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Alem & Krismenn (beat-box et chant breton © Benjamin MiNiMuM -

Les langues régionales en danger ? Le cas de l’Hexagone

La création musicale en langues régionales possède un dynamisme et une inventivité unique. Mais leurs langues ne sont toujours pas reconnues par l’Etat français et se meurent comme des espèces en voie de disparition. Nous avons fait le point avec des artistes pionniers corses (Jean Claude Acquaviva), bretons (Erik Marchand), occitans (Manu Théron) et basques (Beñat Achiary).

Il en va des langues comme des espèces, certaines se portent bien, d’autres se meurent. Si les scientifiques s’accordent pour estimer le nombre de langues actuellement utilisées dans le monde aux alentours de 7000, auxquelles s’ajoutent des milliers de dialectes, la moitié d’entre elles sont appelées à disparaître durant les deux prochaines décennies. Avec elles risquent aussi d’être emportées des expressions culturelles et musicales spécifiques et savoureuses. Dans ce premier papier nous nous concentrons sur l’Hexagone, il sera suivi d’un autre focus sur les langues régionales fleurissant en Outre-Mer.

 

Des méthodes d’enseignement obsolètes

 

En 2017, 25 pays ont ratifié « La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires », proposée par le Conseil de l’Europe. A travers leur adhésion ces pays s’engagent à protéger et aider à la promotion des langues et des minorités nationales. La France est absente de la liste des signataires, ce qui est assez inquiétant quant à la survie des langues et cultures régionales des sols français, pour la plupart sur le déclin.

 

A Filetta

 

Jean-Claude Acquaviva, chef de chœur du groupe de polyphonies corses A Filetta livre son sentiment : « Le problème de fond c’est que nous avons des langues qui ont du mal à trouver leur place parce que la proximité a du mal à trouver sa place. Nous sommes dans un système où de plus en plus on nous demande d’être efficace. Et la chose la plus efficace c’est ce qui est le plus répandu. Ce qui n’est jamais très bon, car si on transpose ça sur le plan culturel ça veut dire que l’on ne mange et n’écoute que ce que l’on consomme le plus. »

Les langues régionales participent pleinement à la diversité, mais dans toutes les régions les locuteurs natifs disparaissent et si certaines sont encore présentes dans l’enseignement académique, les méthodes d’apprentissage sont souvent déconnectées du quotidien. La fille de J.C. Avquaviva est en quatrième et suit des cours de Corse : « On leur fait apprendre des leçons entières sur ce qu’étaient les usages du mariage en Corse au 19ème siècle. Ça peut être intéressant pour moi qui ai 55 ans, mais un enfant à qui on doit transmettre une langue, on devrait lui parler de choses qui lui sont évidentes de prime abord, des choses de notre quotidien et dans une langue quotidienne. Au lieu de ça ce qu’on leur transmet leur apparaît désuet et ça ne fonctionne pas. »

Et ça ne va pas aller en s’arrangeant. La récente réforme du baccalauréat risque de décourager jusqu‘aux élèves les plus motivés. Jusqu’alors les notes obtenues via les options de langues régionales étaient comptabilisées sur des coefficients de 1 à 3%, mais avec la réforme Blanquer elles ont été rabaissées à 0,01%.

 

Les sons des langues

 

Beñat Achiary & Joseba Irazoki

 

Dans certaines régions (Bretagne, Occitanie, Pays Basques) des associations ont réussi à tisser des réseaux de classes apprentissages immersifs, où les cours sont dispensés dans la seule langue régionale.

