Rencontre avec Zeid Hamdan, musicien et producteur libanais dont les innovations lui ont valu le surnom de « Pape de l’underground du Moyen-Orient ». Le duo Soapkills qu’il formait avec Yasmine Hamdan, au début des années 2000, fut l’une des premières formations à marier musique arabe et rock électro. Zeid Hamdan n’a cessé depuis de suivre un chemin personnel exigeant et généreux, comme il le prouve avec Bedouin Burger.
En 2019, Zeid Hamdan démarre une nouvelle collaboration avec Lynn Adib, chanteuse et compositrice syrienne installée à Beyrouth.
Dès leur rencontre un coup de foudre artistique les unit : « J’ai eu la même claque qu’avec Yasmine ! Yasmine est lunaire, cette lumière bleue un peu glaciale et Lynn est solaire c’est carrément le feu et elle chante super bien, elle est gentille et dégage une très belle vibe. Dès que je l’ai rencontrée je lui ai dit il que l’on devait faire de la musique ensemble »
A cette époque, le pays s’enfonce dans une crise économique sans précédent. Le peuple n’a plus accès aux banques ou aux services sociaux. Le gouvernement annonce de nouvelles mesures d’austérité avec des taxes sur l’essence, le tabac et même les applications de téléphone type WhatsApp. A l’automne la population est dans la rue. Zeid et Lynn sont en colère mais s’accrochent à leur projet.
20 ans plus tôt, Zeid a marqué l’histoire culturelle de son pays en formant le duo Soap Kills avec Yasmine Hamdan. Sur leur nom, Zeid précise : « Hamdan est un nom de famille assez répandu. Yasmine est une Hamdan d’une famille chiite du Sud-Liban et moi d’une famille druze des montagnes du Sud. C’était un hasard mais pour moi c’était un signe. » Soap Kills c’était du chant en arabe sur des beats droits et carrés et c’était nouveau ! Zeid se souvient : « A cette époque le Liban est en train de renaître, de nouveaux bars commencent à avoir leurs habitués. Nous étions programmés au Babylon et au Casablanca. Chaque semaine, le public s’agrandissait et on devenait un phénomène à Beyrouth. Notre musique habitait aussi les bandes sons des nouveaux films libanais, nous étions comme la signature musicale de l’époque. Un mec et une fille avec des machines, pour la jeunesse beyrouthine, on était le truc cool. »
Après l’aventure Soap Kills, qui s’est internationalisée depuis Paris, Yasmine poursuit une carrière remarquée depuis la France, s’associant un temps avec Mirwais, ex-taxi Girl et producteur de Madonna ou avec Jim Jarmusch pour le film Only Lovers Left Alive. Zeid, lui retourne au Liban où il multiplie les projets. Il monte le groupe rock New Government avec des français de passage à Beyrouth, les frères Régnier, Jérémie et Timothée, le futur Rover. Zeid se donne aussi pour mission de développer la scène régionale. Il fonde le label Mooz Records avec le compositeur de film Khaled Mouzanar et sort notamment la remarquable compilation d’artistes locaux Lebanese Underground. Pour creuser la voie de la musique arabe contemporaine entamée avec Soapkills, il se met en quête de chanteuses et chanteurs maîtrisant le chant oriental. Il s’associe avec la Syrienne Hiba Mansouri « On a enregistré quelques classiques dont le morceau « Ahwak » qui est devenu un phénomène mondial, mais Hiba n’assume pas sa carrière parce qu’elle ne veut pas que sa famille sache qu’elle est chanteuse. »
Ce titre lui permet de nouvelles rencontres, en Palestine avec l’étonnant performeur Tamer Abu Ghazaleh ou en Egypte. Sous le nom de Shiftz, il collabore avec Maryam Saleh « Une punk qui chante admirablement bien » ou avec Maii Waleed. « Pour moi être une artiste, compositrice femme au Moyen-Orient c’est un acte de rébellion. »
Sans pour autant se définir comme un artiste engagé, Zeid Hamdan n’a pas l’habitude de cacher ce qu’il pense. En 2007, un conflit éclate entre le gouvernement libanais et le Hezbollah qui finit par envahir la ville et provoque un début de guerre civile. Le général Michel Suleiman est désigné pour réconcilier les différentes factions. Mais il porte aussi la responsabilité d’avoir rasé un camp palestinien dans le Nord Liban. En réaction Zeid Hamdan écrit la chanson General Suleiman, dont le refrain « Tous les hommes corrompus. Dehors ! Rentrez chez vous ! Tous les marchands d’armes. Rentrez chez vous ! » se fait plus direct en fin de morceau : « Géné-général Rentre chez toi ! »
