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Musique

Les chants du courage

Selon le guitariste de jazz new-yorkais Marc Ribot, les mouvements sociaux n’aboutissent que lorsque des musiques les soutiennent. La comparaison entre l’impact de Black Lives Matter (« Les vies des Noirs comptent »), dont les partisans chantent Alright, de Kendrick Lamar, et celui d’Occupy Wall Street, que n’a marqué aucune chanson particulière, en apporterait la confirmation (1).

Ce n’est pas vraiment une analyse scientifique, mais il est certain qu’une bande-son est associée à nombre de soulèvements. Au Chili, la foule immense de cet automne chante El derecho de vivir en paz Le droit de vivre en paix »), de Victor Jara, assassiné par la junte en 1973, que prolongent des vidéos devenues virales. El derecho de vivir en paz a de nouveau été enregistrée par une trentaine d’artistes chiliens en octobre 2019, pour en moderniser la forme et en adapter le texte. À Santiago, les manifestants ont aussi entonné El baile de los que sobran La danse des laissés-pour-compte »), un tube de 1986 du groupe de rock Los Prisioneros, qui, en pleine dictature d’Augusto Pinochet, dénonçait les inégalités sociales. Plus actuel, Cacerolazo, référence aux concerts de casseroles déclenchés par l’augmentation des tarifs du métro, de la rappeuse franco-chilienne Ana Tijoux, est également devenu un hymne. Chanson, rock ou rap : à une époque où la fragmentation des goûts et la dématérialisation des supports ne favorisent pas les refrains fédérateurs, les mouvements sociaux semblent presque les dernières occasions de chanter en chœur.

Objets de nombreux essais (2), les protest songs ont suscité récemment un regain d’intérêt. À la suite de l’élection de M. Donald Trump, Ribot a consacré un album aux chants de résistance (3), qui puise dans un corpus historique auquel sont par ailleurs consacrées deux précieuses compilations, en France et aux États-Unis (4). Cette tradition aujourd’hui se réinvente.

Le 7 novembre 2010, pour le 23e anniversaire du « coup d’État médical » de Zine El-Abidine Ben Ali contre Habib Bourguiba, le rappeur El General écrivit Raïs Lebled Le chef du pays »), un brûlot contre le président tunisien. Il fut tout de suite repris dans les manifestations suscitées, le 17 décembre, par l’immolation de Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de Sidi Bouzid. En 2019, Liberté, du rappeur Soolking, fut entonné par les manifestants en Algérie (5), tandis que le Libanais Mahdi K est surnommé le « DJ de la révolution » depuis qu’il mixe des chants révolutionnaires avec des beats électroniques lors des défilés à Tripoli. En Catalogne, la plate-forme séparatiste Tsunami Democràtic a impulsé l’écriture de La força de la gent La force du peuple »), que chantent une vingtaine d’artistes célèbres…

Jadis, Joan Baez ou Bob Dylan, entre autres, symbolisèrent l’opposition à la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, on retrouve à nouveau des « gros vendeurs » qui appuient la contestation, en personne ou en chanson. Les pop stars portoricaines, Ricky Martin en première ligne, ainsi que Residente et Bad Bunny, ont rejoint le mouvement qui a obtenu la démission du gouverneur Ricardo Rosselló en août 2019. C’est aussi une vedette, Denise Ho (censurée en Chine continentale), qui est l’une des porte-voix des opposants de Hongkong, également galvanisés par l’épique Glory to Hongkong, du Black Blorchestra, dont les musiciens arborent des masques à gaz.

Mais il y a des contre-exemples. Ainsi, en France, malgré l’omniprésence du chanteur Francis Lalanne et les références faites au mouvement dans les raps de D1ST1, Kopp Johnson ou D.Ace, les « gilets jaunes » n’ont pas adopté d’hymne…

Éric Delhaye

(1Entretien avec l’auteur, janvier 2019.

(2Cf. notamment Stan Cuesta, Sous les pavés, les chansons. Anthologie des airs rebelles, Glénat, Paris, 2018, 176 pages, 35 euros ; Dorian Lynskey, 33 Revolutions per Minute : A History of Protest Songs, From Billie Holiday to Green Day, Ecco, New York, 2011.

(3Marc Ribot, Songs of Resistance, 1942-2018, Anti, Los Angeles, 2018, CD : 14,94 euros, MP3 : 9,99 euros, vinyle : 23,36 euros.

(4Par les damné.e.s de la terre. Des voix de lutte, 1969-1988, anthologie élaborée par Rocé, Hors Cadres, 2018, CD : 20 euros, numérique : 15 euros, vinyle : 30 euros ; The Social Power of Music, Smithsonian Folkways Recordings, 2019, 4 CD et livret : 56 euros.

(5Soolking, Fruit du démon, Capitol Music, 2018, CD : 9,99 euros.

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