Cet article a été rédigé pour Music In Africa. #AuxSons l’a traduit en français et partagé dans le cadre d’un partenariat média. Certains extraits ont été abréviés (…). Pour retrouver l’intégralité de l’article en anglais, rendez-vous sur le site de Music In Africa.
Le chant n’est pas seulement une partie intégrante de la vie quotidienne des femmes somaliennes, c’est aussi le moyen à travers lequel elles peuvent exprimer leurs griefs et critiquer les normes sociales paternalistes qui ont renforcé l’hégémonie masculine et limité leur participation sociale à certains rôles stéréotypés. La poésie chantée par les femmes somaliennes transmet les messages et les histoires sur leur statut dans la société.
Inciter à la réforme sociale par le biais de chansons
Dans les paroles de folklore ci-dessous, il est clair que les femmes somaliennes refusent d’être simples spectatrices dans le débat pour le changement social. Elles mènent une campagne de sensibilisation à travers leur poésie chantée pour engendrer le type de réforme auquel elles aspirent.
Dans l’exemple suivant, texte qui méprise le rôle attendu d’une épouse, une femme met en garde son amie, geelo en somali, sur les difficultés auxquelles elle sera confrontée la première nuit de son mariage.
Haddaba geeladaydii (Oh, ma chère geelo)
Ila garan ogtaydii (Ma gracieuse partenaire de dance)
Caawaba dirqaad geli (Ce soir, ta servitude commence)
Dirqi wiil yar baad geli (La servitude auprès d’un jeune homme)
Dabka iga shid baad geli (Qui t’ordonnera d’allumer le feu pour lui).
La polygamie est un autre sujet que les Somaliennes abordent fréquemment dans leur poésie chantée, comme en témoignent les vers bien connus qui suivent, de la chanson Godadle, que les femmes chantent en martelant le grain à l’aide d’un mortier et d’un pilon :
Godadle godadleeyow godadle (Oh, toi propriétaire de jolies cahutes)
Godadle xiisaalow godadle (Oh, toi et ton désir capricieux, et toutes tes cahutes)
Gabadh yar uu gabayuu (Oh, toi l’homme qui après avoir négligé ta jeune épouse)
Uu guduudiyayuu (L’avoir frappée jusqu’au sang)
Uu gogosha ku cunayuu (Tuée à force de harcèlements au lit)
Way gabtaa yidhiyee godadle (Tu prétends qu’elle t’ignorait).
Les Somaliennes ne manquent donc pas une occasion de critiquer les normes sociales qui les cantonnent dans certains rôles ou d’exprimer leur opinion sur la façon dont les choses doivent être. Elles chantent aussi des chansons sur leur travail, notamment lors du barattage du beurre. De leurs voix harmonieuses, elles s’adressent au pot de lait, appelé haan, le pressant de fermenter plus vite tout en lui reprochant son entêtement. Les chansons mettent aussi l’accent sur la quantité de travail nécessaire au processus ainsi que sur l’importance du beurre.
Enfin, parmi les paroles les plus célèbres évoquées pour aborder la poésie populaire somalienne, se trouvent celles que les femmes chantent en fabriquant des nattes, ou kabad, pour leurs huttes nomades. Chaque ligne contient un message :
Awdal laga keenyeey
Alalag dheereey
Il bari looga soo oriyey (Le tapis rapporté de Awdal. Quelle fanfare tu provoques ! Oh, combien ils chantent tes louanges. Dans les coins les plus reculés de l’Est)
Koronkor cuni maynoo
Kariba maynee
Karuur geel ma la hayaayey (Nous ne pouvons pas manger de millet. Celui qui s’apparente à des larves. Pourquoi ne pas nous offrir du lait de chamelle amer ?)
Naagta kabada leheey
Kaalin culuseey
Adaan kayd hore u sii dhiganeey (Oh, toi femme, propriétaire du tapis. Pourquoi trouvons-nous ton travail si pesant ? Parce que tu n’as pas gardé de provisions pour un tel travail)
(…)
Il existe des centaines de poèmes comparables chantés par les femmes somaliennes qui évoquent leurs activités et chaque événement auquel elles participent. Cette forte tradition du chant féminin explique pourquoi, lorsque la musique moderne somalienne est née en 1943 et initiée par Abdi Deeqsi Warfa (Abdi Sinimo) avec ses chansons balwo, Khadija Iyeh Dharar (Khadijo Balwo) était à ses côtés comme partenaire. Elle a même emprunté le nom du genre, balwo, comme nom d’artiste.
