Pop culture coréenne : pourquoi les médias s’y intéressent si peu

Par Pandou Media
Photo de Live Nation

La presse française a-t-elle une dent contre la pop culture coréenne ? Nous avons voulu comprendre pourquoi elle en parle si peu. 

« Les textes décervelés de la pop commerciale », « les feuilletons chastes aux sveltes stars androgynes », « les fidèles des artistes coréens sont souvent très jeunes, entre douze et dix-huit ans et à 95 % des filles », « l’hystérie K-pop ». Par ces termes, France Info, l’AFP, Le Parisien ou encore 20 minutes ont pointé du doigt plusieurs éléments de la culture coréenne en France et surtout leurs adeptes.

 

Concert complet de Blackpink au Zénith de Paris. 

 

Alors que les groupes de K-pop (pop coréenne) remplissent les plus grandes salles de France, à l’image de Blackpink ou de BTS réalisant un doublé complet
au Stade de France en 2019, les médias français restent perplexes face à ce succès. Quelques jours avant l’arrivée du boysband à Paris, Le Parisien décrivait « un groupe au nom imprononçable pour nous Français ». Peut-être trop proche du brevet de technicien supérieur, créé en 1962 ? Peu importe, cette musique pour « adolescentes hystériques » n’intéresse pas le gratin médiatique. Pourtant, les 80 000 places du Stade de France se sont vendues comme des petits pains, en quelques heures, comme les 90 000 places écoulées pour le show du même groupe au Stade de Wembley de Londres, en quatre-vingt-dix minutes seulement.

Car si BTS a longtemps été boudé médiatiquement, il a tracé sa route en Corée du Sud mais surtout à l’étranger. Aux États-Unis, l’album Love Yourself s’est ainsi placé à la première place du Billboard, faisant de BTS le premier groupe coréen à atteindre ce graal. En 2017, ce septuor est même plus cité que Donald Trump sur le réseau social Twitter. Il sera également invité à réaliser un discours à la tribune de l’ONU fin 2018, recevra une nomination aux Grammy Awards 2019 et interviendra dans les talkshows les plus courus d’Amérique.

 

« Vous vous lancez dans des reportages minables, à la qualité de contenu quasiment nulle, avec pour seul objectif de montrer au public l’image puérile et pathétique des fans hystériques de la K-pop »

 

 

Concert complet de Blackpink au Zénith de Paris. 

 

 

À quoi bon s’intéresser aux idols coréens ?
Ce mépris français a fait réagir Olivia Ezelin, rédactrice sur le site K-phenomen, consacré à la culture coréenne en France. « Vous, journalistes, vous employez à plusieurs reprises le terme hystérique. Vous savez pertinemment ce que désigne des personnes qualifiées d’hystériques », écrit-elle dans une tribune sur le site. « Vous parlez de K-pop en termes peu élogieux, vous dénigrez les artistes de K pop, vous insultez les fans de K-pop sans prendre le temps de réellement comprendre les raisons de cette passion. Vous vous lancez dans des reportages minables, à la qualité de contenu quasiment nulle avec pour seul objectif de montrer au public l’image puérile et pathétique des fans hystériques de la K-pop. »

 

Le Parisien décrivait BTS en octobre 2018 comme un boysband planétaire « sexuellement flou »

 

Quelques mois après, elle décrypte les raisons de cette condescendance. « Il existe deux phénomènes, explique-t- elle. D’abord un certain racisme envers les artistes, ensuite un réel sexisme envers les fans. » Pour elle, comme pour Elise Ducamp, autrice de Quelque chose de Corée (éditions Nanika), les groupes masculins de K-pop, parce qu’ils sont asiatiques et paraissent plus jeunes que leur âge selon la norme occidentale, représentent des « garçons, jamais des hommes ». Parce qu’ils se maquillent ou utilisent du vernis à ongles, ils ne correspondent pas au modèle dominant et sont vus comme inférieurs. Le Parisien décrivait d’ailleurs BTS en octobre 2018 comme un boysband planétaire « sexuellement flou ».

Léa Budois, ex-journaliste stagiaire au Figaro et amatrice de K-pop a dû attendre l’annonce du concert au Stade de France pour écrire un sujet sur le groupe. « Pour BTS c’était simple, il y avait le Stade de France comme argument », raconte-t-elle. Elle fait partie des rares journalistes à bien connaître le sujet et à écrire sans préjugés, comme à l’occasion d’un article sur la présence du septuor à l’ONU qui a permis de récolter deux millions de dollars (plus d’un million sept cent mille euros) pour l’Unicef. « Certains lecteurs m’ont remerciée d'avoir écrit un article factuel. Pourtant, c’est censé être la base de mon métier d’être factuelle », se souvient-elle. « Mon stage va bientôt se terminer et je ne sais pas si mes collègues vont poursuivre ce travail. Je ne suis pas sûre que cette ouverture existe dans tous les médias, car il y a une part de racisme, de misogynie, même de xénophobie, avec la peur des cultures et de ces codes qui viennent de l’étranger. »

 

BTS au Golden Disk Awards 2017 de Séoul.

 


L’exception française

La presse étrangère est bien plus sensible au succès de la K-pop. En octobre 2018, le très célèbre magazine Time lui accordait une couverture titrant : « Comment BTS s’empare du monde », présentant le groupe comme faisant partie de la prochaine génération de leaders, à l’image du footballeur MBappé en France. De l’autre côté de la Méditerranée, le Huffington Post Maghreb félicitait quant à lui le groupe B.I.G d’avoir chanté en arabe au début de l’année. Au Québec, Le Devoir se demandait au mois de mai 2019 si la K-pop était une « merveille musicale ou [un] courant socioculturel ».

« Je suis la presse étrangère et il y a eu des sujets intéressants, explique Léa Budois. Je ne comprends pas pourquoi nous n’en parlons pas plus en France, ça me dépasse... »

Les médias français seraient peut-être également plus frileux face à l’impossibilité de réaliser la moindre interview des groupes les plus connus, aux discours parfois trop lisses de certains, mais surtout aux origines des groupes. En effet, les articles hexagonaux sur la K-pop relatent presque systématiquement la construction des girlsbands et boysbands, sur castings, formés ensemble pendant des années avant d’atteindre une certaine perfection. Un processus auquel n’avaient pas échappés les Spice Girls ou le groupe Take That, côté européen.

Le drame du drama
Côté séries TV, les dramas coréens sont encore plus boudés. Vus comme des télénovelas à l’eau de rose, ces séries télévisées très hétérogènes sont quasiment inexistantes dans la presse française. Pourtant, le succès est au rendez-vous depuis des dizaines d’années, d’abord en Chine, puis aux États-Unis et en Europe.

En 2016, MyTF1, le service de vidéo à la demande du groupe TF1, achetait les droits de plusieurs séries pour les proposer à ses spectateurs. « Plusieurs centaines de milliers de vues » auraient ainsi été comptabilisées selon la chaîne. En 2016, l’équipe du drama The Package tourne à Honfleur, Deauville et Trouville pour une diffusion en 2017. L’évènement sera repris par quelques médias régionaux comme Ouest-France et La Manche Libre.

Netflix avait commencé les négociations afin d’acquérir les droits de dramas et les diffuse depuis 2018. Thrillers, enquêtes, science-fiction... une chose est sûre, le choix est large. La plupart de ces séries conduisent à une réflexion sur des thèmes importants en Corée du Sud, comme le harcèlement scolaire ou les maladies mentales.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 12, juillet-août 2019.


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