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Désert Blues - Fonds d'archives Michel Jaffrennou - Source gallica.bnf.fr _ BnF
Désert Blues - Fonds d'archives Michel Jaffrennou - Source gallica.bnf.fr _ BnF

Musiques Mandingues : l’art de la permanence - épisode 1

L’influence des musiques mandingues sur la création pop n’a cessé de s’internationaliser au cours des quatre dernières décennies. Le fond traditionnel consolidé depuis neuf siècles par des générations de griots est d’une telle richesse qu’il accueille toutes sortes de transformations sans perdre son essence. Ce premier épisode tente de dégager les éléments marquants constitutifs de l’art ancien des griots. Un second volet abordera la réalité vécue par certains musiciens griots contemporains.

L’aire géoculturelle d’influence mandingue recouvre un ensemble de pays du Sahel occidental englobant l’actuel Mali, le Sud de la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et la Guinée Bissau, le Nord de la Guinée, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. L’hégémonie du royaume du Mali, qui aboutit à la création de l’empire mandingue ou empire du Mandé, se développe du 13e siècle au début du 16e siècle. Le pouvoir des rois s’exerce alors non pas sur un territoire délimité, mais sur des sociétés sédentaires, comme les Malinké, les Bambara ou les Soninké et sur des groupes nomades, comme les Peuls et les Dioulas, qui les reconnaissent.

Un nom parcourt tous les récits, les chants et les livres. Celui de Soudiata Keïta, unificateur des peuples du Mandé, dont les griots chantent les hauts faits. Aujourd’hui, on raconte son histoire en bandes dessinées et il est un héros de dessins animés. Dès l’enfance, dit la légende, Soundiata, fils de roi, n’a pas l’usage de ses jambes. Exclu par son frère, qui l’exile du royaume, il va y revenir afin de mobiliser son peuple contre la tyrannie du roi des Sosso, Somaworo Kanté, forgeron et magicien, avec lequel a pactisé son frère.

Mandékalou - Soundiata

À voir aussi : Soundiata l’héritier des griots (première partie, deuxième partie, troisième et dernière partie)

La charte de Kurukan Fuga, conçue en 1236, est l’une des plus anciennes constitutions établies dans le monde. L’Unesco l’a inscrite en 2009 sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité. Elle met en avant la paix sociale dans la diversité, l’inviolabilité de l’être humain. Elle prône l’éducation, l’intégrité de la patrie, la sécurité alimentaire, l’abolition de l’esclavage par razzia, la liberté d’expression et de commerce. Ces principes continuent d’être transmis de père en fils lors d’une cérémonie annuelle au village de Kangaba.

Kouroukanfouga © droits réservés
Kouroukanfouga © droits réservés

 

Le premier article de la charte précise les quatre grands groupes formant la société, où ils exercent un rôle et une activité spécifiques :

  • Les “Ton ta djon”, ou porteurs de carquois, se déclinent en seize sous-groupes.
  • Les “Mansa si”, ou tribus princières, sont au nombre de quatre.
  • Les “Mori Kanda” constituent cinq classes de marabouts.
  • Et les “Nyamakala”, ou classes de métiers, sont constitués de quatre castes : celle des griots = Djeli ; celle des forgerons = Noumou ; celle des cordonniers = Garanké ; celle des tisserands = Maabo. Dans notre illustration, le peintre a ajouté la caste des esclaves = Djon, dont les conditions varient au sein de la société. Amadou Hampâté Bâ l’a superbement décrite à travers ses récits.
Amadou Hampâté Bâ © droits réservés
Amadou Hampâté Bâ © droits réservés

 

