Les musiciens et la retraite, comment ça marche ?

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Les musiciens et la retraite, comment ça marche ?

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La retraite des musiciens intermittents possède quelques spécificités
La retraite des musiciens intermittents possède quelques spécificités
© Getty - Debrocke/ClassicStock

La réforme de la retraite souhaitée par le gouvernement fait beaucoup parler d'elle et devrait continuer à mobiliser ses opposants dans les semaines à venir. L'occasion de se pencher de plus près sur le fonctionnement de la retraite chez les musiciens professionnels.

C'est parce qu'elle concerne tout le monde que la réforme des retraites fait autant couler d'encre. Le gouvernement en a fait l'une de ses priorités cette année. Le but : simplifier et harmoniser un système complexe, résultat de 70 années d'empilement de réglementations. Le projet de loi doit être soumis au vote du Parlement à l'été 2020. L'occasion de dresser un état des lieux de la retraite chez les musiciens professionnels. Disposent-ils d'un régime spécial ? Sont-ils avantagés ou au contraire pénalisés ? 

Tout d'abord il convient de distinguer deux grandes familles de musiciens professionnels. D'un côté, les permanents, ceux qui sont en CDI dans des ensembles, comme les orchestres nationaux, de Lille, Toulouse, ou encore de Lyon. On estime leur nombre entre 2 500 et 3 000 en France. Comme n'importe quel salarié du public ou du privé, leur retraite dépend du régime général. 

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De l'autre côté, il y a les musiciens intermittents. Un peu plus de 40 000 musiciens gagneraient ainsi leur vie en bénéficiant de ce régime qui permet d'alterner phases de travail (cachets) et phases de chômage indemnisé. Eux ont quelques spécificités en termes de retraite. Comme tous les travailleurs, ils bénéficient de la règle commune actuellement en vigueur, c'est-à-dire la combinaison de la retraite de base qui est gérée par le régime général de la sécurité sociale, et de la retraite complémentaire gérée par l'Agirc-Arrco pour les salariés du privé, et par de nombreux autres organismes en fonction du type d'employeur. Ce qu'on appelle les régimes spéciaux.

Première spécificité bénéfique concernant les intermittents : les périodes de chômage indemnisé sont considérées comme des périodes de travail et donc prises en compte dans le calcul de la retraite de base. Donc un musicien intermittent qui travaille régulièrement et qui est indemnisé tout au long de sa carrière aura sans problème cotisé le nombre nécessaire de trimestres pour toucher une retraite à taux plein. 

Mais cette spécificité est à nuancer, puisque si les périodes de chômage sont prises en compte dans le calcul des trimestres, elles ne sont pas comptabilisées comme étant du salaire. Par définition, un intermittent connaîtra de nombreuses périodes de chômage : une part importante de ce qu’il gagne provient donc des indemnisations. Et puisque le montant de l’allocation retraite se fait à partir de la moyenne des salaires perçus pendant les 25 meilleures années de la carrière professionnelle, le système est plutôt pénalisant pour les musiciens intermittents. 

Aux alentours de 500€ par mois de retraite

Le calcul de la retraite de base se fait à partir d'une moyenne du salaire des 25 meilleures années, qui est ensuite divisée par deux. Ce calcul est soumis à un plafond de 3 377€ par mois, ce qui signifie que l'allocation de base est au maximum de 1 688€ par mois. « Rares sont les intermittents qui gagnent autant par mois, explique Philippe Gauthier, secrétaire général du Snam Cgt, syndicat qui représente les musiciens professionnels. La retraite de base se situe plutôt aux alentours de 500 euros par mois ».

Autre spécificité, les intermittents peuvent bénéficier d'un abattement de leur cotisation pour la retraite. De l'ordre de 25% pour les chanteurs d'opéra ou les danseurs, et de 20% pour les musiciens, choristes ou chefs d'orchestre, le tout dans une limite de 7 600€ par année et par salarié. Un abattement qui correspond aux frais professionnels, considérés comme élevés pour ces professions. Si sur le court terme, l'artiste est gagnant puisque son salaire net sera plus important, il est désavantagé sur le long terme puisqu'il cotise plus lentement pour ses droits à la retraite. 

