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Malan Mané : le retour d’un héros du Super Mama Djombo
© Oléo films

Malan Mané : le retour d’un héros du Super Mama Djombo

Après 40 ans de silence, l'une des grandes voix du mythique orchestre Super Mama Djombo revient sur le devant de la scène avec un album personnel, Fidju di lion. Qu'était-il devenu pendant toutes ces années ? Il était à Paris, et attendait son heure.

Malan Mané : longtemps ce nom n’a été connu que dans son pays, la Guinée-Bissau, par une génération qui avait vécu la lutte de libération, touché l’esprit d’Amilcar Cabral qui en fut le souffle et la pensée, puis connu l’indépendance, ses rêves… et ses désillusions. Une poignée d’aficionados, aussi, qui avaient entendu ce nom associé à un morceau resté dans l’histoire : « Sol Maior Para Comandante », fantastique chanson de geste qui raconte l’arrivée du cortège funèbre de Cabral, et retrace sa vie comme son héritage. Un monument inspiré de « Regard sur le passé » du Bembeya Jazz (en hommage à Samory Touré), et un hymne si puissant qu’il aura résonné en Guinée-Bissau à chaque évènement important – à commencer par les coups d’état qui furent nombreux dans ce pays où les querelles intestines au sein de l’armée bouleversèrent régulièrement la vie politique.

Malan Mané : depuis plusieurs décennies il avait disparu des radars, parti en exil, comme d’autres membres du Super Mama Djombo, quand les vents politiques avaient viré amers et que, d’orchestre préféré du président Luis Cabral (le demi-frère d’Amilcar), ils étaient devenus tricards. Malan lui s’est arrêté à Paris en 1990, survivant de petits boulots, logeant dans les foyers de travailleurs. Au pays, la plupart de ceux qui dans les meetings entonnaient « Sol Maior » pensaient que celui qui la chantait était mort, accroché au tableau de photos sépias des bouquins d’histoire.

Un peu plus de trente ans après l’enregistrement de cette chanson, un jeune écrivain français, qui dirige alors l’alliance française de Ziguinchor au Sud du Sénégal – à moins de 20 km de la frontière bissau-guinéenne, découvre le Super Mama Djombo. Ou plutôt rencontre l’un de ses anciens guitaristes, Serifo Banora, qui lui raconte les grandes années de l’orchestre, quand les nuits de Bissau vibraient au son de ce band forgé à l’esprit de la guerre d’indépendance, prêt à chanter la liberté et l’esprit d’une lutte de libération qui avait suscité l’admiration du monde entier. C’est Adriano Achuchi, de retour de la guerre du Mozambique, qui allait donner à l’orchestre sa discipline, son exigence musicale, et son épaisseur politique. Le nom même de l’orchestre était tout un programme : Mama Djombo, du nom d’un puissant fétiche, caché dans les forêts qui bordent le fleuve Cacheu, que les Portugais n’arriveront jamais à pénétrer. La suite est une glorieuse histoire musicale, portée par un groupe qui fera le tour du monde, se produisant notamment au festival mondial de la jeunesse de Cuba en 1978 (un concert gravé sur disque). Et puis, en 1979, un mois d’enregistrement à Lisbonne, au studio Valentim de Carvalho, où l’orchestre immortalise pas loin de 70 chansons, qui fourniront la matière des LPs à paraître. Tous d’ailleurs, nous a un jour confié le chef d’orchestre, n’ont pas encore été publiés. Parmi ceux qui ont connu les joies des vinyles et des ondes, bien sûr, « Sol Maior Para Comandante », chanté par Malan Mané. 

Sylvain Prudhomme, guidé par son ami Serifo Banora, allait donc chercher le chanteur de Sol Maior, au même titre que les anciens membres du groupe restés à Bissau, et décider de raconter leurs destins dans un magnifique roman : Les Grands (éditions l’Arbalète). Oui, car même retombés dans l’oubli, vivant pour certains dans la débrouille, les membres de cette aventure héroïque demeurent des monuments. A Paris, il retrouve donc Malan Mané, qui lui parle de ces dizaines de chansons qu’il a écrites, sans jamais renouer avec la scène ni les studios. Le rêve d’un disque. Pour pouvoir rentrer au pays comme il en était parti ?

