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Musiques d’ici, le cœur un peu là-bas

Les musiques d’ici sont celles qui se créent, se jouent et ou se développent en France autour de traditions et de pratiques issues d’une culture d’ailleurs, qui se rattachent à une ou plusieurs diasporas. Artistes immigrés sur le sol français ou appartenant à une famille de seconde ou troisième génération, leurs créations sont le reflet de leurs parcours et de leurs rencontres avec ceux d’autres musiciens natifs ou implantés sur le territoire national (métropole et outre-mer). Le dispositif du Prix des Musiques d’ICI (Diaspora Music Awards) a été créé pour leur apporter soutien et visibilité. 

Depuis son lancement en 2017, le Prix des Musiques d’ICI est co-produit par le Festival Villes des Musiques du Monde, la Fédération des Acteurs et Actrices des Musiques et Danses Traditionnelles (FAMDT) et le Collectif Musiques et Danses du Monde en Ile-de France (MDM). Chaque année les coordinateurs du dispositif lancent un appel à projet en direction d’artistes professionnels ou désirant le devenir qui vivent sur le sol français (métropole et outre-mer) et sont issus d’une diaspora (à minima un de leur membres).

 

 

Les dossiers sont étudiés par un jury de pré-sélection chargé d’écrémer les propositions, 200 cette année, et de désigner 6 finalistes, départagés ensuite par un autre jury en charge de définir les 3 lauréats. Les deux jurys sont composés de professionnels de la musique (journalistes, producteurs, entrepreneurs de spectacles, institutionnels ou membres de réseaux). Tous s’engagent à apporter aides et compétences aux projets retenus. En 2023, les finalistes sont Lia, l’Ensemble Chakâm, Sukh Mahal, Yann Solo, Insólito Universo et Benzine

 

Le prix attribué ne se traduit pas par une apport financier mais par un accompagnement personnalisé à chaque profil pour une durée d’au moins un an. Concerts, formations et résidence leurs sont proposés et ils sont très attentivement épaulés dans leurs recherches de professionnels indispensables à l’évolution de leur carrière. Ces actions sont coordonnées par Marie-Laure Lakhdar (auparavant responsable du festival Au Fil des Voix (2012-2018) ou administratrice du secteur artistique à l’ambassade de France à Pékin) et Bernard Guinard (ancien directeur de la FAMDT (2012-2019).

Ce dernier raconte la genèse du prix : « Ca a démarré en 2016 par un échange téléphonique avec Kamel Dafri, directeur du festival Villes des Musiques du Monde qui me dit : “Ecoute, on constate depuis des années qu’il y a beaucoup d’artistes, avec qui on vit en proximité, qui ont un gros souci d’invisibilité, auprès des médias et des professionnels. Est-ce qu’on ne pourrait pas essayer d’organiser quelque chose pour aider ces artistes ? “ » 

Perrine Fifadji - Les Sessions Curieuses de Musiques Métisses

 

Perrine Fifadji, lauréate du prix en 2019, est née au Congo-Brazzaville, de parents béninois et vit en France depuis l’âge de douze ans. Elle témoigne de ses difficultés :

« Je travaille sur les musiques (dîtes) du monde, depuis plusieurs années, je vois bien que quand quelqu’un ne fait pas de la musique traditionnelle, ceux qui ont envie de programmer les musiques du monde, ont plus de réticence, comme si c’était moins authentique. » Elle se réjouit de cette initiative : « Il n’y avait pas de dispositif pour des personnes d’origine étrangère vivant sur le sol français. Il valorise les couleurs des musiciens qui sont imprégnés de la culture du sol sur lequel ils vivent et gardent trace de leurs origines en les emmenant ailleurs. »

 

Par leurs parcours, leurs rencontres, ces musiciens d’ici proposent une relecture personnelle de leurs traditions, l’exil leur intime naturellement de redéfinir leur identité en tenant compte de tout ce qu’ils ont vécu là-bas et ici.

 

C’est le cas de Benzine qui concoure cette année. Farid Belayat est né à Oran et est arrivé en France fin 2013. Samir Mohellebi est né en Belgique d’un père Algérois et d’une mère originaire du Sud italien. Ils se sont rencontrés à Marseille où ils vivent aujourd’hui. Farid portait en lui la culture bédouine transmise par ses grands parents et Samir cherchait à approfondir sa culture méditerranéenne :

Samir : « A Marseille ça m’a fait du bien de pouvoir me projeter dans des projets avec des Algériens, la Belgique est vraiment tournée vers la culture anglo-saxonne et artistiquement, ce n’était pas mon truc. » Entre leurs différents projets musicaux ils se croisent et se recroisent, leur amitié grandit et ils décident de monter un duo. Farid : «  On a fini par se dire qu’il fallait faire un truc de cette amitié spontanée. On a parlé de notre envie de travailler sur des reprises de vieilles chansons raï. Benzine est parti de là. » Ils sont complémentaires, chacun tire l’autre vers le haut et leur répertoire de recréation se transforme en projet de création. Farid : « Samir m’a dit : “C’est beau de reprendre des vieux textes du 18e siècle, mais c’est toi aussi le bédouin, tu peux te sentir légitime maintenant.“ Je me disais que je n’étais pas formé pour écrire de la poésie bédouine. Mais j’ai compris qu’il n’y avait pas de formation que ça doit sortir du cœur, du vécu. »

 

