Art Melody, une main tendue vers l'autre

Art Melody. © Bertrand Sawadogo

"Art-griculteur", c’est ainsi que se définit Art Melody. "Agriculteur le jour et musicien la nuit" précise le MC burkinabè. Mi-novembre, Il publiait Zoodo, son 5e album défendu une vingtaine de jours plus tard par un concert puissant et tendu lors des 41es Transmusicales de Rennes. Retour sur une fin d’année chargée pour ce MC qui malaxe les idées et les mots avec le même espoir qu’il laboure la terre.

Il est 21h, jeudi 5 décembre 2019 quand sur une des scènes du Parc Expo de la ville de Rennes, Art Melody monte sur scène accompagné d’un batteur et d’une percussionniste-choriste. Mamadou Armel Konkobo (de son vrai nom) sait les enjeux de cette date aux Trans’, une date qu’il a préparée la semaine auparavant lors d’une résidence au Rocher de Palmer à Cenon (Gironde) avec son musicien.

En mooré et en dioula, deux des trois principales langues vernaculaires du Burkina Faso, et parfois même en français, la langue officielle, il impose un flow tranchant qui ne prend jamais le temps de se poser, de se reposer, un flow nerveux qui ne laisse pas de répit, à l’image des instrus construits par Redrum, son beatmaker bordelais.

Disponible depuis mi-novembre, Zoodo, son 5e opus travaillé comme les précédents en étroite collaboration avec le label bordelais Tentacule Records, souligne une nouvelle fois, son attachement au "Pays des hommes intègres" qui l’a vu naître il y a quarante ans dans un petit village à quelques kilomètres de Bobo Dioulasso, la capitale économique du Burkina Faso.

"Moins de slogans, plus d’actions"
 

Si ses virulentes diatribes exaltent la pensée du capitaine Thomas Sankara, le rappeur ne se contente pas de mots, et leur préfère l’action : "Sankara a été assassiné en 1987 alors qu’il était chef du gouvernement. J’avais 8 ans. C’était il y a plus de 30 ans. Aujourd’hui, pour les plus jeunes qui ne l’ont même pas connu, ses mots d’ordre sont comme des enveloppes vides" lâche-t-il, à la mi-décembre, de retour au pays.

 "Il est temps de passer de la parole aux actes, si on veut que sa pensée ait encore du sens demain" explique-t-il avant d’en citer une, clé de voûte de la pensée du célèbre militant anti-impérialiste et panafricain : "Produisons ce que nous consommons, consommons ce que nous produisons ! C’est pour ça que j’ai choisi de retourner à la terre. Mes parents travaillaient déjà aux champs. J’ai toujours connu ça ! Impossible de passer à côté, on participait tous aux travaux des champs, mes frères comme mes sœurs."

Aujourd’hui à la tête d’une propriété d’un peu moins de 8 hectares, dotée de son propre forage et de panneaux solaires acquis avec l’aide de ses beaux-parents, il possède un couple de bœufs, 7 chèvres, 5 moutons et plus de 200 poules et autres pintades et fait pousser toutes sortes de légumes, de céréales, quand il ne plante pas des arbres fruitiers pour stopper l’avancée du désert. "Ainsi je peux montrer que c’est possible, et qu’il y a même une voie, un chemin" assène-t-il.

"Ma musique est engagée. Je n’ai pas d’autres choix si je veux être cohérent avec ce que je dis, et participer activement au développement de mon pays. Dans mon clip, on me voit travailler la terre plutôt qu’avachi au bord d’une piscine ou dans une voiture de luxe accompagné de pin-up dénudées. Je convoque un autre imaginaire, évoque une autre réalité. Dans les temps anciens, les griots se rendaient aux champs avec les tam-tams. Ils les déposaient sous les arbres le temps des travaux, et les reprenaient à la pause" explique celui qui du fait de ses fonctions d’art-griculteur, est devenu l’un des employeurs de son village, tout au fil de l’année et plus particulièrement lorsqu’il part en tournée dans la sous-région ou en Europe comme en ce mois de décembre.

Un engagement quotidien

Sur la pochette de ce 5e album, illustré par le dessinateur Brüno, Art Melody apparaît debout dans le creux d’une main surgie au centre d’une ville perdue dans un décor aride à la terre craquelée. Cet écrin est aussi la main qu’il tend au monde comme le résume en mooré le titre de cet opus qui signifie "amitié".

Aussi bienveillant soit-il, Art Melody n’en est pas moins lucide quant à la teneur des échanges qui se nouent depuis des décennies avec l’Afrique : "La main qui reçoit demeure en bas de celle qui donne, et celle qui donne, fixe les lois" explique-t-il sur Ti Sõngre Sae. En duo avec le rappeur anglophone Will Dee, il tient à rappeler cette réalité aux dirigeants des pays africains et les invite à apprendre à se passer de ses aides.

Plutôt, sur Surgrã, un titre au groove qui fait rouler les épaules comme les billes d’un roulement, il plaidait pour ce comportement, cette acceptation de l’autre, ce pardon sans lequel il est impossible de parler de paix. "Si tout le monde en parle, personne ne veut souvent faire le moindre sacrifice" explique le MC. "C’est un engagement quotidien. Ça concerne mon pays, mais aussi le Mali, le Niger, la Palestine, Israël, la Syrie ou la Libye" énumère-t-il rapidement comme pour conserver l’élasticité du flow qui est le sien sur ce titre aux cuivres appréciés.

Art Melody Zoodo (Miaou Records/Tentacule Records) 2019
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