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Aïcha al-Marta, première femme koweïtienne à chanter avec un groupe.
Aïcha al-Marta, première femme koweïtienne à chanter avec un groupe. - droits réservés

Chanteuses de la péninsule arabique

Très populaires dans leurs pays d’origine et les États voisins, chanteurs et musiciens de la péninsule arabique sont relativement peu connus en dehors de leur sous-région. Dans le monde arabe, les artistes du Golfe les plus célèbres seront surtout des hommes, du grand classique Mohammed Abdo (Arabie saoudite) au roi de la pop Hussein Al Jasmi (Émirats arabes unis) en passant par les Koweïtiens Miami Band, grande sensation fusion-traditionnelle des années 1990.  Ailleurs, on connaîtra surtout les pêcheurs de perles, au gré des enregistrements souvent ethnographiques réalisés. Relativement moins visibles à l’étranger, les femmes ont néanmoins toute leur place dans le monde de la musique. Démonstration en cinq micro-portraits.

 

Ibtisam Loutfi (ابتسام لطفي), pionnière de la radio saoudienne

 

Bien qu’elle ne soit pas la doyenne des chanteuses saoudiennes (le titre reviendrait davantage à Touha, née en 1934 dans la région du Hejaz), Ibtisam Lotfi est considérée comme une pionnière. Née en 1950 à Ta’if au sud de la Mecque, elle connaît son heure de gloire dans les années 1970, reconnaissable entre mille avec ses cheveux courts et ses lunettes de soleil qui protègent des yeux aveugles. Étroitement associée à la radio publique saoudienne où elle fait ses débuts et est l’une des premières femmes à se produire, elle collabore également avec de grands noms de la chanson égyptienne comme Ahmed Rami et Riad Al Sounbati, allant d’un style traditionnel saoudien à des morceaux plus proches des standards régionaux.

 

Oda al-Mehana (عودة المهنا), sur la piste des taggagat

D’une pionnière à une autre… avec la Koweïtienne Oda al-Mehana (1907-1984), les troupes féminines professionnelles font leur apparition sur la scène. Filmée, interviewée, avec son ensemble la chanteuse donne une visibilité nouvelle à un répertoire très ancien, celui des taggagat, chanteuses de mariage issues essentiellement des populations afro-descendantes du Golfe, héritage du passé esclavagiste de la région. Accompagnée de percussions et d’un chœur, elle interprète chansons d’amour et autres morceaux où la mer, proximité oblige, n’est jamais loin. Plus contemporaine, la récemment regrettée Fatma Shadad (années 1960-2020) a longtemps incarné l’héritage des taggagat du Qatar.

 

Etab (عتاب), Khaliji superstar

N’y allons pas par quatre chemins, la grande star de la musique saoudienne (et du Golfe en général) c’est elle, la flamboyante Etab (1947-2007). Se produisant dès son plus jeune âge dans les mariages de son Arabie saoudite natale, elle fait une rencontre décisive avec Talal Maddah - compositeur prolifique et pygmalion des débuts - qui lui attribue son nom de scène et l’introduit aux milieux artistiques qui comptent. Plus ou moins forcée à l’exil après le tournant rigoriste que connaît le pays après 1979, elle s’installe au Caire et connaît par conséquent une diffusion plus importante au-delà du Golfe. Au-delà d’une présence scénique indéniable et d’un style vestimentaire qui en fait une icône de son époque, Etab fait entrer dialecte et rythmes saoudiens dans les canons de la pop arabe (à commencer par son tube « Jani Al Asmar »).

 

Amal Koodoul (أمل كعدل), la voix d’Aden

Pays à la riche et diverse tradition musicale, le Yémen demeure relativement en marge de l’industrie de l’enregistrement et de la diffusion moderne. Séparé du nord une bonne partie de la seconde moitié du XXe siècle, Aden (capitale de la république populaire démocratique du Yémen) voit néanmoins fleurir radios et chaînes de télévision qui font la part belle aux programmes musicaux. Comme beaucoup de chanteuses à l’heure où la région entière est accordée sur le tempo du Caire, Amal Kaadal oscille entre un univers plus proche des standards égyptiens et un répertoire davantage traditionnel. Très active dans les différentes structures culturelles et artistiques du Yémen du sud, elle est l’une des rares représentantes de la musique yéménite à jouir d’une reconnaissance officielle, dans son pays et à l’étranger.

 

Fatouma (فطومة), le Koweït multiple 

De Oda al-Mehana à Aïcha al-Marta, le Koweït compte bon nombre d’interprètes féminines reconnues, fruit d’une société plus libérale que dans d’autres États du Golfe et d’une industrie musicale développée bien avant le reste de la région. Active depuis la fin des années 1980, Fatouma a su s’affranchir des performances en direct auxquelles sont souvent cantonnées les taggagat et leurs héritières pour saisir la vague de la cassette audio puis des CDs. Interprète d’un vaste répertoire allant de la chanson d’amour aux airs pour enfants en passant par les hymnes nationalistes (elle qui représentera plusieurs fois son pays à l’international), Fatouma puise également dans le patrimoine musical de l’Afrique sub-saharienne - dont sont originaires la majorité des descendants d’esclaves du Golfe -, à commencer par la simsimiyyal, lyre typique de la vallée du Nil que l’on entend dans « Habibi maho el awal ».

 

Incarnations de différents courants musicaux à l’oeuvre dans la péninsule arabique, ces artistes contribuent à une présence féminine multiple allant des stars actuelles de la pop khaliji comme l’indéboulonnable Ahlam et les plus éphémères gagnantes des émissions de télé-crochet musicales aux chanteuses maghrébines et levantines venues s’essayer à l’accent et aux sonorités du Golfe. Sans oublier les artistes israéliennes ayant revendiqué leur héritage yéménite telles Ofra Haza (« Im Nin Ali », « Galbi ») et plus récemment le trio A-WA.

 

 

Coline Houssais

Née en 1987 en Bretagne, Coline Houssais est une chercheuse, commissaire, journaliste et traductrice indépendante spécialisée sur la musique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ainsi que sur l’histoire culturelle de l’immigration arabe et berbère en Europe. Elle enseigne ces deux sujets à Sciences Po, dont elle est par ailleurs diplômée, et contribue régulièrement à de nombreux médias. Auteure de « Musiques du monde arabe - une anthologie en 100 artistes » (Le Mot et le Reste, 2020), elle a créé et produit “Les Rossignols de Bagdad”, une performance vidéo, musique & texte autour de l’âge d’or de la musique irakienne et de la mémoire oubliée des musiciens juifs irakiens

Fellow de la Fondation Camargo pour l’année 2020, Coline est également la récipiendaire du programme de résidence IMéRA-MUCEM pour « Ceci n’est pas un voile », une réflexion  visuelle mêlant images d’archives et portraits contemporains autour de l’histoire du couvre-chef féminin en France et de ses perceptions.

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