Les griots ou djeli constituent de grandes lignées familiales, attachées aux familles princières. Dans la généalogie du Mandé, la première grande famille de djeli est liée à celle de Soundiata Keïta. L’épopée raconte que le roi du Mandé, le frère aîné de Soundiata, qu’il a chassé, le jugeant trop dangereux, envoya son djeli nouer alliance avec le roi Soumaworo Kanté. Dans une case déserte, le djeli découvre le balafon ou plutôt le bala de Soumaworo. Son gardien, l’épervier, finit par lui laisser jouer de l’instrument sacré. Les sons symboliques de ce “djo”, objet d’adoration magique, attirent le roi. Furieux que quelqu’un se permette de faire sonner son instrument magique, il fond sur le djeli, lequel, pris d’une grande frayeur, se met à chanter ses louanges. Sa musique et son chant ont pour effet d’apaiser le souverain, qui prononce alors ces mots : « Bala Fasséké Kouyaté » ! Ce qui veut dire : « Tu peux jouer le Bala” (Bala Fasséké) – “Il y a un secret entre nous” (Kouyaté). »

Ce qui est assez frappant avec la tradition mandingue, c’est que les éléments qui font partie de la légende vivent encore aujourd’hui. Il en est ainsi du fameux bala ou balafon de Soumaworo Kanté, le Sosso Bala, gardé par les griots Kouyaté de Nyagasola en Guinée.

L’espace culturel du Sosso-Bala (Unesco)

 

C’est un descendant de la grande lignée des Kouyaté qui a été le premier à faire connaître la splendeur de l’art vocal et musical mandingue, le Guinéen Kouyaté Sory Kandia. Dès les années 1950, il parcourt les scènes du monde avec les Ballets Africains de Keïta Fodéba. Ils triomphent en France, en URSS, en Chine, aux Etats-Unis… Le président Sékou Touré lui confiera la direction de l’Ensemble instrumental et choral “la Voix de la Révolution”. Parmi bien d’autres distinctions, il recevra le Grand Prix de l’Académie Charles Cros en 1970, avant de disparaître en 1977.

Kouyaté Sory Kandia - Souaressi

 

Un autre grand djeli, El Hadj Djeli Sory Kouyaté, l’un des plus grands maîtres du balafon mandingue, disparu le 15 juin 2009, nous a laissé les précieux enregistrements des trois volumes de son Anthologie du balafon mandingue, publiée par Buda Musique.

El Hadj Djeli Sory Kouyaté - Keme Bourema

 

En pays mandingue, on reconnaît les héritiers de lignées de djeli à leur nom : les Kouyaté, Diawara, Kanouté, Soumano, Souso, ainsi que les Sissoko (ou Cissoko) comptent parmi eux d’illustres musiciens. Mais le tout premier nom donné à un griot est Diabaté.

La légende raconte que le buffle de Dô ravageait le Mandé. Deux frères chasseurs Traoré, l’aîné Dan Mansa Wulani et son cadet Dan Mansa Wulamba s’en vont chasser l’animal magique. Or, devant sa puissance, le frère aîné prend peur. C’est alors son cadet qui endosse son rôle et terrasse la bête. Aussitôt son aîné entonne un beau chant de louanges. Le cadet dit alors : « Mon frère, si tu étais griot, DianBaGaTé ! » c’est à dire, « personne ne pourrait rien te refuser ». L’expression DianBaGaTé se condense en Diabaté, puis devient le nom clanique de la descendance de Dan Mansa Wulani.

Les Diabaté sont légions sur la scène africaine. Ils nous font rêver ou danser : Abdoulaye Diabate, tant de fois l’invité d’Africolor ; Djanka Diabaté, produite par Cobalt ; Zani Diabaté et son fabuleux groove de chasseur ; Kélétigui Diabaté avec son balafon chromatique ; Sekou Diabaté, dit “Diamond Fingers”, le guitar hero du Bembeya Jazz ; sans oublier bien sûr le maître de la kora Toumani Diabaté et son fils Sidiki, qui honore le prénom de son illustre grand-père, maître de l’instrument.

