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Les Amazones d’Afrique, une même voix pour dénoncer l’excision et toutes les violences faites aux femmes

Infatigable, le collectif de divas d’Afrique de l’Ouest sillonne la France tout en préparant leur prochain album.

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Publié le 23 mars 2023 à 19h30, modifié le 24 mars 2023 à 11h29

Temps de Lecture 5 min.

Quatre des Amazones d’Afrique : en rouge Dobet Gnahore, en violet Mamani Keïta, en bleu Fafa Ruffino et en rose Kandy Guira.

Sur scène, la première impression qui émane des Amazones d’Afrique est leur incroyable liberté. Fafa Ruffino, solaire dans sa robe jaune d’or, arbore un collier de perles masaï et une coiffure tressée peule. Kandy Guira, coupe à la garçonne et à l’allure un peu dégingandée, arpente la scène avec son mètre quatre-vingts, en bottes noires et tailleur short zébré cousu dans un tissu burkinabé. Au centre, la somptueuse Mamani Keïta, la « maman » du groupe de chanteuses, se tient droite dans une robe colorée à volants. Sa voix exceptionnelle s’élève, charriant une flopée d’émotions. Le public du Théâtre des Louvrais, venu en nombre le 10 mars à Pontoise (Val-d’Oise), se met à danser.

Elles chantent et se répondent en yoruba, en bambara, en moré… Chaque voix porte une histoire. Chaque timbre est unique. Elles déploient déjà depuis un bon moment leur énergie quand un gémissement s’élance, poussé par Fafa Ruffino. Il faudra attendre la fin de la chanson pour que la chanteuse béninoise explique : « Il s’agit du cri de douleur poussé durant une excision. » La douceur de la mélopée et des sonorités yoruba tentent d’apaiser la dure réalité des paroles :

« J’ai mal, très mal (…)

Je ne vais pas me taire face à tout ceci

Regardez comme cette petite fille souffre

Elle a mal dans son corps

Arrêtez tout ceci, trop c’est trop »

La salle applaudit. Les Amazones d’Afrique, élégantes et généreuses, invitent femmes et hommes à monter sur scène pour danser. La musique, subtil mélange de blues, de sonorités funk, électro et mandingues envahit l’espace et les corps. La joie emporte dans un tourbillon les souffrances et les émotions contenues.

« Mamans impuissantes »

« “Fight”, cette chanson, personne n’en voulait », raconte Fafa Ruffino, 45 ans, qui aime descendre de scène à l’issue des concerts rencontrer le public. Elle se plie au jeu des photos tout en martelant ses messages dans un grand sourire : « Je dénonce les exciseuses, je les engueule, je leur dis dans la chanson : “Vous croyez que cela vous valorise ?” » Elle continue doucement : « En général, ce sont les tantes, les grands-mères, qui sont complices et qui organisent l’excision, à l’insu des mamans, impuissantes. »

Comment chanter l’indicible ? Comment sensibiliser aux violences faites aux femmes et adresser des messages sans pour autant verser dans l’agressivité, la complainte ou la victimisation ? C’est le pari relevé par les Amazones depuis leurs débuts. Leurs voix célèbrent avant tout l’amour et la nécessaire solidarité entre femmes, la sororité. Elles les exhortent à briser le silence, à dénoncer les violences, les mariages forcés, les harcèlements, les viols, à devenir actrices de leur propre vie.

L’aventure naît en 2014 à Bamako. La productrice Valérie Malot peine à enregistrer le nouvel album des Ambassadeurs, « un groupe de messieurs » autour de Salif Keïta. Les heures s’égrènent et elle finit par passer beaucoup de temps avec la diva malienne Oumou Sangaré. « Oumou avait une force héritée de sa mère qui avait osé dire non à une deuxième épouse et était venue avec ses six enfants vendre des beignets à Bamako », raconte Valérie Malot. Les discussions tournent autour de la condition des femmes et l’idée d’un collectif de musiciennes et de chanteuses germe.

Les grandes voix maliennes Oumou Sangaré, Mariam Doumbia et Mamani Keïta, mais aussi la Béninoise Angélique Kidjo sont galvanisées par le défi. L’aventure est lancée : les Amazones d’Afrique mettront leur voix au service d’une cause, celle de la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Leur nom est un clin d’œil aux Amazones du Dahomey, régiment militaire né au XVIIe siècle dans ce qui est aujourd’hui le Bénin.