General Suleiman de Zeid Hamdan & The Wings passe d’abord inaperçu. En mai 2008 Michel Suleiman accède à la présidence du Liban et l’année suivante la chanson refait surface, comme le raconte Zeid : « En 2011 ans le réalisateur italien Gigi Rocatti vient à Beyrouth pour en faire un clip. Il veut le soumettre à un festival à Beyrouth. C’est l’époque des révolutions arabes, la région est secouée, ils sont mal à l’aise avec cette chanson. Lorsque le clip arrive à la censure, on me convoque, m’interroge pendant une semaine, on me menotte et m’envoie en prison. Mon avocat fait alors un post sur facebook. Au Liban, on n’a jamais enfermé d’artistes et ça fait beaucoup de bruit. L’information » Zeid Hamdan a été arrêté pour insulte au président » est massivement relayée sur Twitter, sur le Los Angeles Times, la BBC ou Al Jazeera. La chanson devient un symbole de résistance à la dictature. Le bureau de la présidence voit ça et se demande qui je suis, il ne savent pas que l’on m’a arrêté et soupçonne les opposants d’avoir fait ça pour leur faire une mauvaise publicité. Huit heures après avoir été enfermé, je suis convoqué par un juge qui me dit : » C’est toi qui a écrit ça ? Allez rentre chez toi. » Comme dans la chanson. »
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Par ses positions politiques et esthétiques Zeid a acquis le surnom de pape de la musique underground du Moyen-Orient : « J’ai cette étiquette car je suis toujours en dehors de l’autoroute de l’industrie musicale. J’apparais dans des projets qui se font remarquer mais sont produits à la maison sur un laptop. »
En juillet 2020, Zeid a une intuition : « Les hôpitaux annoncent qu’ils ne peuvent plus recevoir les urgences, parce qu’il n’y a plus d’essence pour alimenter les moteurs. J’ai des enfants assez jeunes et quand j’entends ça je dis à ma femme on s’en va tout de suite. On était un vendredi, le lundi on était en Turquie. » Dix jours plus tard, le 4 aout, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium explosent dans le port de Beyrouth. Le bilan est lourd : 214 morts, plus de 6 500 blessés et des quartiers entiers détruits dont celui de Zeid. « On voit des photos de notre maison ravagée, le lit du gamin pulvérisé. » Depuis Zeid et sa famille, comme Lynn et la sienne ont trouvé refuge à Paris, mais il se sent chez lui et Libanais partout où il dépose ses bagages : « Le Liban ce n’est pas seulement les gens qui sont sur place et qui parlent arabe, c’est aussi dix millions de Libanais au Brésil, 3 millions en France. C’est l’éclatement d’une population dans le monde entier dû à un conflit. C’est un pays multiconfessionnel, son identité est un mélange de toutes ses cultures et on ne peut pas tuer cette tolérance et cette richesse avec des armes. »
Il poursuit : « Depuis quelques années, le Liban s’affaisse, s’appauvrit, les gens sont comme des loups. Ils mendient pour avoir un peu d’essence et ils vont chez les dealers d’essence affiliés à un des politiciens. Ils veulent du pain et en trouvent au marché noir qui est nourri par cette mafia. Et pendant ce temps la milice armée s’est enrichie et a gagné en puissance avec le support de l’Iran et son réseau qui est un Etat dans l’Etat et pour l’instant la population ne peut pas se rebeller. Voila le Liban que j’ai fui. »
Mais il ajoute : « Aujourd’hui si je n’avais pas mes enfants je serais là-bas, je serais un activiste, je serais dans la résistance en train de saboter ce gouvernement. Notre pays est envahi par un gang de mafieux, des chefs de guerre qui sont là depuis 30 ans et ne peuvent survivre que dans une situation de conflit. Alors je me dis que je dois donner des interviews et ne jamais cesser d’appeler à un mouvement de résistance. Là-bas, je ne pourrais pas m’exprimer. Pour l’instant je suis en Europe mais je ne compte pas m’arrêter à la France. Je veux aller aux Etats-Unis et dans tous les pays où on va me donner une plateforme. Je veux rassembler cette communauté qui adhère à l’idée d’un Liban tolérant. »
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A l’automne 2021 le projet Bedouin Burger sort de son laboratoire, le single Ya Man Hawa commence à circuler et le duo donne quelques concerts. Fin octobre, Zeid obtient le prix Jam de la meilleure musique de film lors du Festival Cine Med de Montpellier pour la bande originale de Costa Brava, Lebanon de Mounia Akl qu’il a composé avec Nathan Larson. Début novembre Bedouin Burger est l’un des trois lauréats du Prix des Music d’ICI Diaspora Music Awards.
L’association du chant virtuose mais sensible de Lynn Adib et des arrangements originaux et pertinents de Zeid Hamdan de classiques rénovés du Moyen-Orient ou de leurs compositions communes et originales est saisissante. Nul doute que le duo va se frayer un chemin éclairé et multiplier les occasions de transmettre leur légitime message.