En Afrique, 27 pays répriment et condamnent l’homosexualité, 40 n’offrent aucune protection aux personnes LGBTQ+ et en Somalie, dans les 12 états du Nord Nigéria ou en Mauritanie, des condamnations à morts peuvent ou sont systématiquement prononcées pour des relations sexuelles avérées entre adultes du même sexe. A contrario, la législation d’Afrique du Sud est l’une des plus avancées de la planète. Sur le continent, les musiciens LGBTQ+ ou sympathisants s’adaptent pour suggérer ou affirmer la nécessité de faire évoluer lois et comportements. Exemples au Maroc, en Angola et en Afrique du Sud.
Au Maroc, les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont punies d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Dans ce contexte, l’affirmation d’une altérité et de la défense des droits des LGBTQ+ ne peut que difficilement se faire de façon frontale.
Kabaret Chikhat en concert à La Fol, Casablanca pour le festival Hafla
En 2016 le metteur en scène et comédien casablancais Ghassan El Hakim crée le Kabaret Cheikhat, un spectacle musical devenu très populaire au Maroc, dans lequel des hommes habillés en femmes rendent hommage aux cheikhates. Pour le metteur en scène, les cheikhates sont les symboles d’une époque de plus grande tolérance : « Ces femmes manifestaient leur résistance à toutes formes d’autorité par le chant, la poésie et la danse. Elles avaient du goût et étaient de grandes voyageuses. A la fin du 19e siècle, elles étaient consultées par des grandes familles pour les conseiller sur la décoration, les bonnes manières, la tradition. Elles avaient aussi un rôle de briseuse de tabous et à l’époque dans la société marocaine, il yen avait moins. Aujourd’hui les cheikhates sont en train de disparaître. »
Le répertoire des cheikhates est celui de la aïta, héritée des bédouins, mais ces chansons de tradition orale se sont altérées avec le temps. Les musiciens de la troupe ont entreprit des recherches : « De longs poèmes du 19e siècle composent ce patrimoine non écrit. Dix chansons forment les bases de la aïta. On a été envahi par les musiques du Nord, de l’Est et de l’Ouest et les mélodies premières se sont perdues. Alors on a fait comme pour le draoul dans l’art de la ripaille : des restes de pâtisseries que l’on ne jette pas et mange autrement comme une paëlla. En collant des restes de chansons les uns aux autres on en obtient de nouvelles. »
Le travestissement des musiciens de Kabaret Cheikhat et leur musique portent un message ouvert : « Il y a plusieurs niveaux de lecture. Comme les cheikhates, on ne va pas se mettre en danger et revendiquer plus une cause que l’autre, mais quand les militants lgbt viennent à nos spectacles ils comprennent des messages qui sont déjà dans les chansons anciennes. » Mais il tient à préciser : « Au Maroc, 70% des jeunes, surtout les hommes, pensent qu’il y a un sexe faible et un sexe fort. Sur scène, ce que je pointe du doigt c’est : comment un jeune d’aujourd’hui n’arrive pas à se dire que peut-être il a tort ? Je ne lui dit pas qu’il a tort de penser ça, mais qu’il a tort de ne pas penser qu’il a peut-être tort. Le monde avance et si l’on reste dans cette réflexion super manichéenne, ça ne marchera jamais. Ce spectacle est une sorte de transition entre ce manichéisme et une possibilité de voir plusieurs genres ou pas de genre du tout, d’avoir plusieurs choix. »
Titica ft. Preto Show - Xucalho
En Angola, la dépénalisation de l’homosexualité ne s’est produite qu’en 2021. Titica, chanteuse transgenre y a subi violences et discriminations. A seize ans, sa famille découvrant son homosexualité la rejette et elle trouve refuge chez Propria Lixa, chanteuse de kuduro, frénétique musique urbaine dans laquelle se télescopent semba angolais, hip hop et électro. Titica rejoint le groupe de son amie en tant que danseuse, puis se tourne vers le chant et la composition. En 2010, elle compose Chão son premier tube. En 2011, elle est désignée meilleure chanteuse de kuduro de l’année. Son aura rayonne tout autant au Brésil, aux Etats-Unis et au Portugal qu’en Angola. En 2013, elle devient ambassadrice de l’Onusida. Sa popularité et son inlassable combat contre l’homophobie et pour les droits LGBTQ+ ne sont sans doute pas étrangers à l’évolution des mentalités dans son pays.