« Traitée comme une esclave »

Neuf années après le début du projet, Mamani Keïta, 56 ans, celle que toutes les autres appellent « maman », est toujours là. Rencontrée dans son petit appartement d’un quartier populaire de la capitale malienne, toute de noir vêtue mais traversée de grands éclats de rire, elle se souvient : « Quand l’idée est née, je n’ai pas hésité. En Afrique, la jeune fille grandit avec l’idée qu’elle est programmée pour tenir son foyer, faire le ménage et des enfants. La femme est trop souvent traitée comme une esclave. » Elle évoque sa trajectoire de femme libre, depuis Bamako à Paris, où elle a suivi en tant que choriste, à l’âge de 20 ans, le musicien Salif Keïta.

Se remémorant son enfance, sa voix se fait plus grave et elle évoque l’excision subie alors qu’elle est une toute petite fille. Elle se souvient de la douleur, enkystée dans son cerveau. « Je ne peux pas l’effacer », murmure-t-elle dans un souffle. Après un long silence, elle reprend des couleurs et raconte comment sa voix l’a sauvée. Elle qui n’a pas été à l’école « hérite » de celle de sa grand-mère, habitée par les djinns. « Dès qu’elle chantait, les gens possédés et tombés à terre, se réveillaient. »

A cette seule évocation, Mamani Keïta s’illumine et frissonne. Enfoncée dans son canapé, elle déroule ses souvenirs. La petite accompagne sa grand-mère mais n’a pas le droit de chanter. « Je suis née noble, Keïta. Il n’y avait pas de griotte dans la famille », explique-t-elle. Il lui faut attendre le décès de sa mère, quand elle a tout juste 10 ans, pour commencer à chanter dans les rues de Bamako.

La lutte contre l’excision, cette blessure encore subie par une très grande partie des femmes en Afrique est le ferment de la révolte des Amazones d’Afrique, celle qui entraîne toutes les autres dénonciations. Le premier single « I play the kora » est un succès, les bénéfices sont reversés à la Fondation Panzi du docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, qui répare les femmes mutilées par une excision, un viol, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

« Guerrières »

Le collectif est mouvant. Kandia Kouyaté et Rokia Koné rejoignent l’aventure. En 2017, le nouvel album Amazon Power réunit 17 voix féminines. Certaines chanteuses partent, se consacrent à leur carrière en solo, d’autres vont et viennent, des nouvelles les rejoignent. Sur scène, la configuration est elle aussi variable. Fafa Ruffino est la dernière à avoir rejoint les Amazones en 2019. Elle qui a commencé dans les cabarets de Cotonou partage aujourd’hui sa vie entre le Togo, la France, le Ghana, le Bénin. Elle parle sept langues.

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« Quand on m’a proposé de rejoindre les Amazones, cela a été tout de suite une évidence. Je viens d’une famille de guerrières. Chez nous, les personnes fortes, ce sont les femmes », s’enorgueillit-elle. Adolescente, elle a consacré toutes ses vacances d’été à sillonner le Bénin pour sensibiliser les femmes aux dangers de l’excision.

Les Amazones aiment à penser que leurs chansons, téléchargées et diffusées sur les radios en Afrique, aident à faire bouger les mentalités. Kandy Guira, la benjamine de 38 ans, est originaire du Burkina Faso. Surnommée « Ninja » quand elle était enfant, tant elle était redoutée pour sa témérité et son agilité à donner des coups en cas d’injustice, se veut optimiste : « Ce sont les femmes qui exécutent les coutumes, mais c’est la femme qui est le remède pour la femme. » Elle en est l’illustration vivante, elle qui a subi la mutilation, mais a réussi à l’empêcher pour ses petites sœurs.

Les pays scandinaves et l’Angleterre raffolent de ces voix chaudes et singulières. Et la France aussi, où l’on pourra aller les écouter en mai à Lons et en juillet à Sète. Entre deux concerts, les Amazones d’Afrique travaillent à leur prochain album, « encore plus spirituel », qui sortira en février 2024. Cette fois, sur scène, les paroles seront traduites en français et en anglais.

Les Amazones d’Afrique, en concert à Lons (Pyrénées-Atlantiques) le 26 mai 2023, à Essaouira (Maroc) en juin 2023 et à Sète (Hérault) le 31 juillet 2023.

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