieur, épaté, lui demande où est le musicien qui avait joué la flûte peul…Pas peu fière…C’était moi, la fille française d’origine arabe avec sa flûte traversière ! »

Frédérique Briard

© Hannah Assouline

 

Frédérique Briard est journaliste à Marianne et a auparavant travaillé à l’Événement du Jeudi, Reggae Mag, Africultures et France Culture. Elle a notamment publié aux éditions Les Arènes "Tiken Jah Fakoly, l’Afrique ne pleure plus, elle parle".

Parce qu’elles racontent bien des histoires - traditionnelles, urbaines, sociales, politiques, simplement humaines - les musiques d’ailleurs, avec une prédilection pour celles venues d’Afrique, font l’objet de son blog "Sono mondiale". Le premier à avoir célébré cette « sono mondiale » en parcourant les ghettos d’Abidjan ou de Soweto s’appelait Jean-François Bizot, fondateur d’Actuel. Quelque part, son blog lui est dédié...

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