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Afghan Women's Orchestra "Zohra"
Orchestre Zohra, lors de sa première tournée Allemagne, Suisse 2017 - The Afghan Women's Orchestra "Zohra" from Kabul joins forces with members of Geneva's youth Orchestre du Collège for a powerful affirmation of friendship and trust across cultures during the session: Closing Performance at the Annual Meeting 2017 of the World Economic Forum in Davos, January 20, 2017. © ANIM / World Economic Forum / Greg Beadle

Au secours de la musique afghane

Condamné à disparaître par l’arrivée des talibans en 2021, l’Institut National de Musique d’Afghanistan (ANIM) a pu renaître au Portugal. Le Dr Ahmad Naser Sarmast, son fondateur, a déployé plus de deux ans d’efforts incessants pour y regrouper ses près de 600 élèves, employés et professeurs avec leurs familles. Une épopée contre l’obscurantisme pour assurer que la musique afghane continue de se transmettre, même en exil.

Musiciens d’Afghanistan : la mort ou l’exil ?

 

Le 15 août 2021, lorsque Kaboul est quasiment livrée sans combat aux fondamentalistes islamistes, la toute première urgence pour le Dr Sarmast est de mettre en sécurité tous les membres de l’ANIM, qu’il a fondé en 2010. L’institut regroupe notamment deux orchestres de jeunes élèves, l’un mixte, l’Afghan Youth Orchestra, l’autre exclusivement féminin, l’Orchestre Zohra. Dès le 19 août 2021, le Portugal annonce qu’il est prêt à accorder l’asile à l’ensemble des membres de l’ANIM ainsi que leurs familles. Commence alors un combat de tous les instants pour Ahmad Sarmast. Grâce à la médiation du Qatar et à l’appui de partenaires internationaux, un premier groupe constitué des élèves de l’ANIM et de ses employés arrive au Portugal en décembre 2021. Les jeunes musiciennes et musiciens, âgés de 13 à 21 ans, sont répartis entre les villes de Guimarães et Braga. Leurs études se poursuivent dans des écoles portugaises et leur enseignement musical dans trois conservatoires.

Ahmad Sarmast (à droite) et Yo-Yo Ma à Lisbonne. Tous deux ont été lauréats du Prix Polar Music pour leurs contributions exceptionnelles dans le domaine de la musique, Yo-Yo Ma en 2012, Ahmad Sarmast en 2018. © ANIM

 

Pour le Dr Ahmad Sarmast, ce n’est qu’une première manche remportée. En parvenant à réaliser son projet d’école, d’abord conçu il y a près de 20 ans depuis l’Australie, où il vit en exil, il a su affronter les situations les plus ingrates. Il va prouver son endurance à tenir jusqu’au bout sa promesse de ne laisser aucune personne de la communauté musicale qu’il a créée sous la botte des obscurantistes dont le but affirmé est de l’éliminer.

Fils du célèbre compositeur et chef d’orchestre afghan Ustad Salim Sarmast, Ahmad obtient en 1993 une maîtrise en musicologie au Conservatoire d’État de Moscou. L’année suivante, l’Australie lui accorde l’asile. Il y sera le premier Afghan à valider son doctorat en musique. Quand le premier régime taliban s’effondre en 2001 après cinq ans de pouvoir, l’appel du pays s’impose à lui. Et quand le ministère afghan de l’Éducation le sollicite, il propose de fonder une école dédiée au renouveau de la musique afghane, qui combinera l’enseignement des musiques occidentales et afghanes. Une manière de prolonger le travail d’ouverture esthétique mis en œuvre dans les compositions de son père, célèbre chef d’orchestre disparu en 1990.

Ustad Salim Sarmast

 

En hommage à ce père qui était orphelin, Ahmad Sarmast voudrait ouvrir son école aux seuls enfants des rues et défavorisés. Pour leur permettre d’accorder du temps à la musique, ils percevront une petite allocation financière mensuelle. Quant aux orphelins, ils seront logés par l’école. Mais à son ouverture, sur l’insistance du ministère afghan de l’Éducation, une moitié des élèves est constituée de jeunes musiciens qui ont fait la preuve de leurs talents. Pourtant, faire évoluer les mentalités dans la société afghane est une telle gageur que la première année, il n’y a qu’une seule fille parmi les élèves. Il faudra toute la force de persuasion du Dr Sarmast pour qu’un équilibre s’établisse entre garçons et filles les années suivantes.

Lorsque l’ANIM s’installe en 2010 dans les locaux de l’ancienne École des Beaux Arts de Kaboul, la première tâche est de restaurer les bâtiments, saccagés au temps du pouvoir taliban. Comme celui–ci avait interdit la musique, banni les musiciens, détruit les instruments, il faut ensuite trouver des professeurs et constituer un parc d’instruments destinés aux élèves. Des sponsors étrangers répondent aux sollicitations et en 2012, l’ANIM est fier d’accueillir cent cinquante musiciennes et musiciens en herbe. Deux ans à batailler contre les difficultés physiques, les problèmes matériels et la mentalité hostile à la musique ancrée dans la société afghane, dont témoigne l’excellent film de Polly Warkins et Beth Frey, Dr Sarmast’s Music School.