Chanteuses modernes
D’autres pionnières ont rapidement emboîté le pas de Khadijo Balwo, telles que Shamis Abokor (Guduudo Carwo), la première somalienne à enregistrer une chanson pour Radio Hargeisa en Somalie britannique, et Khadija Abdullahi Daleys, devenue la première chanteuse de Mogadiscio (Somalie italienne). Daleys fut honorée dans le Minnesota peu de temps avant sa mort.
Durant l’âge d’or de la musique somalienne dans les années 1960-80, les chanteuses somaliennes semblaient être plus nombreuses que les hommes. Parmi les chanteuses emblématiques qui captivaient les mélomanes à cette époque figuraient Fadumo Abdillahi (Maandeeq), Halima Khalif (Magool), Zainab Haji Ali (Baxsan), Farhiya Ali, Hibo Mohamed (Hibo Nuura), Sahra Ahmed, Amina Abdillahi, Khadra Dahir, Zeinab Egeh , Shankaroon Ahmed, Fadumo Qasim Hilowle, Maryan Mursal, Khadija Mahamoud (Qalanjo), Qamar Abdillahi (Harawo), Saado Ali Warsame, Saafi Duale, Marwo Mohamed, Ruun Haddi Saban, Amina Fayr, Kinsi Haji Adan et bien d’autres du célèbre supergroupe musical Waaberi.
Déclin du rôle des femmes dans la musique
Lorsque le gouvernement somalien s’est effondré en 1991, les femmes artistes ont fui le pays en masse. Celles restées au pays ont cessé de chanter après la prise de contrôle du pays par des groupes radicaux tels que Al-Shabab en 2009. Les quelques audacieuses laissées pour compte qui tentèrent de pratiquer une certaine forme de musique furent sévèrement punies. Les représentations furent interdites et même les musiciens masculins se détournèrent des spectacles pour se tourner vers un conservatisme religieux.
Même si de nombreux Somaliens s’opposent encore à la musique, comme en témoigne l’interdiction de Nasteexo Indho de se produire à Hargeisa en août 2016, la tentative de la part de dignitaires religieux d’empêcher la tenue d’un concert de Kiin Jama Yare en avril 2018 à Mogadiscio fut infructueuse. Les artistes Waaberi qui ont émigré à l’étranger ravivent la musique somalienne dans de nombreuses régions du monde - et une nouvelle génération d’artistes féminins de la diaspora reprend le flambeau.
Parmi les chanteuses les plus célèbres figurent Zainab Laba Dhagax, Deeqa Ahmed, Farhiya Fiska, Naseexo Indho, Hodan Abdirahman, Kiin Jaamac Yare, Halimo Gobaad, Rahma Rose, Nimo Dareen, Nimo Yasin, Idil Barkhad, Amina Faaraxla (Amina Faaraxla) et bien d’autres encore.
Les Somaliennes de la seconde génération, vivant principalement en Occident, repoussent également les frontières de la musique somalienne, comme les sœurs connues sous le nom de Faarrow dont le travail s’oriente du côté du genre Afropop.
Enfin, l’un des chaînons manquants dans la contribution par ailleurs remarquable des Somaliennes à la musique, est Fawzia Haji, devenue la première femme somalienne DJ travaillant sous le nom de scène, DJ Fawz.
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La nouvelle voie pour la musique des Somaliennes
Si l’on examine le paysage de la musique somalienne aujourd’hui, on constate immanquablement le rôle essentiel des femmes dans la refonte de la musique classique, le rejet des barrières sociales et la confrontation aux tabous culturels. Grâce à la présence de grandes communautés somaliennes dans la diaspora, où les jeunes talents féminins trouvent plus de liberté et d’occasions de suivre et de réaliser leur passion pour la musique, et où l’explosion des médias sociaux participe à amplifier la voix des femmes, on ne peut que s’attendre à voir cette tendance se poursuivre.
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En Somalie aujourd’hui, les musiciennes se battent contre la pression conservatrice et innovent pour elles-mêmes. Outre Sahra Halgan et sa maison de musique révolutionnaire Hiddo Dhawr à Hargeisa qui a reçu un bon accueil de la part de la jeunesse, une autre musicienne légendaire s’est lancée dans un projet ambitieux à Mogadiscio. Récemment, Muslimo Hilowle, l’une des premières Somaliennes à jouer des instruments de musique professionnellement, et émerger dans le milieu à Waaberi, a commencé à promouvoir la musique de filles d’un orphelinat du quartier de Boondheere.
Cet article a été rédigé pour Music In Africa. #AuxSons l’a traduit en français et partagé dans le cadre d’un partenariat média. Certains extraits ont été abréviés (…). Pour retrouver l’intégralité de l’article en anglais, rendez-vous sur le site de Music In Africa.