De toutes les langues régionales l’Euskadi Basque est sans doute la langue la mieux portante. C’est vraisemblablement la plus ancienne et l’Espagne voisine, avec qui elle en partage la pratique, l’a reconnue comme partie intégrante de son identité nationale. A la question de savoir si ces cultures sont porteuses de renfermement identitaire ou d’ouverture tous les interlocuteurs abordés penchent pour la seconde solution. Pour le chanteur basque Beñat Achiary c’est une évidence : « Pour moi la pratique du basque est très jouissive. Du coup je recherche le même émerveillement dans les autres langues, dans leur rapport avec l’écriture,  avec le signe et bien entendu avec le son. » 

Il pointe là l’autre grand pôle de transmission, la pratique musicale. En Bretagne celle-ci est assez bien établie, comme le reconnaît le chanteur Erik Marchand : « La musique populaire est une musique de danse festive. Les jeunes ruraux devenus étudiants ont pu imposer ces pratiques conviviales avec des Fest-Noz (littéralement Fêtes de nuits, bals populaires de traditions bretonnes) qui ont favorisé la reconnaissance de la langue. » Si comme pour l’ensemble des expressions musicales régionales la Bretagne a connu un âge d’or dans les années 70 avec notamment l’immense succès d’Alan Stivell, la création en breton continue d’être très vivace. Erik Marchand n’hésite pas à faire du rock en compagnie de Rodolphe Burger, Denez Prigent a obtenu une forte reconnaissance avec des chants typiques accompagnés d’arrangements électro et dans la jeune génération Krismenn se distingue en mêlant pratiques traditionnelles (gwerz ou kan ha diskan) avec sonorités urbaines et human beat box.

 

Erik Marchand & Rodolphe Burger

 

Les musiques traditionnelles s’exportent mieux

 

Le territoire occitan est aussi très actif. L’âge d’or lui s’est cristallisé dans les années 80 sur l’axe Toulouse-Marseille avec Les Fabulous Trobadors dans la ville rose et Massilia Sound System. Aujourd’hui, le Marseillais Manu Théron est l’un des personnages les plus dynamiques du Sud de la France à travers ses différentes formations Gacha Empega, avec Sam Karpienia (Dupain, De la Crau), Sirventès, Chi-Na-Na-Poun, Polyphonic System avec Ange B. ou l’Arlésien Henri Maquet. C’est surtout avec Lo Cor de la Plana, un chœur de polyphonies et percussions, qu’il a inspiré de nombreuses formations dont le quartet féminin La Mal Coiffée ou le sextet San Salvador du Massif Central qui a notamment triomphé aux dernières Transmusicales. Lo Cor de la Plana a joué dans le monde entier, dans des salles occidentales prestigieuses comme l’Olympia ou le Carnegie Hall, mais aussi sur les autres continents. Manu Théron confie ce qui selon lui explique ce succès : « Avant qu’on arrive au Koweït ils nous ont prévenu : “La dernière fois qu’on a accueilli une chanteuse française, ils sont tous partis à la moitié du concert, ne faîtes pas attention le public d’ici est comme ça.” Pendant le concert, quand on a commencé à envoyer des tourneries répétitives avec les bendirs on s’est aperçu qu’il y avait une vraie symbiose avec le public et personne n’est parti. Ce qu’on avait à leur dire leur parlait directement. Ce n’était pas de la chanson française où seul le texte peut inclure l’auditeur. On fait quelque chose qui à la base s’adresse à des gens qui n’ont pas accès au texte. Les Marseillais ne connaissent pas leur langue. On aborde la scène en essayant de faire admettre l’altérité. Alors quand on arrive dans des pays étrangers on n’a aucun problème parce que nous sommes entraînés à cette situation. »

Ce qui tend à prouver que s’intéresser à une langue traditionnelle pousse à s’ouvrir au reste du monde.

 

Lo Cor de la Plana à Washington

 

Benjamin MiNiMuM remercie particulièrement Erik Marchand, Beñat Achiary, Jean-Claude Acquaviva et Manu Théron pour la générosité de leur participation à cette petite enquête, mais aussi Rodolphe Burger, Roger Siffer, Yannick Jaulin et Sébastien Bertrand qui l’ont aussi beaucoup aidé à nourrir ce travail, mais dont il n’a pu au final insérer les propos éclairants.

 

Benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014. Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

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