Il y a 15 ans, une étude du ministère de la Culture indiquait que le metal restait le courant musical le moins aimé des Français, et ce, avant le hip-hop… En cause, notamment : un manque de connaissance (provoqué par son absence des médias généralistes), l’esthétisme de la violence et des sons activant une zone de danger en son fort primitif.
Détesté, le genre continue pourtant de résister, en particulier dans les scènes dites “non occidentales“. Avec des raisons parfois même endémiques : vecteur de contestation contre la religion institutionnelle au Maroc, pont entre tradition et modernité en Mongolie, lutte pour la diversité musicale en Inde, catharsis face au carcan sociétal en Chine…
Et si, le metal était devenu le meilleur pouls sociologique de la jeunesse mondiale ?
La musique a beau être omniprésente dans la société malgache, on cachait cependant – jusqu’à peu encore et par peur de ternir sa réputation – l’activité d’un enfant musicien… C’est dire si la résilience de groupes amplifiés tient de l’oasis, en particulier dans une île-continent (1,5 fois la taille de la France) électrifiée qu’à 12%. État des lieux avec LohArano qui a sorti, fin mars, son 1er album.
Pourquoi avoir décidé de jouer du metal ?
La musique de LohArano était à l’origine centrée sur la world music… Or, c’est en voulant expérimenter de nouvelles approches, sortir de notre zone de confort et éviter les redites que nous nous sommes tournés malgré nous vers la fusion. Et pour cause : nous restons des rockeurs (nous nous sommes d’ailleurs rencontrés lors de concerts ou festivals dédiés au metal). Avec la colère qui nous habite, on ne peut pas s’empêcher d’en faire : l’esprit rock refait systématiquement surface. Nous avons donc décidé de faire parler le vrai « nous ».
Pouvez-vous nous dresser un rapide historique de ce mouvement musical dans votre pays, pour en comprendre le cheminement ?
Le rock est arrivé dans l’oreille des malgaches dans les années 50. L’évolution du mouvement a engendré plusieurs vagues de rockeurs dans l’île, avec des groupes phares comme Les Surfs, Les Safaris… (60s) ; The Pumpkins, The Black Jacks … (70s) ; ou encore Doc Holliday (80s). Puis, il y a eu un vrai tournant avec une nouvelle vague expérimentant un son plus lourd comme par exemple Tselatra d’un côté ; ou un rock tendant plus vers la variété ou la pop comme Iraimblanja, Kiaka…. C’est avec l’influence de ces derniers et la plus grande diversification des albums étrangers qui nous parvenaient que les rockers locaux ont alors découvert des sous-genres comme le hard rock ; voient la formation des premiers groupes de metal comme Kazar (thrash metal), Men Out ou encore Lokomotiva (heavy metal).
Dans les années 90, le metal malgache est contenu au milieu alternatif, mais continue à se développer grâce des groupes phares comme Red Metal, Black Wizzard, Orthodox, Holocaust, Martz… À partir des années 2000, la tendance générale tend à une approche plus “mainstream“. C’est la découverte des groupes anglophones à la Blink-182, System Of A Down ou Linkin Park qui va autant impacter les rockers que les metalhead. C’est donc, en miroir, toute une nouvelle scène qui se crée avec des groupes comme Outline, Beetle Juice, UXT (plus orientés vers le punk hardcore) ou Rheg (toujours dans le heavy, voire hard rock), Egraygore (death metal)…
Vers 2010, on assiste encore à l’émergence d’une toute nouvelle vague. C’est un autre grand tournant de la scène locale, autant influencés par les aînés que par les groupes étrangers. Les généalogies sont mélangées et les groupes creusent des niches en se spécialisant davantage : Behind De Sin (metalcore), Dark Inside (melodic death metal), Step To Heaven (metalcore), Allkiniah (power metal) ou Death Child (melodic death metal) dont est issu notre batteur, Myosotis (heavy metal) qui comprenait notre chanteuse et notre guitariste.
