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1 Mariia Oneshchak & Natalia Rybka-Parkhomenko©DR
1 Mariia Oneshchak & Natalia Rybka-Parkhomenko©DR - 1 Mariia Oneshchak & Natalia Rybka-Parkhomenko©DR

Ukraine, foisonnant patrimoine de chant traditionnel

L’amour du patrimoine musical et sa préservation sont de puissants moteurs de la vie artistique en Ukraine. DakhaBrakha transcende la polyphonie vocale et magnifie ses caractéristiques

(cf. AuxSons Focus sur les artistes ukrainiens du dakh theatre). Le Polyphony Project a permis de collecter en vidéo un formidable répertoire de chants encore vivants dans toutes les régions de l’Ukraine (cf. France Musique ici). Quant au duo Kurbasy, il a choisi Pour son spectacle Chants polyphoniques de la Forêt ukrainienne, un florilège d’airs glanés sur tout le territoire, illustrant sa diversité linguistique.

 

Mariia Oneshchak et Nataliia Rybka-Parkhomenko sont des actrices de la troupe du Théâtre Les Kurbas, qu’elles ont rejoint respectivement en 2003 et 2006. Mariia est originaire de Ivano-Frankivsk, dans l’Ouest de l’Ukraine, où l’indentification à la nation ukrainienne est une évidence, comme l’ouverture sur l’Europe. Son arrière-grand-père, qui avait voyagé en Amérique, se battait déjà pour une Ukraine indépendante. Nataliia vient de Kharkiv, grande ville de l’Est russophone, où elle a fait toutes ses études en langue russe. En s’installant à Lviv, la capitale de la culture et de l’identité ukrainienne située à 70 km de la frontière polonaise, elle a changé de langue.

 

Photo : Lviv

 

Intégrer le Théâtre Académique Les Kurbas, l’une des deux grandes institutions théâtrales de Lviv, c’est s’inscrire dans le courant artistique de ce que fut l’avant-garde des années 1990, après la Perestroïka. La troupe explore de nouveaux territoires théâtraux tout en conservant ses racines ukrainiennes. Elle monte un répertoire, où les textes des grands auteurs ukrainiens, comme Skovoroda et Ukrainka, côtoient ceux de Platon, Mishima ou Beckett…) Les deux actrices y ont participé à de nombreux spectacles et leur passion commune pour le chant et la musique les a conduites à fonder l’Ensemble Kurbasy en 2009. D’abord un quintet composé de trois chanteuses et deux musiciens, l’ensemble a pu réunir sur scène jusqu’à onze musiciens.

 

Le brouillard descend le ravin” (village de Chervony Shlyach, district de Nizhyn, région de Tchernihiv) – 2019 - Chant : Natalia Rybka-Parkhomenko, Maria Oneschak, Vsevolod Sadovy, Yuriy Yosifovych - Caméra : Patrick Rohr - Vêtements Ulyana Yavnia et Old Folk Clothing.

Les contraintes consécutives à la pandémie de Covid 19 amènent les fondatrices du groupe à concevoir un spectacle en duo. « La maison où je vis se trouve près d’une forêt, explique Mariia. Nataliia est venue habiter chez moi et l’environnement de la forêt nous a donné envie de rassembler un répertoire de chants populaires. Voilà comment nous avons créé le spectacle Chants de la forêt ukrainienne. »

 

L’irruption de la guerre fin février 2022 change la donne. Lviv devient le principal point d’accueil pour celles et ceux qui fuient les ravages de la guerre à Odessa ou à Kharkiv. L’un des deux musiciens et la troisième chanteuse de l’Ensemble Kurbasy sont déjà exilés en Irlande. Quant au violoniste, il va suivre l’orchestre du théâtre, dont il fait partie, et jouer pour les soldats près de la ligne de front à l’Est. Dès le début de la guerre, le Théâtre Les Kurbas cesse toute représentation pour se transformer en lieu d’accueil et servir d’abri aux victimes des bombardements, déplacées de toutes les régions du pays. Durant le premier mois, jusqu’à quatre cents personnes y sont accueillies, arrivant et repartant au fur et à mesure qu’elles sont aiguillées vers d’autres destinations. Les réfugiés sont installés jusque sur le plateau du théâtre, les douches et la cuisine étant à leur disposition. L’atelier de décors devient un abri anti-bombes. Acteurs, actrices, chanteurs et chanteuses se transforment en bénévoles.

