Le serveur s’approche du comptoir et commande quatre bières pour la table numéro cinq. Il s’en empare et se fraie un chemin à travers la foule venue faire la fête à la discothèque El Patrón. Il remet la commande à ses clients avant de répondre aussitôt à l’appel d’un autre groupe : “Deux seltzers et trois bières.” Le serveur retourne passer sa commande au bar et ainsi de suite… Il répète ce rituel environ cinq fois en moins de quinze minutes. L’horloge indique 21 h 30 et, à El Patrón, la fête commence à peine.

Dans l’établissement, situé dans le quartier de la Zona Rosa, à Managua, l’ambiance n’est pas différente de celle des six autres discothèques qui se trouvent sur la même avenue : néons, musique à plein régime et danseurs de tous âges qui boivent et se déhanchent dans des espaces restreints. Ici, on est loin de se douter que le Nicaragua souffre d’une crise sociale, politique et économique.

Autour des tables et sur la piste de danse, aucune mention du régime sandiniste ou des prisonniers politiques et aucun policier ou paramilitaire ne sont visibles. En revanche, on danse au rythme de Bad Bunny et de la musique électronique. On boit des bières, des classiques de la marque Toña ou des seltzers, une nouvelle boisson gazeuse alcoolisée. “C’est plein à craquer tous les week-ends, affirme Tadeo, le gérant d’une boîte de nuit assez réputée dans la capitale, qui a plus de quinze ans de métier. Ces lieux de divertissement ont toujours existé, les gens les connaissent et se les approprient.”

“Les gens ont besoin de déconnecter”

Tadeo n’ignore pas la réalité du pays. Il est conscient de la forte vague d’émigration des Nicaraguayens et de la répression que la dictature sandiniste exerce contre les voix dissidentes. Pour lui, faire la fête ne veut pas dire être irrespectueux ou indifférent à la situation. Au contraire, il s’agit d’une “thérapie” pour ceux qui sont restés au pays :

“Les gens ont besoin de sortir, de déconnecter et de s’amuser.”

Managua compte plusieurs lieux de divertissement. Les plus populaires se trouvent dans la Zona Rosa, qui regroupe environ treize établissements qui restent ouverts tous les week-ends, de 18 heures à 5 heures du matin. Selon Tadeo, le succès de chaque lieu dépend du DJ, du prix de la nourriture et des boissons, mais aussi de la vibe. El Patrón est l’une des discothèques les plus fréquentées ce soir-là. Ce qui séduit, c’est le jeu de lumière à l’entrée du club, et, plus encore, la cage en métal visible depuis la rue. Une jeune fille portant des vêtements courts fluorescents danse derrière les grilles et attire l’œil des passants. De nombreuses personnes cherchent une table, mais l’endroit est bondé. À l’intérieur, la musique résonne dans toutes les enceintes. Un groupe d’adolescents se partagent une bouteille de tequila à coups de shots. Ici, discuter est une mission impossible si l’on n’est pas prêt à crier à s’en casser la voix.

Dans les clubs comme le Pipa’s, l’El Gara et l’Embassy, la musique est aussi à fond même s’ils sont loin d’être pleins. Au Ron Kon Rolas, l’ambiance est quelque peu différente : le rock est diffusé à un volume qui permet aux gens de se parler plus facilement entre deux bières. Jusqu’à il y a quelques mois, on organisait des concerts de rock dans les discothèques. Des groupes locaux jouaient entre autres des morceaux de protestation contre le régime sandiniste. Cette pratique a pris fin en avril 2022, quand la dictature a lancé une rafle contre les musiciens et que nombre d’entre eux ont dû s’exiler.

En attendant