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Séance d’enregistrement et d’enquête auprès des pygmées Ba Luma, Nord-Congo par Nathalie Fernando . © Philippe Auzel, juillet 2010.
Séance d’enregistrement et d’enquête auprès des pygmées Ba Luma, Nord-Congo par Nathalie Fernando . © Philippe Auzel, juillet 2010. -

L’ethnomusicologie au féminin pluriel

Enquête sur l’évolution et les nouvelles approches de l’ethnomusicologie et autres disciplines universitaires abordant la musique ‚auprès des chercheuses diplômées dynamiques, passionnées et lucides Marta Amico, Lucille Lisack et Emilie Dalage.

Si les travaux universitaires ont permis au monde occidental de découvrir des musiques traditionnelles souvent inconnues hors de leurs zones géographiques naturelles, ils les ont aussi, au nom d’une connaissance scientifique alliée à un fantasme de pureté musicale, parfois figées dans un carcan d’immobilisme refusant toute évolution. Une attitude hautaine et dominatrice qui s’est aujourd’hui un peu estompée. Ces domaines de recherche, initialement majoritairement masculins, se sont aussi depuis féminisés.

Marta & Ahmed

Marta Amico & Ahmed ©D.R.

 

D’origine italienne, Marta Amico est maîtresse de conférences en ethnomusicologie à l’Université Rennes 2. Au début des années 2000, après avoir découvert le groupe Tinariwen, elle décide de choisir les musiques touarègues contemporaines comme sujet de recherche. Elle se souvient de la façon dont son idée a été accueillie par son maître d’étude à Turin : « Quand j’en ai parlé à mon prof, il m’a dit : “Il n’en est pas question, il faut d’abord travailler sur la vraie culture saharienne, aller dans un village, apprendre la langue, étudier les vrais instruments traditionnels et après vous pourrez enquêter sur ces contaminations.“ Ca m’a fait bizarre qu’il emploie ce terme comme s’il y avait quelque chose de malsain. »

 

Ce point de vue, où l’homme blanc savant décide de ce qui est acceptable où non dans l’évolution d’une tradition qui n’est pas la sienne, affirmait un sentiment de supériorité qui ne tient plus la route.

Marta Amico précise que l’écart de connaissances entre « Nord » et « Sud » s’est amoindri : « Aujourd’hui sur les terrains nos “enquêtés“ sont au fait de ce qu‘il se passe dans le monde. Ils écoutent sans doute les mêmes choses et il n’y a plus ce rapport de pouvoir. Je ne dis pas qu’il n’y en a plus, mais il se situe ailleurs que dans cette relation entre le savant qui sait tout et le musicien que l’on a longtemps appelé “primitif “ ou “sauvage“. »

 

Lucille

Lucille Lisack ©Sukhrob Nazimov.

 

Dans le cas de Lucille Lisack, musicienne et docteur en ethnomusicologie qui consacre ses recherches au renouveau de la création musicale savante en Asie centrale, le rapport de force est même inversé : « Pour moi c’est évident que dans mon travail je n’étais pas la savante. Je discutais avec des professeurs de composition ou de musicologie de Tachkent, j’étais l’étudiante et eux clairement les savants. » 

 

Emiliemini

Emilie Dalage Grande Synthe, camp de la Linière, Mars 2016 ©Than Lui

 

Emilie Dalage maîtresse de conférences en sciences de la communication à l’université de Lille 3 et chercheuse, qui a notamment travaillé sur les musiques dans les camps de réfugiés, confirme cette évolution, mais en révèle les limites. : « Le monde de la recherche reste occidentalo-centré, parce que les financements, les universités puissantes sont au « Nord ». Concrètement dans les recherches cela passe par un souci éthique, notamment dans la valorisation de nos collègues des universités des « Suds » et par des processus de co-écriture avec les artistes qui évitent que les chercheurs du « Nord » “aspirent“ la matière et exploitent pour leur seul bénéfice de prestige les connaissances acquises sur le terrain. Dans les faits ce n’est pas toujours simple parce que nous sommes pris.e.s dans les rapports de pouvoirs et les inégalités mondiales, nous devons le reconnaitre. »

 

Féminisation des métiers de la recherche.

Les sujets d’études ont évolué, la répartition des savoirs entre « Nord » et « Sud » s’est un peu rééquilibrée et ses métiers de la recherche se sont aussi féminisés. Marta Amico et Lucille Lisack appartiennent à la Société Française d’Ethnomusicologie, qui à sa fondation en 1983 ne comptait que deux femmes. Aujourd’hui les proportions se sont inversées et sur neuf membres, le conseil d’administration compte six femmes.

Pour Marta être une femme chercheuse entraîne des relations particulières : « Sur mon terrain être une femme change tout. On est demandé en mariage, une femme qui arrive au Mali et qui reste des mois et des mois doit avoir un petit copain. C’est l’imaginaire qu’ont les gens là-bas. Même pour mes amis en France c’est difficile de comprendre que mon intérêt tient juste à la musique. Au début là-bas la réaction qui se crée est toujours dans la séduction. J’essaye de détourner ça et de gérer pour que cela devienne une relation de collaboration, d’amitié, de partage de certains intérêts. Maintenant je vieillis, j’ai l’âge d’être mariée, alors ça s’estompe. Ca facilite les choses, mais parfois certains ne sont plus tellement intéressés à me parler. »

 

Présentation de la musique Shashmaqom par l’Unesco

Pour Lucille, la féminisation de ces métiers n’est pas seulement un signe positif : «  J’y vois un parallèle avec un certain nombre de métiers du savoir, comme les postes d’instituteurs qui sont de moins en moins reconnus et de plus en plus occupés par des femmes. Aujourd’hui c’est plus difficile de faire de la recherche et on est moins reconnues. Finalement beaucoup de femmes se retrouvent dans les impasses de ces métiers dans lesquels on est dans des situations financières parfois très compliquées. »

 

Car comme l’explique Emilie Dalage aujourd’hui, la principale évolution est d’ordre économique : « Ce qui change surtout c’est le financement par projet. Ce fonctionnement est souvent problématique, il peut engendrer une fragmentation des recherches et sa bureaucratisation (avec son lot d’appel à projet, de documents de contrôle et de gestion). Mais en même temps, si on ne se laisse pas trop manger par ces contraintes, il peut aussi encourager le travail collectif et pluridisciplinaire. » 

Par souci de rentabilité immédiate et à l’instar d’autres secteurs scientifiques, la recherche ethnomusicologique est de moins en moins aidée par les pouvoirs étatiques et économiques, ce qui l’a met en danger. Même si ces savoirs aident à la compréhension du monde que l’ignorance rend de plus en plus difficile à appréhender.

 

Focus « Qu’est-ce que nous écoutons ? Voyage au cœur des définitions des musiques du monde » de Marta Amico sur #AuxSons

Focus « Quoi de neuf dans la tradition du Shashmaqom ? » de Lucille Lisack sur #AuxSons

Focus « Asiles musicaux » d’Emilie Da Lage sur #Aux Sons

Le site de la Société Française d’Ethnomusicologie 

Le site des Ateliers d’EthnoMusicologie de Genève 

Article de Nathalie Fernando sur l’éthique de la recherche en ethnomusicologie 

Dossier en téléchargement « Entre Femmes » des cahiers d’ethnomusicologies

 

 

benjamin MiNiMuM

benjamin MiNiMuM
©BM

 

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014. Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

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