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Serge Gainsbourg et Les I Threes au Dynamic Sound Studios de Kingston Serge Gainsbourg et Les I Threes au Dynamic Sound Studios de Kingston - © D.R.

Chanson française et musiques du monde, petite promenade dans des influences communes (épisode 1)

De par leurs origines ou leurs goûts des voyages musicaux, nombreux sont les ténors de la chanson française qui se sont inspirés des vibrations sonores des continents extra occidentaux. Une promenade en deux parties. Cette semaine : des années 80 aux années 60.

En septembre 1986, la loi Pasqua, du nom du ministre de l’intérieur chiraquien, est adoptée. Elle limite le droit du sol jusqu’à lors en vigueur en France : un enfant né en France de parents étrangers ne devient plus automatiquement français à sa majorité. C’est un cadeau offert au Front National, hostile à l’immigration. Chanteur de la génération folk, Maxime Le Forestier riposte dans la foulée en écrivant, avec le musicien Jean-Pierre Sagard (né à Constantine en Algérie), un classique de la chanson française, Né quelque part. Le refrain est chanté en zoulou par une réfugiée politique sud-africaine, Aura (« Nomina wand’yes qwag iqwahasa »,  « Quand on a l’esprit violent, on l’a aussi confus »).

Maxime Leforestier - Né Quelque Part

 

La même année (1987), Carte de Séjour, un groupe né à Lyon dans la mouvance  de la Marche pour l’égalité et contre le racisme parti des Minguettes, détourne un incunable des années 1940, Douce France de Charles Trenet. Son chanteur, Rachid Taha, né à Sig en Algérie se définit ainsi : « Algérien pour toujours, et français tous les jours »

Carte de Séjour - Douce France

 

Ces années 1980 sont riches en apport des musiques extra-européennes, qui nourrissent un propos politique basé sur le métissage comme source d’enrichissement personnel et sociétal. Ce sont celles de l’émergence de la sono-mondiale, et de styles qui vont impacter durablement le paysage sonore français – reggae, musiques africaines, arabes, caribéennes…  En 1985, Jacques Higelin invite le Sénégalais Youssou N’Dour sur la scène du Zénith, Catherine Ringer et Fred Chichin fondent un groupe au nom hispanique, les Rita Mitsouko, et triomphent avec un rock latino, Marcia Baila

Jacques Higelin & Youssou N’Dour

 

Cette France bigarrée, et sa puissance musicale, ne date pas d’hier. Il y a eu évidemment la déferlante Enrico Macias, pied-noir et musicien arabo-andalou, arrivé en France à l’Indépendance de l’Algérie en 1962. Des pionniers ont déjà eu raison des schémas figés. Par exemple, Claude Nougaro, qui s’empare des chansons des Brésiliens Baden Powell (Bidonville, 1966) ou Chico Buarque (Tu verras, 1978), après avoir exploré très tôt des rythmiques africaines (l’Amour sorcier, 1966). 

Claude Nougaro - Bidonville

 

Mais également, Serge Gainsbourg, fils d’immigrés juifs russes, qui dès 1964, doute de l’avenir de la chanson dite « rive gauche » et décide donc d’aller voir du côté de l’Afrique et du Brésil…, avec un disque intitulé Gainsbourg Percussions 

C’est son collègue Guy Béart qui lui fait découvrir l’album Drums of Passion de Babatunde Olatunji, percussionniste nigérian installé à New York, grand ami de John Coltrane. Gainsbourg va en « adapter » - « pomper » serait plus adéquat - trois titres : Jing Go Lo ba (repris ensuite par Carlos Santana) qui devient MaraboutKiyakiya qui se transforme en Joanna et Akiwoko qui se mue en New York-USA. Umqokozo de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba va devenir Pauvre Lola, allié au rire espiègle de France Gall. Quant à Couleur café, à l’érotisme indéniable et à l’instrumentation audacieuse (Michel Portal au saxo), c’est aujourd’hui un classique « gainsbourien ». 