C’est ainsi que germe l’idée de cet album Fidju di Lion (fils de lion), accouché après plusieurs années de gestation et d’incertitudes. Il a été enregistré en 2022 à Lisbonne, au studio Valentim de Carvalho, là même où le Super Mama Djombo avait enregistré 43 ans plus tôt. Avec en prime, deux des vétérans de l’orchestre originel : Adriano Fonseca « Tundu » le guitariste de légende, et Armando Vaz Pereira le percussionniste, auxquels se sont ajoutés Sadjo Cassama – fidèle compagnon à la guitare rythmique, et leurs cadets Tony Pereira à la batterie et Samba Emballo à la basse. Et pour les accompagner, Fabien Girard – l’un des musiciens d’Arat Kilo – à la réalisation.

© Oléo films

Malan, dont la voix est restée jeune, y raconte les fruits et les enseignements de ces décennies de silence et d’exil. « Tubabudu sio » en est un bel exemple, puisqu’il y raconte – sur une dangereuse rythmique manigancée par les deux guitares – l’effritement des solidarités au pays des blancs.

Vivre au pays des blancs
Ça te fait perdre la tête (…)
En Europe, j’en vois qui n’aident plus leurs proches
J’en vois qui disent : « c’est comme ça en Europe »
Ils te regardent et ils te disent : « Nous on se démerde , alors démerde toi »

Et puis il y a « Recado » (message), sans doute la plus belle chanson du disque, une ballade nostalgique cousue avec amour et amertume. L’amertume, c’est celle de voir comment le pays – et surtout ses dirigeants issus de l’armée de libération, ont trahi les idéaux du pays. Le titre s’ouvre sur une introduction typique de celles du Mama Djombo d’antan, et déploie son blues qui colle à l’âme tandis que les mots de Malan évoquent Pidjiguiti, du nom du port de la capitale où une grève des dockers fut matée en 1959 par l’armée coloniale portugaise. Un détonateur de la lutte de libération.

Oh notre Guinée, j’ai mal
Quand Pidjiguiti a appelé au secours
La lutte de libération a commencé pour défendre la Guinée
Aujourd’hui qu’allons nous raconter à Pidjiguiti,
Si les armes de la libération tuent les enfants qu’elles ont libérés ?
Je vous le demande pères et mères
Que reste-t-il de la lutte ?

Au fond, à mesure que défilent les morceaux, leurs orchestrations justement troussées (avec parfois, aux chœurs, la voix de Mamani Keita), on retrouve certes une part de l’héritage du Mama Djombo, mais surtout, tout ce que disaient les silences de Malan, resté fidèle à lui-même et à l’esprit des années Cabral, du Commandant Cabral. Une sorte de droiture et de dignité, un orgueil indomptable, même après tout ce temps, même après les déceptions rencontrées. Une leçon de patience, d’espoir, qui coule au fil du disque comme les notes distillées par Tundu – moins speed qu’autrefois, mais toujours juste, lui aussi. Quant à Malan, il est finalement retourné quelques jours en Guinée-Bissau en 2019, invité par le candidat du PAIGC (le parti de l’indépendance, ancien parti unique) pour le dernier meeting de sa campagne présidentielle.


A l’aéroport, personne pour l’attendre si ce n’est son vieux copain Ze Manel, batteur historique du Super Mama Djombo. Mais au soir de son arrivée, devant des milliers de personnes, le leader politique l’invite sur scène à chanter Sol Maior. La scène, on ne peut plus émouvante, figure dans le très bon film Tout Puissant Mama Djombo (trailer ici), réalisé par Sylvain Prudhomme et Philipe Béziat, et produit par Samuel Thiebault (Oléo Films), qui a aussi accueilli le disque de Malan sur son label Archie Ball. Il raconte l’aventure de Malan, le retour du héros oublié, sur sa terre natale, et son voyage dans la région de Cobiana, à la recherche d’une bénédiction de l’esprit du Mama Djombo qui y règne. Et si l’on ne verra jamais l’invisible esprit caché dans la brousse, au stade de Bissau, c’est bien une marée humaine, faite de milliers d’yeux et de bouches bien visibles, qui reprend avec Malan les paroles de « Sol Maior Para Comandante ».

Non, Malan n’est pas mort. Il est toujours un fils de lion.

Tout Puissant Mama Djombo, un film de Sylvain Prudhomme et Philippe Béziat, a été diffusé sur la chaîne Arte le 2 juillet 2023, il est désormais disponible en replay ici.

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