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Lansiné Kouyaté © Manuel-Lagos – Moh ! Kouyaté © DR - Famoro Dioubaté © DR - Kanazoé Diabaté © DR
Lansiné Kouyaté © Manuel-Lagos – Moh ! Kouyaté © DR - Famoro Dioubaté © DR - Kanazoé Diabaté © DR -

Musiques Mandingues : Griots Globaux - épisode 2

Comme le dit François Bensignor dans l’épisode 1 de cette série, “ Musiques Mandingues : l’art de la permanence “, « Le fond traditionnel consolidé depuis neuf siècles par des générations de griots est d’une telle richesse qu’il accueille toutes sortes de transformations sans perdre son essence. » En même temps, cette musique vit un moment délicat et nombre de griots, musiciens et historiens-oraux, craignent de la perdre. Voici quelques exemples d’artistes qui vivent à la croisée du passé et de l’avenir, du local et du global, de l’Afrique et de l’Europe.

Musiques Mandingues : l’art de la permanence – épisode 1

 

Le système traditionnel de transmission de l’art du griot existe toujours au Mali, en Guinée ou en Gambie, mais il s’essouffle car les jeunes griots n’ont plus le temps ni les conditions pour apprendre comme leurs parents.

Dani Kouyaté, réalisateur burkinabé et griot a dressé ce constat dans le film : Keïta ! L’Héritage d’un Griot (1995). Les déplacements de la campagne à la ville et de l’éducation indigène à l’éducation occidentale ont fait apparaitre les premiers changements. Aujourd’hui le manque de temps, l’usage généralisé des smartphones, de YouTube et des réseaux sociaux facilitent l’accès à des vidéos étrangères et déclenchent un intérêt marqué pour les musiques électroniques, le hip-hop et d’autres styles qui délaissent les instruments traditionnels. Les meilleurs griots “à l’ancienne” joueurs de kora, de balafon ou de guitare partent à l’étranger et de moins en moins de grands maîtres restent en Afrique pour enseigner aux enfants.

Ceux qui sont nés en Europe ou aux États Unis ont beaucoup plus de choix d’études de carrière. Certains apprennent un instrument avec leurs parents, mais tous suivent un enseignement occidental qui prend la majorité de leur temps.

 

Je parle régulièrement avec des griots qui ont entre 40 et 60 ans et enjambent deux mondes mélangés. Tous veulent honorer la musique de leurs parents tout en innovant afin d’attirer un public européen. Je les appelle les “Griots Globaux.”

Ils sont nés et ont été éduqués en Afrique de l’Ouest. Ils ont appris de leurs aînés à jouer de leur instrument dès leur plus jeune âge et y ont consacré beaucoup de temps pendant leur enfance. Ces griots gardent l’essence de leur culture mais dans des façons assez variées.

L’essence de la culture des griots repose sur une grande connaissance de l’histoire, des lignées de certaines familles, des épopées comme celle de Soundiata Keïta, qui forment la base de la démocratie de la société Mandingue (qui inclut beaucoup de groupes ethniques). La sagesse d’un griot s’exprime à travers ses histoires et sa musique afin de tisser les fils du vivre ensemble et de créer l’assemblage historique d’un peuple grand et diversifié. Un griot n’a pas besoin d’être un maître de toutes ces connaissances, mais il se doit d’honorer l’idée de la paix et de l’harmonie pour l’humanité.

Comment transférer l’essence du griot au monde ? Comment adapter les paroles, la musique, le comportement d’un bon griot pour un public occidental ?

La musique est une langue internationale. La beauté, la complexité, la douceur dans la musique se voit et s’entend à travers des cultures, dans la kora de Toumani Diabaté ou la voix de Kassy Mady Diabaté. La musique classique mandingue se rapproche aisément de la musique classique occidentale. Mais les griots actuels veulent aussi faire évoluer leur musique, ne pas rester figés dans la tradition et pouvoir jouer avec les styles contemporains.

