Parfois, au milieu de la nuit, il se rhabille et file tout droit vers son atelier, situé à deux rues de chez lui, à Paris. Sans oublier d’emporter son laissez-passer, l’obligatoire attestation de déplacement dérogatoire « pour exercice de l’activité professionnelle ». Musicien du Trio Joubran, fameuse fratrie de oudistes (joueurs de luth oriental) et compositeurs palestiniens, originaire de Nazareth, en Galilée, Wissam Joubran est également luthier, diplômé de l’institut supérieur Antonio Stradivari de Crémone (Italie).
Un deuxième métier, « une passion » qui l’occupe à plein temps en cette période de confinement et d’immobilité contrainte, assure-t-il quand nous le joignons par téléphone. Tous les concerts sont différés à une date ultérieure. Le trio aurait dû se produire notamment fin mars au Louvre d’Abou Dhabi, capitale des Emirats arabes unis, et devait jouer cet été au festival Les Nuits Atypiques, en Gironde, où Wissam et Samir – son aîné de dix ans, initiateur de cette aventure musicale familiale –, se sont produits ensemble, pour la première fois en France, en 2002. Adnan, le cadet, et troisième membre du trio, les a rejoints seulement deux années plus tard, à Paris.
Situé dans le 15e arrondissement, éclairé la journée par de larges vitrines donnant sur la rue, cet atelier, autrefois magasin d’antiquités, c’est son monde à lui, nous expliquait Wissam Joubran, le sourire enchanté, lorsque nous sommes allés lui rendre visite début mars. Un local de 43 m2, sans compter le sous-sol, en cours d’aménagement, où repose une collection de ouds, rangés dans leurs étuis. Certains, en attente de restauration. Des rescapés de la guerre en Syrie, récupérés avec l’aide d’un membre de l’International Oud Association, « avec laquelle nous allons bientôt proposer différentes activités, dont des cours pour adultes et des ateliers d’initiation à la lutherie pour enfants », explique le maître artisan et musicien.
« L’odeur du bois fait remonter des souvenirs du temps où je travaillais avec mon père, luthier à Nazareth »
« Lorsque nous ne sommes pas en tournée avec mes frères, Samir et Adnan, qui vivent l’un à Ramallah, en Palestine, l’autre à Londres, je reste ici parfois jusqu’à 4 heures du matin, raconte Wissam Joubran. Souvent je parle avec le bois, je l’écoute, c’est une matière vivante. J’aime le sentir. Son odeur fait remonter des souvenirs du temps où je travaillais avec mon père luthier, à Nazareth. »
Façonner un oud est un art minutieux, un travail absorbant. Il faut compter plusieurs centaines d’heures pour arriver au bout, finaliser la décoration, avec l’incrustation d’un mot symbole ou d’un texte dans la calligraphie des rosaces ornant les ouïes percées sur la table d’harmonie. Sans compter la phase nécessaire avant de toucher à la matière. « Quand quelqu’un me passe une commande, il y a d’abord un long moment de réflexion. Je dois passer du temps avec cette personne, comprendre le son qu’elle désire et connaître un peu sa vie, son intimité, pour personnaliser au mieux l’instrument », détaille le luthier.
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