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Pochette du vinyle "1er Festival Pop Celtic", Kertalg 72, 1972 - droits réservés
Pochette du vinyle "1er Festival Pop Celtic", Kertalg 72, 1972 - droits réservés

Musique bretonne : 1972, année charnière - épisode 1

Grève du joint français puis du lait, procès des militants du Front de Libération de la Bretagne, création de la compagnie maritime Brittany Ferries visant initialement à transporter les artichauts et oignons du Léon vers l’Irlande et la Grande-Bretagne suite à l’entrée de ces dernières dans la Communauté Économique Européenne… Mais aussi création du Festival Fisel à Rostrenen (anciennement « Concours »), les groupe de fest-noz Kanfarted Rostren et Sonerien Du, l’association de collectage et de diffusion du patrimoine oral Dastum, la confirmation du Festival Interceltique de Lorient (alors Fête interceltique des Cornemuses de Lorient)… À la confluence des luttes culturelles, sociales, écologiques et politiques, 1972 apparaît comme une année singulière en Bretagne, fruit des bouleversements d’après-guerre et annonciateur de dynamiques encore à l’œuvre aujourd’hui. Fidèlement, chanteurs et musiciens accompagnent, voire amplifient ce mouvement en faisant porter sa voix parfois plus fort, et plus loin, dans le temps comme dans l’espace.

Alan Stivell - Pop Plinn

 

Boulevard des Capucines, IXe arrondissement de Paris, 28 février 1972. Parmi les acclamations du public qui ont émaillé le concert d’Alan Stivell à l’Olympia, certaines ont une signification particulière, à commencer par celles qui ont accueilli « An Alarc’h », un chant patriotique breton promettant « le malheur rouge sur les Français ». C’est que, au-delà du succès commercial de Tri Martolod sorti en 45 tours quelques mois plus tôt chez Fontana, la soirée retransmise en direct sur Europe 1 a une dimension symbolique : un répertoire, une langue, des instruments longtemps méprisés voire interdits s’offrent le temps de quelques heures devant une salle comble une visibilité et une reconnaissance inédites. Si Stivell a pu représenter — avec Dan Ar Braz et Gilles Servat — le ‘’renouveau’’ musical breton en France et dans le reste du monde, ce dernier n’est pas le seul à s’ouvrir au folk ou au rock. À portée d’ondes des radios pirates anglaises, Gwalarn offre des ballades dans l’air du temps et Storlok signe des morceaux souvent engagés comme Gwerz Marv Jorj Jackson, en hommage au membre des Black Panthers George Jackson.

Gwalarn - Karantez vro

 

 

L’une des chansons-phares de Storlok, Botoù-koad dre-dan, (Des Sabots Électriques), est le titre du documentaire réalisé par Soazig Daniellou au sujet de la troupe de théâtre brittophone Ar Vro Bagan. Issue du cercle celtique de Brignogan dans le nord Léon — créé comme beaucoup d’autres cercles aux côtés des bagadoù lors de la première vague de renouveau culturel des années 1950 —, portée par l’esprit post-1968, Ar Vro Bagan prend rapidement une tournure militante en formulant des revendications qui déclenchent l’ire des autorités françaises : à la suite de l’attentat de Roc’h Trédudon revendiqué par le FLB-ARB, de larges coups de filet sont réalisés par la police dans les milieux culturels bretons, y compris apolitiques. La manœuvre, vécue par beaucoup comme une tentative d’intimidation, n’empêche pas la popularité d’artistes s’inscrivant dans le sillage de la protest song américaine pour Youenn Gwernig ou d’une poésie engagée puisant ses références dans l’actualité comme dans un passé mythifié pour Glenmor et Xavier Grall.

 

Moins engagé mais tout aussi politique par la valorisation d’une culture déclassée, certains chanteurs empruntent des chemins de traverse en continuant le titanesque travail de collecte d’un patrimoine musical oral qui manque de disparaître avec ses détenteurs. Loin d’autres genres plus en vogue, notamment chez les jeunes, Yann-Fañch Kemener se fait le chantre d’un répertoire traditionnel de gwerzioù (complaintes) et de kan ha diskan, (chant et de contre-chant) avec ses premiers enregistrements publiés quelques années plus tard.