Sans oublier les formations plus récentes comme Alina (symphonic metal), Dymiz (metal fusion) ou Veins (thrash metal)…
Existe-t-il une spécificité malgache dans votre approche du metal ?
Pas vraiment. Hormis, pour nous, l’intégration des rythmes ternaires ancestraux, il n’y a pas de constante générale : chaque groupe fait selon ses goûts. Néanmoins, on peut toutefois noter que la grande majorité se rapproche des sonorités “années 80“, du type Iron Maiden, Metallica…
Peut-être alors des scènes différentes, selon les zones géographiques ?
Hélas, les rares événements ne sont présents que dans quelques régions. C’est d’ailleurs dans ces villes que se situe la plupart du public : Antananarivo, Antsirabe, Fianarantsoa et Tamatave. Il n’y a donc pas de spécificités géographiques. D’autant que les locaux culturels et organisateurs “professionnels“ sont réticents à accueillir un groupe issu de ce genre musical. C’est donc tout un système alternatif qui doit s’organiser : les groupes se cotisent pour les locations, mutualisent leurs moyens et, le plus souvent, des bénévoles se dévouent à l’organisation par passion.
D’où/comment proviennent les influences ?
De nos échanges avec nos frères musiciens. Quand nous avons appris la musique, nous n’avions pas un libre accès à internet. On s’échangeait donc les rares albums et on ne connaissait que les groupes des personnes que l’on fréquentait ! Une grande culture n’était pas seulement une question de moyens, mais de taille du cercle d’amis… S’il doit y avoir des spécificités locales/géographiques, c’est surtout à cette échelle qu’elles s’exercent, plus qu’une influence de l’environnement.
Quelle perception a le pays/les médias/les amis/la famille de ce courant ?
Quand le metal a commencé à émerger dans le pays, la société malgache n’a pas échappé à cette perception faite de clichés : bad boys, alcoolos, drogués, voir même des adeptes de cultes occultes (rires). Même aujourd’hui, alors que le metal est presque devenu mainstream à l’international, le pays a toujours du mal… à comprendre… voire même à accepter cette culture ! Nous sommes majoritairement peuplés de chrétiens radicaux… Il est parfois un peu difficile… (rires) de les convaincre de dépasser leurs préjugés. Les amis ? Eux essaient de comprendre tant bien que mal, malgré tout. Quant à la famille, elle met déjà des années à comprendre que tu n’es pas un cas social… (rires) Les médias, eux, sont réticents à t’approcher car tu ne fais pas partie de la culture populaire. Ton groupe risque donc de réduire, voire même de faire fuir l’audience, malgré quelques journalistes heureusement objectifs.
Est-il possible de vivre du metal ?
Techniquement, oui. Très peu le peuvent, cependant. À Madagascar, nous sommes presque considérés comme des chômeurs (c’est encore pire en ces temps de confinement !). Pourquoi ? Parce que l’activité n’est pas reconnue. Parce que les producteurs locaux n’investissent que dans leur intérêt (et rarement dans un cadre équilibré et concerté avec l’artiste). Parce que les artistes ne reçoivent pas d’aide du gouvernement. Parce que les médias préfèrent la culture populaire du pays. Parce que le metal a une communauté restreinte (et peu professionnelle). Résultats ? Très peu de groupes persistent. Notre solution a donc été d’être à la frontière du rock et du metal… puis de ne pas se satisfaire des seules frontières de notre pays.
CONSEILS D’ÉCOUTE
- ALINA (Antananarivo) : super groupe de symphonic metal avec une vraie sonorité traditionnelle malgache !
- DYMIZ (Antsirabe) : de sacrées bêtes de scène qui font dans le metal fusion !
- EGRAYGORE (Antananarivo) : du death metal qui existe depuis les années 2000, mais qui nous surprend toujours…