Dr Sarmast’s Music School”, un film de Polly Warkins et Beth Frey

 

L’existence de l’ANIM n’est pas du goût des seigneurs de guerre islamistes. Aussi est-il la cible de quatre attentats, dont un le 11 décembre 2014 lors d’un concert à l’Institut français de Kaboul, provoquant la mort de plusieurs personnes et de nombreux blessés, dont le Dr Sarmast qui manque perdre l’audition. L’énergie qu’il déploie afin de guérir la société afghane par la musique n’en est que décuplée. Dès 2015, il met en place l’Orchestre Zohra, premier ensemble afghan constitué de jeunes filles et dirigé par une femme. Aiguillonné par son combat pour la musique et l’amélioration de la condition des femmes en Afghanistan, le directeur suscite et saisit toute opportunité pour faire connaître au monde l’Orchestre Zohra.

Dès 2016, le Forum Économique Mondial fait jouer ses relations et mobilise des moyens afin d’organiser une première tournée international. L’Orchestre Zohra va parcourir l’Allemagne et la Suisse en 2017, donnant onze concerts avec des formations locales, dont un à l’occasion de la clôture du Forum de Davos. En 2018, il est invité à se produire dans le cadre du Festival des Jeunes Musiciens de Lisbonne. Des liens se tissent alors avec des artistes portugais et les autorités du pays, qui vont permettre de sauver l’ANIM en ces jours funeste de la mi-août 2021. « J’avais l’impression de me noyer et je cherchais à me raccrocher afin de ne pas sombrer. Cet espoir consistait de manière pragmatique à envoyer des missives à différents États pour leur demander aide et asile » explique le Dr Sarmast lors de sa conférence au Festival Haizebegi 2023, qui présentait la nouvelle mouture de l’Orchestre Zohra. Ce grand reportage de la Radio Télévision Suisse revient en détail sur le combat acharné livré par Ahmad Sarmast et ses amis pour arracher les membres de son école aux griffes des talibans.

« Mission impossible à Kaboul : sauver les musiciennes ! », Temps Présent du 10 février 2022, une émission de la Radio Télévision Suisse

 

Restait à accomplir l’acte final de la promesse faite à ses étudiants par le Dr Sarmast. En octobre 2023 au festival Haizebegi, il était fier d’annoncer qu’elle allait être enfin tenue. « Le Portugal nous a offert l’asile le 19 août 2021, quatre jours après l’arrivée des talibans. Et c’est la médiation du Qatar qui nous a permis de rejoindre le Portugal en décembre 2021. Nous avons réussi à faire sortir 284 personnes. Mais à ce moment-là, il était impossible d’emmener les familles des étudiants. Je n’ai jamais perdu de vue l’objectif de les faire sortir. Et c’est avec une grande joie que je peux vous annoncer ce soir que l’État portugais a accepté d’accorder l’asile à un nouveau groupe de 280 personnes venues d’Afghanistan : les parents, frères et sœurs des jeunes musiciens. »

Un vol faisant escale au Qatar les amenait tous au Portugal, où ils résident depuis la fin de l’année 2023. Saluons le Dr Sarmast pour sa ténacité, en nous disant que par les temps troubles que nous traversons, il est réconfortant de témoigner d’une histoire qui finit bien.

 

ANIM : https://​www​.anim​-music​.org/

Orchestre Zohra : https://​www​.zohra​-music​.org/

 

 

François Bensignor

François Bensignor
François Bensignor

Journaliste musical depuis la fin des années 1970, il est l’auteur de Sons d’Afrique (Marabout, 1988), de la biographie Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat (éditions Demi-Lune, 2012). Il a dirigé l’édition du Guide Totem Les Musiques du Monde (Larousse, 2002) et de Kaneka, Musique en Mouvement (Centre Tjibaou, Nouméa 2013).

Cofondateur de Zone Franche en 1990, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma (2002-14), il a coordonné la réalisation de Sans Visa, le Guide des musiques de l’espace francophone (Zone Franche/Irma, 1991 et 1995), des quatre dernières éditions de Planètes Musiques et de l’Euro World Book (Irma).

Auteur des films documentaires Papa Wemba Fula Ngenge (Nova/Paris Première, 2000) tourné à Kinshasa, Au-Delà des Frontières, Stivell (France 3, 2011) et Belaï, le voyage de Lélé (La Belle Télé, 2018) tourné en Nouvelle-Calédonie, il crée pour la chaîne Melody d’Afrique la série d’émissions Les Sons de… (2017).

Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music pour la Cité de la Musique de Paris (2014).

On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

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