Ces griots on été influencés par la musique de l’étranger depuis leurs enfance—l’Europe, les Etats Unis, Cuba… À partir de l’indépendance des pays d’Afrique Occidentale, les influences de la salsa, du jazz ou du reggae sont entrées par les ondes radios. Leurs parents ont combiné ces styles avec leurs musiques indigènes pour créer des groupes comme Balla et ses Baladins, le Bembeya Jazz ou le Rail Band de Bamako.

Les musiques des “Griots Globaux“ proposent d’autres associations entre leur culture mandingue et celle de l’Occident.

Lansiné Kouyaté joue Summertime de Gershwin

 

 

Dans les années 90, lorsqu’il était un jeune artiste de l’Ensemble National du Mali, Lansiné Kouyaté écoutait des artistes de jazz comme Lionel Hampton ou Miles Davis. Fasciné par leur gamme de notes, il voulait apprendre quelque chose qui dépasse les capacités de son instrument. Le “Sosso Bala” le balafon du peuple mandingue du Mali et de la Guinée est diatonique. Sa gamme de sept notes peut correspondre aux gammes occidentales. Il y a aussi des gammes “traditionnelles” où les sept notes sont différentes. Lansiné explique qu’il connaissait toutes les notes, mais pas la façon de les jouer ensemble, comme les instruments chromatiques. Il fallait inclure les notes dièses au balafon puis apprendre à en jouer. Cette adaptation lui a permis d’allier la musique mandingue aux instruments de l’orchestre et à des chansons occidentales connues. Installé à Paris, Lansiné a fait des albums avec le pianiste Jean-Philippe Rykiel et le vibraphoniste David Neerman aussi bien que des albums plus traditionnels avec le joueur de kora gambien Yakhouba Sissokho. Lansiné aime jouer le balafon chromatique, mais aussi la version diatonique du balafon mandingue.

Kakande à Shrine World Music Venue

 

 

Prodige du balafon, Famoro Dioubaté a joué pour l’ensemble instrumental guinéen dès l’âge de 19 ans. Comme Lansiné, il a très tôt été séduit par le balafon chromatique. Son grand-père El Hadj Djeli Sory Kouyaté, griot du président Sékou Touré a reconnu l’énorme talent de son petit-fils, mais lui a conseillé de ne pas diluer le Sosso Bala avec des bémols avant d’obtenir un bon niveau dans le style traditionnel.

Aujourd’hui âgé de 57 ans et vivant à New York depuis 25 ans, Famoro continue de respecter les conseils de son grand-père. Au lieu d’ajouter des notes au balafon, il combine batterie, basse, guitare, djembé et d’autres instruments dans son groupe de manding groove, Kakande. Sa musique utilise d’anciens standards traditionnels et leur donne une touche moderne, parfois un rythme de danse qui attire chaque mois un public cosmopolite au Shrine World Music Venue à Harlem, New York. Famoro explique qu’au fil des ans il est devenu sensible à l’oreille des auditeurs américains. Il capte leur attention en jouant avec des notes aiguës, en modulant peu à peu la complexité du rythme pour les emmener dans un voyage polyrythmique qui peut se terminer sur un solo sophistiqué en 12/8, où ils reconnaissent son génie. Il dit qu’il a fallu du temps et de la recherche pour trouver le moyen d’attirer un public étranger. Cela semble fonctionner, car Kakande a développé une base de fans fidèles aux États-Unis.

 

Kanazoé Orkestra au Studio de l’Ermitage

 

 

Kanazoé Diabaté a commencé l’apprentissage du balafon avec son père à l’âge de 7 ans. Il se souvient d’avoir dû jouer des nuits entières, plusieurs jours d’affilés, dans des festivals au Burkina Faso.

