L’Algérie, un pays riche de ses cultures diverses et son précieux patrimoine musical immatériel, a pris des mesures importantes pour préserver ces trésors culturels. En février 2004, l’Algérie est devenue pionnière en ratifiant la Convention de 2003 pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de l’UNESCO, démontrant ainsi son rôle précurseur dans la préservation de ses traditions musicales. Ce qui a conduit á la reconnaissance genres musicaux traditionnels et populaires algériens, désormais Patrimoine Immatériel de l’Humanité mettant en lumière leur importance culturelle. En 2008, l’Ahalil, suivi par l’Imzad en 2013, et plus récemment le Raï, sans doute le plus emblématique des trois, a rejoint cette liste prestigieuse en 2022.
Pourtant, derrière cette reconnaissance internationale et l’engagement du gouvernement à protéger ce patrimoine, se pose une question cruciale concernant le statut des artistes évoluant dans cet univers musical.
Les musiciens traditionnels se retrouvent souvent dans une situation complexe, jonglant entre une profonde reconnaissance du public et un accès limité à une scène professionnelle établie. Cette dualité peut être à la fois gratifiante et difficile, créant un équilibre délicat entre la préservation des traditions musicales précieuses et les défis économiques et sociaux qui les entourent. Les mécanismes de soutien financier pour ces artistes sont souvent insuffisants, les obligeant à lutter pour leur survie. Leurs arts n’est pas toujours pleinement reconnu sur le marché musical actuel, qui est dominé par des genres plus commerciaux et concurrentiels.
Pourtant, la musique traditionnelle joue un rôle essentiel dans la préservation des coutumes, des histoires et de l’identité d’un peuple. Les musiciens traditionnels sont considérés comme les gardiens du patrimoine musical, transmettant des mélodies ancestrales de génération en génération et contribuant ainsi à préserver la richesse culturelle de leur société.
Dans l’écosystème des musiques traditionnelles en Algérie, il existe des opportunités de performance lors d’événements culturels, de festivals et de célébrations locales. Cependant, l’accès à ces opportunités peut être limité en raison de la concurrence acharnée ou du manque d’espaces de représentation.
Malgré les progrès accomplis, les musiciens traditionnels en Algérie continuent de lutter pour obtenir la reconnaissance professionnelle qu’ils méritent. Cette problématique s’est particulièrement posée lors de la pandémie de Covid-19, où plusieurs artistes sans statuts ont été durement touchés malgré les mesures prises par L’Office National du Droit d’Auteur et des Droits Voisins (ONDA) qui joue un rôle essentiel dans la promotion de la culture et des arts en Algérie. Il s’efforce de garantir que les artistes, auteurs, compositeurs et interprètes obtiennent des bénéfices financiers de l’exploitation de leurs œuvres. Cependant, un flou juridique persiste concernant les musiques traditionnelles.
Fatna Dahmani, connue sous le nom de NIA, incarne une vie de dévouement à la préservation du patrimoine musical de sa région, l’Ahalil. Après plus de 30 ans de scènes formelles et informelles, cette doyenne de 60 ans ressent de la fatigue, soulignant ainsi l’importance de valoriser les musiques traditionnelles et de créer les conditions nécessaires pour une professionnalisation fiable et viable. La question de la « folklorisation » et l’invisibilisation des détenteurs des musiques traditionnelles se pose également, Fatna explique que son nom et celui de son Ensemble Bnat el Maghra ne sont pas cités par la presse, confondus souvent avec le genre musical qu’elle èxecute. Elle pèrforme le plus souvent sans contrat de travail et ne jouit d’aucune protection juridique notamment, les droits d’auteurs relatifs au sessions et exploitations de son image. A rappeler que l’article 2.1. de l’Ordonnance n°03-05 du 19 juillet 2003 » relative au « Protection des droits d’auteur et droits voisins en Algérie » stipule que « Les droits moraux sont inaliénables et imprescriptibles et ne peuvent faire l’objet de renonciation » mais cela elle l’ignorait.
Vivre de la musique en Algérie est un rêve pour beaucoup, mais c’est aussi un défi considérable, voire une forme de « folie ». Le plus souvent les musiciens s’engagent dans une double affiliation car la transition vers une carrière professionnelle stable et exclusive est périlleuse. Le témoignage de Djihed Larbi, talentueux joueur de qanun, et membre actif de l’association Dar Gharnatia pour la promotion de la musique traditionnelle andalouse, nous renseigne sur les difficultés de se professionnaliser en tant qu’artiste. Sa passion pour la musique l’a conduit à accompagner des musiciens professionnels, un voyage musical jalonné de défis et de dévouement. Pour Jihad, la dualité entre son parcours artistique et ses études supérieures est une réalité. En tant que fonctionnaire dans le domaine des assurances sociales, il a poursuivi des études en économie en parallèle. Cette double affiliation reflète la lutte commune à laquelle de nombreux artistes sont confrontés, cherchant un équilibre entre leur passion artistique et la nécessité de subvenir à leurs besoins. Cela démontre la résilience et la détermination nécessaires pour maintenir un équilibre entre la passion artistique et la carrière professionnelle,
La chercheuse et éthnomusicologue algérienne Maya Saidani, dans son ouvrage, « L’ethnomusicologie face à l’industrie du spectacle en Algérie » insiste sur la nécessité de « valoriser les musiques traditionnelles et de créer les conditions pour une professionnalisation méritée » afin d’assurer la pérennité de cet héritage culturel exceptionnel. « A travers ces formes de patrimonialisation aux objectifs souvent mercantilistes, nous enregistrons une pratique revisitée, encadrée par des techniciens du son, des réalisateurs et des producteurs en quête de nouveaux marchés. Ces pratiques entraînent des modifications rapides des chants et des danses traditionnels, dont le suivi sur le terrain reste difficile. » précise -elle.
Tout en célébrant son patrimoine culturel immatériel, l’Algérie, est confrontée à un défi essentiel celui de garantir la reconnaissance et la stabilité des artistes qui préservent ces traditions á l’aune des défis modernes qui touchent l’industrie musicale à l’échelle africaine. Un processus complexe qui implique l’adaptation des éléments musicaux, culturels et artistiques traditionnels pour les rendre plus accessibles et attrayants pour le public. Ce processus peut stimuler l’économie locale et renforcer le sentiment de fierté culturelle. Cependant, il comporte également des risques, notamment la simplification de la musique traditionnelle en clichés qui peuvent altérer sa véritable essences.
Cet article a été écrit pour Music In Africa et re-publié par #AuxSons dans le cadre d’un partenariat média.