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Uwaridi Band. Photo: Judit Pla -

Zanzibar : des musiciennes prêtes à briser les barrières

Alors que la profession musicale à Zanzibar penche en faveur des hommes, de plus en plus de femmes brisent les barrières et injectent leur talent dans les sonorités émanant de l’archipel de l’océan Indien.

 

L’une des premières musiciennes à s’être affranchie des contraintes imposées aux femmes dans la musique zanzibarienne est la regrettée Siti binti Saad (1880-1950). Cette dernière a établi la musique taarab comme un art de la scène et une voix pour les femmes en Afrique de l’Est. Avant elle, le genre était réservé aux hommes instruits et interprété en arabe - la langue de la petite élite de Zanzibar. Siti binti Saad, qui n’a reçu aucun enseignement formel, a été la première chanteuse connue du genre à populariser le taarab en chantant en swahili. Elle est ensuite devenue la première femme d’Afrique de l’Est à commercialiser de la musique quand la Gramophone Company du Royaume-Uni l’a emmenée enregistrer à Bombay en Inde.

 

 

La chanteuse Bi Kidude (1910s-2013) qui lui a succédé est également devenue une star de la musique taarab et la « reine de la musique unyago ». Inspirant de nombreuses artistes, ces deux chanteuses ont ouvert la voie aux musiciennes de taarab modernes. L’une d’entre elles est Siti Amina, la chanteuse principale et fondatrice du Siti & the Band - un ensemble contemporain de jeunes musiciens fusionnant le taarab traditionnel et des influences de l’occident et de l’océan Indien. Utilisant sa musique pour attirer l’attention sur les droits des femmes, Amina est devenue un exemple pour les artistes féminines qui souhaitent faire carrière dans la musique.

 

 

Aujourd’hui, il est plus facile qu’avant de trouver des groupes exclusivement composés de femmes à Zanzibar, comme le Uwaridi Band dirigé par Rahmah Ameyr. Crée l’année dernière, le groupe composé de 11 musiciennes se réunit chaque semaine pour répéter à l’école de musique Dhow Countries Music Academy de Stone Town, où la plupart d’entre elles ont étudié la musique. Elles jouent un éventail d’instruments traditionnellement associés aux hommes, comme l’accordéon, le tabla, le cajón, le ngoma, le zeze, le rimba, le sanduku, le vidumbaki et le rika. Outre le taarab, le groupe explore d’autres styles tels que l’afrofusion, le muziki wa dansi et le kidumbaki.

Par le simple fait de faire partie de ce groupe, ces femmes contestent les normes sociales profondément ancrées à Zanzibar et, à travers leurs textes, elles abordent des sujets tels que l’émancipation des femmes et leurs réalités quotidiennes.

 

 

 

Ameyr, musulmane pratiquante, estime qu’il n’y a pas de consensus sur les raisons pour lesquelles il y a si peu de femmes dans la musique zanzibarienne, mais ce qui est évident, c’est que les femmes sont toujours confrontées à de nombreux défis concernant leurs rôles dans la société : épouse, femme au foyer et mère, tandis que les hommes assument le rôle de soutien de la famille. Elle affirme néanmoins que les rôles évoluent progressivement car de plus en plus de femmes acquièrent l’indépendance financière à travers des activités entrepreneuriales - notamment la culture d’algues.

« La vision que j’ai pour ce groupe est de prouver que la musique peut servir à promouvoir les études, l’esprit d’entreprise et le travail, » déclare Ameyr, membre du groupe Siti & the Band. « À celles qui se retrouvent encore freinées par les traditions et la religion, je souhaite dire que tout ce dont elles ont besoin est de confiance en elles. Ce que nous faisons n’est pas mal. C’est un art que nous pratiquons de façon positive. Nous respectons les traditions et la religion. »

 

 

 

Aisha Bakary est une autre musicienne bravant les coutumes de Zanzibar. La jeune femme de 24 ans, plus connue sous le nom de Hijab DJ, a rassemblé un grand nombre de fans dans le monde de la dance musique et a été nommée Femme de l’année 2019 par l’organisation Women Future pour sa capacité à relever les défis dans une société patriarcale en tant que femme DJ à Zanzibar.

Quand Aisha a commencé à mixer en 2016, beaucoup à Zanzibar ont qualifié son activité de haram, interdite. D’abord sa mère, qui s’opposait à ce qu’elle joue de la musique, ce qui provoquait des tensions à la maison.

« Ma mère n’était pas contente que je joue dans des endroits où il y a de la musique et de l’alcool, dit-elle. J’ai dû faire face à de nombreuses critiques, en particulier de la part des hommes et des milieux religieux qui considéraient la musique comme une activité ignoble pour une musulmane. D’autres insinuaient que je faisais ça pour attirer l’attention. »

Mais cela ne dissuade pas Bakary de poursuivre sa passion. « J’ai toujours été mise à l’écart mais cela ne m’a pas rendue amère, comme vous pouvez le voir. J’aime le monde et les gens. Alhamdulillah, Allah m’a donné un espace, une tribune d’où je peux maintenant éduquer et ouvrir l’esprit des gens. »

Selon elle, les personnes marginalisées peuvent s’exprimer à travers la musique et c’est une forme d’art qui offre aux voix affirmées une chance de stimuler les discussions publiques sur des questions controversées. À travers son art, elle souhaite inspirer les femmes musulmanes de la jeune génération à se mettre à la musique pour exprimer à travers cette dernière leurs expériences vécues. Pour elle, la musique est une forme efficace de résistance pacifique qui peut avoir un impact durable.

« Le chemin du succès est accessible à tous, indépendamment de l’âge, de l’origine ou de la religion, dit-elle. Personne ne devrait avoir peur d’être différent. De nombreuses jeunes femmes souhaitent aller à l’encontre de la tradition et explorer de nouvelles idées, mais elles ont peur du qu’en-dira-t-on. »

Bakary projette également de se lancer dans la production musicale, un autre domaine fortement dominé par les hommes. Selon elle, le postulat selon lequel les hommes sont plus intéressés par les rôles techniques que les femmes est erroné. Son conseil aux jeunes femmes qui l’admirent ? « Continuez à avancer et à vous battre jusqu’à ce que vous gagniez votre place. Les musulmanes, spécialement ici à Zanzibar, doivent suivre leur rêve. La religion ne se fonde pas sur l’apparence d’une personne. Mais sur ce qu’il y a au fond de son cœur. Je ne m’adresse pas forcément aux aspirantes DJ, mais à toutes celles qui veulent faire le métier dont elles rêvent : médecins, pilotes, avocates et bien d’autres encore », affirme-t-elle.

 

 

 

Lucy Ilado

Basée au Kenya, Lucy Ilado est journaliste musique et militante des droits des artistes. Elle est actuellement éditrice de contenus au bureau régional "Afrique de l'Est" chez Music In Africa.

Avant de rejoindre Music In Africa, elle était journaliste musique pour le Nation Newspaper, et contribuait à diverses publications, comme Elephant.info, en tant que réalisatrice de podcasts.

Elle est aussi membre du réseau arterial, un réseau de la société civile à but non lucratif, réunissant des artistes, des organisations et des structures culturelles engagées dans la formulation de politiques publiques, de plaidoyer et de travaux de recherche, en vue de renforcer les secteurs culturels et créatifs en Afrique.

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