De leur construction à leur rénovation, beaucoup d’instruments nécessitent du bois. Souvent tropical. De plus en plus interdit, aussi. La profession s’organise entre expérimentations et… incompréhensions.
L’acajou des Antilles pour les manches et corps de guitare ; l’ébène d’Amérique centrale ou du Sud pour les touches de piano ; celui du Mozambique pour les instruments à vent (en particulier les clarinettes, cornemuses, hautbois et flûtes) ; le pernambouc du Brésil pour les archets ; les palissandres d’Inde… La mondialisation ? La lutherie la vit depuis plusieurs siècles. Mais au-delà des réelles propriétés techniques de ces essences, la pratique a été favorisée par les colonies et l’absence de réflexion sur l’écologie… Plus aujourd’hui.
En abritant plus de 50% des espaces animales et végétales, voire 40% de l’oxygène mondial, les forêts tropicales sont un élément vital des systèmes climatiques. Elles absorbent le CO², aident à nettoyer l’atmosphère et contiennent une substance médicale active sur quatre… Or, l’équivalent en surface de la Belgique disparait chaque année. Chaque jour ? Plus d’une centaine d’espèces de plantes, d’animaux et d’insectes… Pas étonnant que ces forêts soient passées de 50% de la surface de la Terre il y a 50 ans à seulement 6% aujourd’hui, quand on sait que leur exploitation illégale génère entre 10 et 15 milliards de dollars par an via le crime organisé. On estime même leur survie à seulement… 40 ans. La musique mérite-t-elle ces sacrifices ?
De nombreux bois tropicaux sont donc désormais protégés et leur commerce restreint ou interdit. Conséquences pour le fabricant ? La matière devient rare et coûteuse… Et même si certains stocks restent disponibles, une grande partie du bois tropical est encore récoltée illégalement, malgré des processus de certifications (comme le Forest Stewardship Council). L’enjeu est de trouver des alternatives économiquement viables, mais dont les spécificités restent évidemment équivalentes.
Prenez l’instrument-star : la guitare… 20 millions sont produites chaque année ! Une raison de plus pour qu’elles soient plus respectueuses de la biodiversité. Encore faut-il en convaincre aussi les musiciens… Financé par la commission européenne, puis en coopération avec des experts en gestion forestière, des organisations environnementales et des universitaires, le Leonardo Guitar Research Project a ainsi été lancé en 2012 dans ce but : prouver que l’emploi de bois européens est tout aussi intéressant. Epicéa et érable (bois traditionnel des instruments du quatuor), mais aussi poirier figuré, frêne olivier ou encore cormier (alternative à l’ébène) sont ainsi étudiés.
Idem avec le Local Wood Challenge lancé l’année suivante par The European Guitar Builders (regroupement de plusieurs artisans européens et dont le siège est situé à Berlin). L’initiative – propre aux salons de lutherie – vise à sensibiliser médias et public. Pour obtenir le label LWC, l’instrument doit être fabriqué à partir de bois cultivés localement et la liste des provenances fournies à l’achat… Plus d’une centaine de luthiers européens ont déjà participé.
Quant à la France, l’Itemm (Institut technologique européen des métiers de la musique, basé au Mans) travaille sur de nouveaux procédés à base de résines, ne générant ainsi aucune perte de matière et permettant même l’utilisation de bois dégradés. Des recherches qui ont valu à l’institut d’être lauréat des Alternatives vertes lancées par l’État.
Faute de médiatisation massive, le grand public ignore pourtant le plus souvent ces alternatives. L’évolution vers des bois de résonance locaux et durables a pourtant de nombreux avantages : augmentation des possibilités ; réduction de la demande de bois issu de forêts tropicales humides ; diminution du kilométrage des transports ; et même participation à l’économie européenne. Hélas, les principaux fabricants restent des manufactures étrangères soumises à d’autres obligations, voire – comme Yamaha, Fender et Martin – bénéficient de dérogations face aux artisans
Pire : le sujet n’est pas toujours transposable à tous les instruments… Selon Coraline Baroux-Desvignes de la Chambre syndicale de la facture instrumentale : « C’est plus compliqué pour les instruments à vent. Les essences rares utilisées par exemple pour les clarinettes et les hautbois n’ont pas encore d’équivalent en termes de résonnance… mais aussi de longévité ! Idem pour les archets fabriqués à partir du pernambouc du Brésil et menacé d’extinction. Or, de leur avenir dépend aussi celui d’une profession. » Depuis 2000, le secteur a d’ailleurs lancé un programme de préservation (IPCI), impliquant les populations locales sans ressources. 500 000 arbres ont ainsi été replantés et la majorité des archetiers verse 2% de leur chiffre d’affaires.
Pour l’archetier Arthur Dubroca (L’atelier d’Arthur à Paris), les raccourcis demeurent : « Nous représentons un très faible pourcentage de la déforestation. Et la législation va davantage dans le sens de la restriction que de la préservation… Même si nous trouvons des alternatives européennes, le problème touchera ensuite les épicéas du Jura ou le bois roumain… Pendant ce temps-là, le Brésil préfère convertir ses plantations pour le bio carburant ; les États-Unis ont encore été pris en flagrant délit d’exploitation d’espèces protégées ; et la Chine se sert d’érables pour le décoration – plus rentable. Il faut donc faire évoluer la législation, mais pas au détriment de la profession. »
La restauratrice Françoise Sinier de Ridder regrette d’ailleurs que cette législation mette « dans le même sac la construction et [son] métier, artisan et industriel asiatique ». Elle, qui ne travaille que sur des objets du patrimoine, peut de plus en plus difficilement restaurer à l’identique… Le plastique ? « On nous dit qu’il y en a trop dans les océans et pas assez dans les musées, mais on ne sait pas comment il évoluera et la matière utilise du pétrole… Est-ce plus vertueux ? » Certains acides aussi lui sont interdits « sous prétexte que nous pourrions en faire une bombe », tout en ironisant sur « le plomb utilisé pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris » et comportant pourtant des risques sanitaires…
Mais ce qui inquiète surtout la retraitée, c’est que l’on continue à l’appeler malgré la fin de son activité : « Il devient plus facile en France de posséder des drogues qu’un bout de bois réglementé. Face à ces difficultés, le monde de l’ancien manque de successeurs et nous perdons un savoir-faire unique. À quoi serviront les musées, si nous ne savons plus restaurer ? »
Concluant : « Plutôt que devenir une langue morte, il nous faut un porte-voix… Multiplions les expositions, la pédagogie et les mises en valeur. » Puisse-t-elle être entendu par le public comme les institutions…