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Les Surfs (1964) Nationaal Archief Jac. De Nijs : Anefo (creative Commons Attribution)
Les Surfs (1964) Nationaal Archief Jac. De Nijs : Anefo (creative Commons Attribution) - Les Surfs (1964)

Madagascar : eldorado musical ? épisode 2

Méconnue, sous-estimée, voire pillée… Et si la musique malgache était à l’origine du maloya réunionnais, du mouvement hip-hop et du reggae ? Enquête sur un secret bien gardé. 

Suite et fin de notre série malgache ! Découvrez d’abord l’épisode 1 où on fait le lien entre Madagascar et le Maloya, et où l’on explique la fascination d’Hendrix, Santana et de Jeff Mills pour la grande Île (…)

Le festival local – le Libertalia music de Gilles Lejamble (organisé sur les fonds propres de cet entrepreneur métis) – s’efforce tous les deux ans de mettre en lumière la création nationale. Avec un double enjeu : « déplacer l’épicentre d’attention des programmateurs européens » (qui puisent habituellement, grâce à un réseau rodé et mis en place depuis une trentaine d’années, au Sénégal, au Mali ou à la Réunion) ; puis « redonner de la fierté à une jeunesse en perte de repères », ayant parfois – à force du manque de reconnaissance et/ou de condescendance – « troqué les styles endémiques de l’île pour du mimétisme outre-Atlantique ».

 

Car ce sont bien cette culpabilité intériorisée et l’inexistence de protections étatiques qui auraient facilité cette appropriation culturelle. À l’heure de la famine et du contrôle des masses, on peut comprendre que les présidents successifs aient sans doute d’abord cherché à nourrir les corps avant les esprits… Par chance, le festival Libertalia music a réussi à exporter les groupes The Dizzy Brains (révélation des Trans Musicales 2015) et Kristel, premiers porte-voix d’une conscience populaire qui prendra sans doute une génération afin que la libération de la parole ne s’avère anodine…

 

Pourquoi d’ailleurs l’apport de musique malgache n’est-il pas si (re)connu ? Plusieurs théories sont à l’œuvre… Il y a d’abord ceux que l’Histoire a éclipsés comme Les Surfs, groupe yé-yé malgache qui joua avec The Supremes, les Rolling Stones ou encore Stevie Wonder.

 

Malheureusement, et comme le style l’obligeait, la majorité du répertoire était composée d’adaptations françaises de hits anglo-saxons… Leur origine fut donc minorée, autant que leur dimension exotique n’a jamais été musicalement exploitée.

Idem pour les grands jazzmans malgaches comme Régis Gizavo, condamné à l’exode. « Vivre de sa musique à Madagascar, c’est mourir à 50 piges », résume Nicolas Auriault. Précisant que « l’équivalent de la Sacem locale est corrompu. C’est pour ça que certains se sont réappropriés tout un répertoire en toute impunité. Et puis, ces jazzmans n’allaient pas revendiquer leur pays d’origine, vu qu’ils en étaient partis… ». Un détournement culturel qui, selon lui, trouve son origine dans l’économie précaire : « La musique malgache reste un ciment social, mais n’a jamais eu les moyens de rayonner. Ni même d’être revendiquée ! Les autres îles le savent et en profitent ! Et puis, depuis 2009, le maloya est désormais inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité… Cela offre une plus grande visibilité (et crédibilité à l’origine créole), surtout depuis l’écroulement de l’industrie discographique à Madagascar, dont les archives ont été transférées… à La Réunion. » CQFD.

 

Quant à Jean-Claude Vinson, il va plus loin en donnant une explication plus… régionale : « Les Hauts-Plateaux, où se situe la capitale Antananarivo et où est encore pratiqué l’esclavage, sont tenus par la noblesse. Leur hantise, c’est que la créativité, tout comme les ressources minières, proviennent des côtes… Or, ils n’ont aucun intérêt à donner de la visibilité à des ethnies dont ils se sentent supérieurs… Ni ne veulent en être dépendant. » À l’en croire, cette attitude – encore perpétuée aujourd’hui – serait un des héritages collatéraux de l’ère coloniale.

Le chercheur Julien Mallet nuance cependant. S’il y a une étrange similitude entre le fait que Madagascar détient le record du pays africain ayant cédé le plus de terres aux investisseurs étrangers et ces fameux “emprunts“ internationaux à la musique malgache, la question des origines est infinie et reviendrait « à savoir qui a été le premier de la poule ou de l’œuf ». Alors certes, il atteste de « l’immense richesse culturelle, endémique et sous-estimée » du pays. Pas de doutes. Mais lui préfère plutôt parler d’un « rythme commun ».

À l’autre rumeur outre-Atlantique persistante : est-ce que les Malgaches ont inventé le hip-hop ? Sa réponse est définitive : « Le hip-hop est américain ! Mais il existe – oui – un phénomène de concordance antérieur qui se situe à Madagascar… Cette musique, c’est le jijy, une sorte de chant scandé et traditionnel qui ressemble au rap. Sauf que si certains revendiquent ce miroir, c’est surtout pour prouver une authenticité et/ou s’inscrire dans des codes “blacks“ mondialisés. » 

Pour le reste, s’il acquiesce à certains arguments énoncés, le chercheur tient cependant à mettre en garde : « En matière de musique, il ne faut pas réfléchir en termes d’arbre généalogique, mais en tourbillons d’influences sans cesse renouvelés et agrémentés. C’est l’industrie musicale qui a besoin d’étiquettes ! Une culture, elle, n’a ni identité fixe, ni de propriétaire… Revendiquer l’origine d’un mouvement, c’est procéder à des raccourcis et figer les choses. Or si une tradition s’arc-boute, elle meure… Et puis chaque origine a une origine, non ? Donc, quelle est la limite ? » 

Qu’importe. Même tardive, Jean-Claude Vinson croit en cette future reconnaissance de la Grande Île. Avançant que, dans son malheur, les musiques malgaches ont aussi « la grande chance d’avoir été… oubliées », permettant ainsi de ne pas avoir été « corrompues ou altérées »… Quant à Carlos Santana, le guitariste a sorti son nouvel album Africa Speaks en 2019… À défaut de s’être servi de Madagascar comme porte-voix, l’artiste s’y fait par contre toujours désirer.

 

 

Samuel Degasne

Samuel Degasne

 

Journaliste depuis une quinzaine d’années (Rue89, M6, Le Mouv', LesInrocks...) et auteur d’un TEDx en 2019il partage aujourd’hui son temps entre le magazine Rolling Stone, la présentation de conférences de presse (Vieilles Charrues, Motocultor…), l’écriture de livres… et sa chaîne YouTube Une chanson l’addition, nommée web channel aux Social Music Awards 2021.

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