Toumani et Sidiki Diabaté - Kaïra

 

Un autre immense griot musicien, Kassé Mady Diabaté, nous quittait en 2018. Il était originaire de Kela, l’un des trois centres les plus réputés de l’art oratoire des djeli. Kela, qui est situé près de Kangaba, donne son titre à l’album de Kassé Mady paru en 2009. Son producteur, Ibrahima Sylla, racontait qu’il lui avait demandé de chanter Koulandjan. Kassé Mady lui demande alors : « “Koulandjan” de la ville ou le vrai “Koulandjan” du village ? » Sylla, bien sûr, voulait le vrai ! Kassé Mady lui dit alors qu’il en aurait au moins pour 30 minutes de chant, en ajoutant qu’il ne peut pas le faire sans en demander l’autorisation au village. Il faut attendre deux semaines le retour de la lettre du village, accompagnée d’une cassette sur laquelle on lui indique les parties à ne pas oublier. Mais à l’enregistrement, Sylla le fait arrêter au bout de 13’30”. Alors, dans la chanson, Kassé Mady prononce ces mots : « Je m’arrête parce que le propriétaire du studio m’a dit d’arrêter. Je demande pardon aux chasseurs qui m’ont transmis les paroles, mais je continuerai prochainement. » Simbo, autre version courte de Koulandjan, figure sur l’album Kiriké, le dernier que Kassé Mady Diabaté ait enregistré en 2014, pour le label No Format.

Kassé Mady Diabaté - Simbo

 

Dans son Anthologie de chants mandingues (L’Harmattan), Mamadi Kaba précise : « À l’origine, ce chant est dédié au simbo, c’est-à-dire au grand chasseur qui est toujours aussi le connaisseur des plantes et des animaux sauvages, le sorcier connu à vingt lieues à la ronde, respecté et craint de tous. »

Sur cet enregistrement, Kassé Mady était accompagné par d’autres descendants de grandes lignées de djeli : Badje Tounkara au ngoni, Lansine Kouyaté au balafon et Ballaké Sissoko à la kora. De même que les Kouyaté détiennent l’art secret du balafon, c’est à la lignée des Cissoko (ou Sissoko) qu’a été confiée la connaissance et la perpétuation de la kora. Celle-ci trouve, dit-on, son origine à Kansala, aux pieds des monts du Fouta Djalon. C’était la capitale du royaume de Gabou, qui englobait la Guinée-Bissau, la Casamance, la Gambie et le sud du Sénégal. Les récits des griots attribuent à Djelimadi Wouleng la paternité de la science raffinée de la grande harpe à chevalet, munie de vingt et une cordes, qui aurait pris sa forme contemporaine dans le courant du 19e siècle.

Kora © droits réservés
Kora © droits réservés

 

Les différentes légendes contant l’apparition de la kora l’associent à une femme. La version du griot guinéen M’Bady Kouyaté évoque un lac mystérieux où un génie, dit-on, exauce les vœux. Djeli Mady Wouleng Cissoko va le voir et demande au génie un instrument qu’aucun autre griot ne possède encore. Le génie donne son accord, mais réclame en échange la sœur du griot. Celle-ci accepte de s’offrir au génie pour la gloire de son frère… Depuis les Cissoko sont réputés dans l’art de la kora. C’est le cas du merveilleux chanteur et musicien sénégalais Ablaye Cissoko, avec lequel nous refermons cet épisode.

Ablaye Cissoko - Douna

 

 

Musiques Mandingues : Griots Globaux – épisode 2

 

 

François Bensignor

Journaliste musical depuis la fin des années 1970, il est l’auteur de Sons d’Afrique (Marabout, 1988), de la biographie Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat (éditions Demi-Lune, 2012). Il a dirigé l’édition du Guide Totem Les Musiques du Monde (Larousse, 2002) et de Kaneka, Musique en Mouvement (Centre Tjibaou, Nouméa 2013).

Cofondateur de Zone Franche en 1990, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma (2002-14), il a coordonné la réalisation de Sans Visa, le Guide des musiques de l’espace francophone (Zone Franche/Irma, 1991 et 1995), des quatre dernières éditions de Planètes Musiques et de l’Euro World Book (Irma).

Auteur des films documentaires Papa Wemba Fula Ngenge (Nova/Paris Première, 2000) tourné à Kinshasa, Au-Delà des Frontières, Stivell (France 3, 2011) et Belaï, le voyage de Lélé (La Belle Télé, 2018) tourné en Nouvelle-Calédonie, il crée pour la chaîne Melody d’Afrique la série d’émissions Les Sons de… (2017).

Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music pour la Cité de la Musique de Paris (2014).

On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

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