C’était difficile, mais il est reconnaissant de cette merveilleuse éducation, son ticket pour faire le tour du monde. Kanazoé joue à la fois du balafon diatonique du Mali et de Guinée, mais aussi du balafon pentatonique de sa région du Burkina. Il est Semla, une sous-branche du peuple mandingue. Dans un entretien en 2022, il me raconte comment il a fait progresser le style traditionnel pour attirer un public moderne : « J’ai beaucoup inventé. Je joue le balafon traditionnel, mais dès que je fais les solos, je crée ma façon de jouer. J’y ai apporté la rapidité. Avant, les anciens ne jouaient pas avec la force ou l’énergie que je donne. C’était tranquille. Aujourd’hui au Burkina, tous les jeunes ont envie de jouer comme moi. » Basé à Forcalquier, il a crée le Kanazoé Orkestra, un mélange de musiciens français et burkinabés qui ajoutent saxophone, percussion, basse, batterie, n’goni, et plusieurs balafons. Le groupe adapte des morceaux traditionnels et joue de nouvelles compositions.

Même s’il modernise le son de sa musique, la responsabilité de  rester griot est essentielle pour Kanazoé. Dans plusieurs chansons de son troisième album Tolonso, les paroles donnent des conseils au peuple burkinabé. Sur Bara il dit qu’il faut travailler pour réussir à développer le pays. La chanson Mousso donne du respect aux femmes, car honorer sa mère est l’un des plus grands signes de respect dans la culture mandingue. Sur Tama, il parle de la difficulté de voyager loin de son pays natal et avec Djoroko, qui signifie Chaînes, il s’adresse aux Européens en leur demandant pourquoi l’Europe maintient l’Afrique dans une position subalterne ?

Folikadi est plus léger, « La musique rend heureux ! » : Kanazoé a écrit la chanson au premier confinement, période durant laquelle il s’est rendu compte à quel point son bonheur dépendait de la musique.

Moh ! Kouyaté - La Guinée

 

Le père et le grand-père de Moh ! Kouyaté étaient déjà guitaristes et il a grandi en écoutant les grands groupes d’Afrique de l’Ouest. Il a joué avec Fatoumata Diawara et Ba Cissoko et navigue entre musique traditionnelle pop, funk ou jazz.

Dans une interview de 2022, il m’a racontée comment à 19 ans, il a rencontré sa première influence étrangère. :

« Un jour en Guinée, je tombe sur le grand guitariste, aujourd’hui décédé, Amadou Saliou Diallo qui me remet un CD de George Benson en me disant : “Maintenant tu vas vraiment jouer la guitare, tiens va écouter ça!“ J’écoute le CD et me dis : “C’est quoi  ça?“ Je retourne voir Amadou et lui dis : “Je ne comprend rien!“ Il me répond : “Ecoute encore, tu vas voir, ça c’est le jazz!” »

Ensuite Moh ! découvre Jimi Hendrix, BB King, Buddy Guy et son monde s’ouvre à quelque chose de nouveau. En 2006, il rencontre le bluesman américain Corey Harris et le suit lors d’une tournée aux États-Unis durant laquelle il lui présente d’autres bluesmen comme Alvin Bloodheart. Cette grande expérience formatrice l’a poussé à devenir le musicien qu’on connaît aujourd’hui.

Les valeurs des griots apprises par Moh ! dès son plus jeune âge sont vivantes dans sa musique et dans son cœur. Son prochain album, Mohoya (Humanité), qui sortira à l’automne, est entièrement acoustique et combine les sons de la kora, du violon, du violoncelle avec sa guitare et sa voix. Ses textes touchent au lien d’amour entre humains. Comme dans sa chanson Ensemble où il affirme que la méchanceté n’a aucune valeur, mais que l’amour est essentiel et que nous ne devons le cultiver si nous souhaitons partager une même planète.

Moh ! Kouyaté chez lui

 

 

Lisa Feder

Lisa Feder
Lisa Feder

Basée à Marseille, Lisa Feder est une anthropologue américaine avec un doctorat de Cornell University à New York. Elle a plus de vingt ans d'expérience avec des musiciens griots de la culture mandingue d'Afrique occidentale. Elle est la fondatrice de Manding Grooves, une société française qui soutient les musiciens griots en Afrique, aux États-Unis, et en France. 

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