Serge Gainsbourg Aux armes et cætera

 

A sa sortie en novembre 1964, l’album ne rencontra qu’un écho confidentiel. Serge Gainsbourg ne réalisera des ventes exponentielles qu’à partir de l’album reggae Aux armes et cætera, paru en 1979, enregistré à Kingston avec Sly and Robbie et les choristes de Marley, the I Threes. La même année, un autre chanteur très français, Bernard Lavilliers, va explorer un véritable triangle d’or – Brésil, New-York, Jamaïque – pour bâtir O Gringo, album fondateur. 

Bernard Lavilliers - O Gringo

 

Au Brésil, Lavilliers a naguère voyagé avec un ami, Karl, le patron du Discophage, un cabaret de la rue des Ecoles, en bas de la Montagne Sainte-Geneviève, où le Stéphanois se produit dès 1971.  « On y buvait des caipirinhas, et tout le Brésil et affiliés passaient par là : Higelin, Nougaro, Barrouh, Sonia Braga, Françoise Hardy, les Etoiles, Geraldo Vandré, qui a eu des gros soucis avec la dictature militaire brésilienne, Vinicius de Moraes qui était consul en France…, raconte Bernard Lavilliers. Dans sa jeunesse, Karl avait acheté une plantation d’ananas dans l’Etat de Goias, entre le Mato Grosso et la future capitale Brasilia, un vrai Far-West. Ca n’avait pas marché. Rentré à Paris, il avait épousé Elizabeth, dont la famille avait été décimée par les Nazis et qui faisait du rock acrobatique à Saint Germain des Près, avant d’ouvrir le Discophage. » L’endroit devient bientôt plaque tournante de tous les Sud-américains exilés, comme l’avait été le Bal Nègre, club de jazz et cabaret dansant antillais, haut lieu de la biguine, créé en 1924, où se croiseront Joséphine BakerMaurice ChevalierMistinguett, et plus tard Juliette Greco, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. 

Pierre Vassiliu - Qui c’est celui-là ? (Partido Alto de Chico Buarque)

 

Si Henri Salvador a ouvert la voie en créant les balancement de Syracuse ou de Dans mon île (1957), le Brésil a le vent en poupe dans les années 1960 et 1970 : de Marcel Zanini et Brigitte Bardot, qui se disputent Tu veux ou tu veux pas (Nao vem que nao tem de Carlos Imperial), Bourvil, Jeanne Moreau, Nana Mouskouri, Joe Dassin, Isabelle Aubret, Françoise Hardy, Carlos… Même Jacqueline François y va de son interprétation de La Fille d’Ipanema. Il y aura beaucoup d’outrages et quelques francs succès, pour Michel Fugain (Fais comme l’oiseau / Voce Abusou d’Antonio Carlos Jobim et Jocafi) ou Pierre Vassiliu (Qui c’est celui-là ?/ Partido Alto de Chico Buarque). Passeurs des langueurs de la bossa, Pierre Barrouh, qui fonde le label Saravah et, avec Francis Lai, crée la bande originale d’un Un homme et une femme de Claude Lelouch (1966). 

Pierre Barrouh/ Francis Lai Un homme et une femme

 

 

À suivre l’épisode 2 : du Brésil de Georges Moustaki aux inspirations sans frontières de Charles Aznavour en passant par la tradition française de la Musette.

 

 

Véronique Mortaigne

Véronique Mortaigne
Véronique Mortaigne

Longtemps journaliste et critique au quotidien Le Monde, Véronique Mortaigne a exploré les cultures populaires et les phénomènes qui en découlent. Se promenant chez les rock stars, mais aussi sur les sentiers des musiques d’ailleurs et des arts premiers, elle est l’auteure d’une dizaine de livres, dont Cesaria Evora, la voix du Cap-Vert (Actes Sud),  Loin du Brésil, entretien avec Claude Lévy Strauss (éd. Chandeigne), Johnny Hallyday, le roi caché, ou encore Manu Chao, un nomade contemporain (éd. Don Quichotte), avant d’achever un livre sur le couple iconique Birkin-Gainsbourg, Jane & Serge (éd. Les Equateurs).

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