Avec cet abattement, on estime qu'entre 75 et 80% des cachets sont pris en compte dans le calcul des droits. Un manque à gagner qui influence fatalement le montant de l'allocation retraite. Idem dans le calcul de la retraite complémentaire où cet abattement diminue la part de la cotisation et donc du nombre de points générés. Généralement, l'artiste a le choix d'appliquer ou non cet abattement même s'il est parfois inclus d'office dans la convention collective. 

Heureusement, pour ce qui est du calcul de la retraite complémentaire, le système est cette fois bénéfique aux intermittents puisque les périodes de chômage indemnisé sont prises en compte dans le calcul des points. 

Le casse-tête du déclenchement de la retraite

Quand arrive l'âge de la retraite, la principale difficulté des artistes intermittents est de réussir à rassembler la quantité faramineuse des contrats signés tout au long de leur carrière. Chez Audiens, l'organisme qui dépend de l'Agirc-Arrco, et qui gère les retraites complémentaires des intermittents, il n'est pas rare de voir arriver des personnes avec une grosse valise remplie à ras-bord de documents qui ne demandent qu'à être triés. 

Dépendant de nombreux employeurs différents, et parfois d'autant de caisses de retraite, il faut donc faire le tri tout en tenant compte du mille-feuilles des réglementations. Les artistes musiciens ont rarement une carrière rectiligne, nombreux sont ceux à avoir enseigné en plus de leur activité de concertiste et les oublis de documents, voire de déclaration du côté des employeurs, sont fréquents. « Il y a notamment le cas assez fréquent de petits festivals qui mettent la clé sous la porte après deux ou trois éditions, explique Benoît Perenchio, directeur de la gestion des particuliers chez Audiens. Généralement, ils ont payé et déclaré les artistes mais n'ont pas payé les cotisations. Si l'artiste a conservé son bulletin de salaire, alors Audiens assumera les droits mais s'il n'y a aucune preuve, ça peut devenir compliqué ».

Benoît Perenchio insiste donc sur la nécessité de conserver tous les documents liés à sa carrière professionnelles. Certains artistes vont même jusqu'à présenter une affiche de concert avec leur nom dessus pour tenter de prouver qu'ils ont bien joué dans tel lieu et à telle date. Cette période de constitution de dossier pour déclencher ses droits à la retraite peut se transformer en véritable casse-tête. 

« Je ne suis pas très papiers », avoue Pascal Gourgand. Ce baryton-basse de 61 ans, intermittent sans discontinuité depuis 30 ans, devrait prendre sa retraite dans les deux années à venir.  « Dans deux ans, Pôle Emploi va me dire, c'est fini, vous ne toucherez plus vos allocations chômage. Je serai mis d'office à la retraite. Mais cela ne m'empêchera pas de continuer à travailler, tant que ma voix est encore là. Je sais que cela impliquera forcément une baisse de mon pouvoir d'achat mais j'avoue n'avoir encore rien calculé » poursuite le chanteur qui collabore régulièrement avec l'Ensemble Aedes, chœur dirigé par Mathieu Romano.

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Enfin, il est encore trop tôt pour savoir ce que contiendra la réforme de la retraite voulue par le gouvernement. Il est question de supprimer tous les régimes spéciaux, pour mettre tout le monde à égalité. C'est le cas des personnels de l'Opéra national de Paris, qui bénéficient de leur propre caisse de retraite. Une spécificité qui concerne notamment les danseurs du ballet qui sont mis à la retraite à 42 ans, pour des raisons évidentes de condition physique. 

Pour l'instant, on ignore ce qu'il est prévu pour ce cas de figure. L'autre inquiétude, c'est la volonté de passer à un système de calcul des retraites par point, et d'abandonner la moyenne des 25 meilleures années. Un changement qui pourrait être pénalisant pour les intermittents puisque l'intégralité des salaires de la carrière seraient pris en compte. Bien souvent, les premières années professionnelles des artistes ne sont pas très rémunératrices, ce qui signifierait certainement une baisse de l'allocation retraite. 

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