Jean-François Quéméner · Anne Auffret · Marcel Guilloux - Sant Sulian, Saint Julien

 

Aux côtés des chants à écouter, les chants à danser connaissent en effet une renaissance avec la popularisation des festoù-noz modernes, créés une vingtaine d’années plus tôt pour remplacer les fêtes de fin de labour désormais révolues. Désormais publics, organisés le plus souvent dans des salles communales et entrant petit à petit dans les villes, les festoù-noz (fêtes de nuit) et festoù-deiz (fêtes de jour) sont indissociables des luttes culturelles sociales et politiques,  servant autant à développer et maintenir une cohésion de groupes qu’à lever des fonds pour des causes variées. En découle la création de groupes comme Kanfarted Rostren dans le Centre-Bretagne, mais aussi l’année précédente des Sonerien Du (les Sonneurs noirs) dans la région de Quimper et des Diaouled Ar Menez (les Diables de la montagne) dans les Monts d’Arrée.

Diaouled Ar Menez - Etienne Riwallan

 

En dépit des différentes directions que prend alors la musique bretonne, la petite taille relative du milieu ainsi que la conscience de contribuer à un combat commun, conduit à de nombreuses circulations. Ainsi le Festival rock de Kertalg, dont la première édition a lieu le 13 août 1972, mêle Alan Stivell — propulsé plus jeune par Glenmor — aux Soeurs Goadec et aux Diaouled Ar Menez, eux-mêmes formés à Menez kamm (1970-1974), point névralgique de l’action culturelle bretonne de l’époque, où Youenn Gwernig monte pour la première fois sur scène. Certains artistes enfin, à l’image de la harpiste Kristen Noguès — formée comme Stivell par Denise Mégevand —, s’ancrent à la croisée des influences, à la fois traditionnelles et jazz.

 

Cette dynamique symbolisée par l’année 1972 — sur laquelle revient l’excellente base de données BCD —, résultat de décennies d’effort pour faire vivre la culture et la langue bretonnes, se poursuit avec la création en 1973 par Polig Montjarret — instigateur du Festival interceltique de Lorient dans sa version moderne — du Kan Ar Bobl (chant du peuple), concours régional de chant et de contes, qui a fêté ses cinquante ans ce printemps, puis la signature en 1977 de la Charte culturelle bretonne par Valéry Giscard d’Estaing ouvrant à nouveau la voie à l’enseignement bilingue breton-français. Si certaines mobilisations, comme celle contre la centrale nucléaire de Plogoff (1978-1981) ont payé, d’autres revendications, sur la régionalisation et la réunification avec la Loire-Atlantique, la place du breton dans l’espace public ou encore les conditions de vie des agriculteurs n’ont à ce jour pas rencontré le même succès.

 

 

Musique bretonne : 2022, sélection 100% Kreiz Breizh – épisode 2

 

 

Coline Houssais

Coline Houssais
Coline Houssais

Née en 1987 en Bretagne, Coline Houssais est une chercheuse, commissaire, journaliste et traductrice indépendante spécialisée sur la musique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ainsi que sur l’histoire culturelle de l’immigration arabe et berbère en Europe. Elle enseigne ces deux sujets à Sciences Po, dont elle est par ailleurs diplômée, et contribue régulièrement à de nombreux médias. Auteure de « Musiques du monde arabe - une anthologie en 100 artistes » (Le Mot et le Reste, 2020), elle a créé et produit “Les Rossignols de Bagdad”, une performance vidéo, musique & texte autour de l’âge d’or de la musique irakienne et de la mémoire oubliée des musiciens juifs irakiens

Fellow de la Fondation Camargo pour l’année 2020, Coline est également la récipiendaire du programme de résidence IMéRA-MUCEM pour « Ceci n’est pas un voile », une réflexion  visuelle mêlant images d’archives et portraits contemporains autour de l’histoire du couvre-chef féminin en France et de ses perceptions.

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