 

Refugiés accueillis au théâtre Les Kurbas Theater le 27.02.2022©DR

 

À partir du mois d’avril 2022, le théâtre reprend son activité artistique. Mais toutes les pièces d’auteurs russes, dont Dostoïevski, y sont bannies. Actuellement, le théâtre est ouvert du mercredi au dimanche et les spectacles se jouent devant des salles pleines. Mariia et Nataliia profitent de la fermeture estivale pour partir en tournée à l’étranger. « Notre travail nous permet d’envoyer de l’argent à nos soldats, » explique Mariia. Et Nataliia ajoute que leurs tournées à l’étranger servent également la diplomatie culturelle ukrainienne. « Excepté en Pologne, les Européens ne savent pas ce qui se passe vraiment en Ukraine, » dit-elle.

 

L’amitié qui lie Mariia et Nataliia depuis 24 ans conforte la démarche militante des deux chanteuses. Leur spectacle, qui puise dans les répertoires des régions de l’Est, du Centre et de l’Ouest de l’Ukraine, affirme l’unité de ce peuple tiraillé entre les appétits politiques des puissances. En témoigne l’histoire de la ville de Lviv : longtemps polonaise, elle devint autrichienne (1772-1918) sous le nom de Lemberg avant de redevenir la Lwów polonaise, d’être annexée par l’URSS, puis par l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale. La langue varie selon l’origine des chansons, par exemple celles des régions frontalières avec la Pologne sont en dialecte lemsky, mélange d’ukrainien et de polonais. Les paroles racontent des histoires de garçons et de filles, des histoires d’amour, de joie, mais aussi de guerre.

Vidéo : « Chants de la forêt » interprétés par Natalia Rybka-Parkhomenko et Maria Oneschak – Duo Kurbasy - Vidéo Danuta Zgarda (Baba Foto) 2.5.2020

« Nos chants montrent à quel point le peuple ukrainien est ancien. Aujourd’hui on est dans une guerre, une lutte acharnée contre la Russie et cette guerre n’a pas commencé il y a deux ans ou en 2014. Elle a commencé il y a des centaines d’années, voire des millénaires, dit Mariia. Nous voulons affirmer notre liberté haut et fort, notre amour pour notre pays et pour notre peuple. » Et Nataliia de confirmer : « Le chant est notre force. Cet instrument puissant nous raconte au monde et nous permet de ne pas oublier à quel point nous sommes un peuple libre et fort. Notre chance est qu’il y a encore des grands-mères dans les villages qui peuvent nous transmettre ce trésor. »

François Bensignor

François Bensignor
François Bensignor

Journaliste musical depuis la fin des années 1970, il est l’auteur de Sons d’Afrique (Marabout, 1988), de la biographie Fela Kuti, le génie de l’Afrobeat (éditions Demi-Lune, 2012). Il a dirigé l’édition du Guide Totem Les Musiques du Monde (Larousse, 2002) et de Kaneka, Musique en Mouvement (Centre Tjibaou, Nouméa 2013).

Cofondateur de Zone Franche en 1990, puis responsable du Centre d’Information des Musiques Traditionnelles et du Monde (CIMT) à l’Irma (2002-14), il a coordonné la réalisation de Sans Visa, le Guide des musiques de l’espace francophone (Zone Franche/Irma, 1991 et 1995), des quatre dernières éditions de Planètes Musiques et de l’Euro World Book (Irma).

Auteur des films documentaires Papa Wemba Fula Ngenge (Nova/Paris Première, 2000) tourné à Kinshasa, Au-Delà des Frontières, Stivell (France 3, 2011) et Belaï, le voyage de Lélé (La Belle Télé, 2018) tourné en Nouvelle-Calédonie, il crée pour la chaîne Melody d’Afrique la série d’émissions Les Sons de… (2017).

Il a accompagné l’aventure de Mondomix sur Internet et sur papier, puis contribué à son exposition Great Black Music pour la Cité de la Musique de Paris (2014).

On peut lire sa chronique Musique dans la revue Hommes & Migrations depuis 1993.

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