Farid connaît bien la musique vers laquelle ils s’engagent et se réjouit que Samir y apporte autre chose : « Il ne connaissait pas le raï, il est venu avec une oreille complètement neuve, sans a priori, stéréotypes ou références. Il a posé ses sons qu’on ne retrouve pas dans le raï, des nappes qui donnent un côté psyché et c’est complètement nouveau. » Sur scène, pas d’ordinateurs. Farid passe de la basse aux machines en assurant le chant lead, pendant que Samir jongle entre claviers et guitares en faisant les chœurs. Farid : « C’est une petite gymnastique d’esprit qui n’était pas facile au début, mais qui est maintenant plus fluide. Ainsi aucun concert ne ressemble à un autre, avec l’ordi ça serait tout le temps la même chose. » Juridiquement, ils sont constitués en association. S’ils remportent le prix, ils savent ce que ça pourrait leur apporter. Samir : « Ce qui nous manque clairement, c’est une production. Pour l’instant, administrativement nous gérons un peu tout. De pouvoir se décharger de toute cette partie serait super. »

Benzine - Dellali

 

L’autogestion est aujourd’hui de plus en plus courante chez les artistes, quitte à ce qu’ils s’épuisent un peu comme le souligne Marie-Laure Lakhdar : « Ça a ses limites, rapidement. Passé un palier, ils ne peuvent plus tout assumer. Leur rôle reste l’artistique, ils doivent s’entourer et déléguer, sinon ils ne peuvent pas aller très loin. » 

Le dispositif du Prix des Musique d’ICI met tout en œuvre pour leur trouver les bons partenaires et aider leur entourage. Bernard Guinard : « Notre boulot c’est aussi parfois d’accompagner, soutenir et de se mettre d’accord sur une stratégie avec les boîtes de production. » Quelques jours avant la finale les coordinateurs rencontrent chacun des six finalistes pour évaluer précisément leurs besoins et leurs objectifs. Avec les trois lauréats les actions nécessaires pour les atteindre sont précisées sur une convention où les artistes s’engagent aussi à jouer le jeu. Bernard Guinard : « On leur explique que c’est un travail d’équipe qui est mis en œuvre. On ne leur imposera rien mais leur écosystème (production, manager, tourneur …) est nécessairement embarqué. C’est un vrai contrat avec des objectifs qu’on cherche à atteindre en se faisant des points réguliers pour savoir où on en est et que l’on essaye de tenir sur un an ou plus. » Parfois beaucoup plus comme en témoigne Perrine Fifadji : « Avec ce prix tu as le droit à une résidence de création. En 2019, j’avais déjà sorti mon disque et ils m’ont dit que je pourrai en profiter à mon prochain projet. C’est ce qu’il se passe cette année : pour ce nouveau projet je voulais un temps en immersion au Bénin. Le prix a fait le lien avec l’Institut français du Bénin. Ils n’ont pas mis les sous, mais ils ont été très présents dans la mise en relation et le suivi de l’organisation. Leur apport a vraiment été fondamental. »

Ensemble Chakâm - Didâr

 

Le dispositif d’accompagnement n’est pas figé à un modèle. Les responsables ont le constant désir  de l’améliorer, d’élargir leur réseau de partenaires et restent attentifs à l’évolution des pratiques et contraintes du microcosme de la musique, comme l’affirme Bernard Guinard : « Nous essayons de ne pas être dans la reproduction. Non seulement le dispositif est tricoté fin et adapté à chaque projet mais chaque année on essaye d’améliorer, de réfléchir, de réformer, de comprendre vraiment ce qu’il se passe. »

 

La finale du Prix des Musiques d’ICI s’est jouée sur les soirées des 12 et 13 octobre à Paris dans le cadre du festival rencontres professionnelles du MaMA Music & Convention.

Les lauréats ont été désignés le samedi 14, le subtil tissage des traditions iraniennes, palestiniennes et baroque de l’Ensemble Châkam, les traditions afro vénézuéliennes dans un bain expérimental et psychédélique d’Insólito Universo et Benzine sont les lauréats de cette septième édition.

Insólito Universo - Ese Puerto Existe

 

La raï machine, telle que Benzine se qualifie, a su convaincre. Farid et Samir nous ont confié leurs impressions :

Samir : « On est contents, on va voir aussi ce sur quoi ça va déboucher. On sent que ça va être une porte ouverte à d’autres réseaux, à des collaborations. On est aussi venus avec Arnaud de la Clique (producteur de spectacles marseillais) avec qui on n’a pas encore signé, mais que les gens du prix connaissaient. Dès qu’on va pouvoir se mettre ensemble autour d’une table, on aura un plan sur nos besoins et sur ce qu’il y a à faire pour la suite. »

Farid : « On n’est pas du tout venus dans un esprit de compétition, ce n’est pas du tout notre truc. Nous sommes venus pour faire un bon concert, s’amuser et rencontrer des gens. Il y avait des super groupes qui ont joué avant (lEnsemble Châkam) et après nous (Lia). Chez toutes les personnes du prix que l’on a rencontré hier j’ai senti de la gentillesse et de l’humanité. Je suis content à l’idée de les revoir et de continuer à bosser avec eux. »

 

Une riche année s’annonce pour eux comme pour l’Ensemble Châkam, Insólito Universo, ou Marie-Laure Lakhdar et Bernard Guinard et leurs partenaires. Les trois finalistes non retenus auront bénéficié d’une visibilité non négligeable devant des professionnels, qui, comme cela s’est déjà déroulé aux autres éditions du Prix des Musiques d’ICI peuvent avoir des coups de cœurs décisifs pour leur développement.

 

plus d’info sur :

Le Prix des Musiques d’ICI

Les critères de sélection

Les membres du jury

 

 

 

benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM © Ida Wa
© Ida Wa

 

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014.

Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

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