De tout le continent c’est en Afrique du Sud, que les droits LGBTQ+ sont les mieux défendus. La première Marche des Fierté africaine s’est tenue à Johannesburg en 1990. La protection des homosexuels est entrée dans la constitution voulue par Nelson Mandela en 1996 et le mariage y est possible pour tous depuis le 30 novembre 2006, soit 7 ans avant la France.
Faka - Uyang’khumbula
Desire Marea et Fela Gucci sont des artistes polyvalents et des activistes queer. Ils se rencontrent en 2013 et en 2015 se baptisent Faka, terme zoulou pour pénétrer. Ils pratiquent le qqom (tambour), évolution mâtinée de house minimaliste du kwaito, née à Durban et initialement adoptée par la jeunesse noire issue de milieux défavorisés. Le duo sexy et glamour, adepte du voguing, y réinjecte des influences gospel et chante principalement en zoulou. Soutenu par la rappeuse américaine autoproclamée multigenre, Mykki Blanco, Faka milite pour le safe sex, le respect des minorités sexuelles et ethniques, contre la transphobie et le capitalisme. Ils portent leurs messages à travers leurs performances dans les médias sud-africains, sur scène ou lors de leurs soirées “Cunty Power club nights“ à Johannesburg. En Europe, Faka s’est produit au festival queer, féministe et intersectionnel Loud & Proud à la Gaité Lyrique de Paris, à Milan pour la Fashion Week comme à la biennale d’art contemporain de Berlin.
Desire Marea - Tavern Kween
En 2020, Desire Marea sort l’album Desire dans lequel, sans abandonner l’orientation clubbing, il explore des chemins musicaux plus expérimentaux.
Dope Saint Jude - Home
La productrice et rappeuse, Dope Saint Jude s’est autoproclamée drag king. Elle se reconnait des influences telles Alanis Morisette, Santigold, MIA ou Kanye West mais se sent aussi héritière de la mythique chanteuse et militante anti apartheid Miriam Makeba, du jazz contestataire d’Hugh Masekela, comme des formes musicales contemporaines d’Afrique du Sud (kwaito, house ou qqom). A travers ses clips elle affirme sa fierté d’être une femme noire homosexuelle défiant machisme et homophobie.
Mais ce fut un long combat pour gagner son assurance : « A l’adolescence on commence à parler de sexualité : les garçons apprécient les filles et les filles, les garçons . J’avais douze ans, je savais que j’étais homosexuelle, je pensais que quelque chose allait de travers et ça m’a prit du temps pour être en paix avec ça. » Puis il a fallu le faire admettre à ses parents « Je le leur ait dit quand j’ai eu 16 ans. Ca n’a pas été simple, spécialement pour ma mère. Il a fallu plusieurs années pour qu’elle se relaxe avec ça, mais maintenant elle soutient les droits homosexuels. Il n’y a pas que les parents qui enseignent à leurs enfants, dans une telle situation un enfant apprend aussi à ses parents. Tu leur ouvres de nouvelles portes pour leur cœur ou leur esprit. On a fait un voyage difficile, mais ce sont de bons parents et à la fin notre relation est devenue plus proche que si je n’avais pas été gay. » Hors de la maison elle rencontre de l’hostilité : « J’ai grandi dans un environnement catholique, les gens n’étaient pas très agréables avec ça, mais mon père m’a beaucoup protégée. A 17 ans j’ai quitté la maison pour aller à l’université et là il y avait plus de liberté. » A l’école elle commence à militer. « Au collège j’appartenais à une sorte de club informel qui réunissait les gays. Nous nous sentions seuls et nous nous sommes rassemblés. A l’université j’étais la présidente de l’organisation des gays et lesbiennes, je me suis engagée dans de nombreuses manifestations de protestations et d’actions politiques. Nous revendiquions être une partie de la société, participions à la marche des fiertés. J’assumais clairement qui j’étais. »
Et son identité se tient fièrement au cœur de sa musique : « La musique réunit les gens et peut apporter un message d’espoir de bonheur et de joie quand tu vis dans une situation difficile. J’espère que ma musique apporte cela. »
Installée aujourd’hui à Londres, Dope Saint Jude a sorti son troisième EP au printemps 2022 et prépare son premier album.