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RAPPEUSES KAINF 2020 Y'A QUOI -

RAPPEUSES & KAINF EN 2020 : Y’A QUOI !

En 2020, les rappeuses africaines sont-elles les nouvelles griottes ? Une chose est sûre, le hip-hop africain s’écrit la tête haute et ces dames proposent de nouveaux récits décomplexés, connectés et sans compromis.

 

Rapper pour exister

Grâce aux pionnières qui ont osé s’imposer dès la fin des années 90, telles qu’ALIF au Sénégal ou Zara Moussa au Niger, être rappeuse et africaine ne relève plus du miracle en 2020. Pour autant, personne n’a dit que c’était devenu facile et surtout pas Ami Yerewolo.

Quand j’ai commencé le rap, tout le monde me l’interdisait : ma famille, la société, les autres rappeurs même ! Au Mali comme ailleurs, les femmes devraient seulement se marier, se soumettre… ou être marginalisées si elles refusent d’obéir. Aujourd’hui, j’ai sorti deux albums, rempli le Palais de la Culture de Bamako et je ne dépends de personne : alors y’a quoi ?!”. Sans aucun doute, l’indépendance a bon goût pour Ami Yerewolo qui n’a pas attendu qu’on la prenne au sérieux pour s’émanciper aussi des “hommes pourris” de l’industrie musicale. En créant Denfari Events, celle qui a gagné le trophée de “Femme Battante du Mali” en 2016 s’est offert le moyen de diffuser sa musique, d’organiser librement ses concerts mais aussi de lancer un festival, Le Mali a des Rappeuses, tremplin et réseau solidaire pour sa “communauté de sœurs”.

 

 

L’union fait la force, l’adage a fait ses preuves et les amazones du hip-hop africain en font une arme pour faire leur trou dans le rap game. “Quand tu es une femme dans le hip-hop, il faut que tu arraches le micro car on te le donnera jamais” tranche Moonaya, rappeuse du collectif sénégalais Free Voices, formé à l’occasion des 30 ans du Hip-Hop Galsen - pionnier en Afrique, presqu’aussi vieux que le rap français. “Notre raison d’être ? Montrer que c’est possible” ajoute-t-elle.

 

Rap conscient

Il semble qu’elles soient nombreuses à avoir capté le message : le rap aux combattantes pour clouer le bec aux phallocrates ! Leurs homologues masculins l’ont compris aussi, à l’instar de Yeli Fuzzo au Mali ou d’Awadi au Sénégal, qui les soutiennent ouvertement. “Me parle pas de sexe, parle-moi de talent” lâche la MC ivoirienne Andy S sur sa dernière mixtape Le rap n’a pas de sex.

Dénoncer les inégalités des sociétés patriarcales, les violences faites aux femmes, le sexisme, les ravages du viol et de l’excision… Voici le crédo des plumes du hip-hop féministe qui porte le nom de Keyla K en Guinée, Dama Do Bling au Mozambique, Soultana au Maroc, Muthoni Drummer Queen au Kenya, Myam Mahmoud en Égypte, Asayel Slay en Arabie Saoudite - menacée de prison par les autorités - ou encore Sister Fa au Sénégal. Pour cette dernière, le hip-hop est un “vecteur de sensibilisation puissant, surtout auprès des jeunes et dans les régions reculées car il suffit de presser sur play”. Au Sénégal, le hip-hop a déjà montré sa force en 2012 avec le mouvement Y’en A Marre qui a largement participé  à la chute du président Wade.

Si le hip-hop est par essence un acte de protestation, en Afrique il accompagne de près les luttes, les mutations et les grandes révolutions du continent - quand il ne les provoque pas. Lorsqu’en 2017, Muthoni Drummer Queen publie “Kenyan Message” sur Youtube, se doutait-elle qu’il se propagerait comme l’éclair via le bluetooth et WhatsApp pour réapparaître dans les transports collectifs et devenir l’hymne de grève des médecins kenyans ? À Madagascar, la jeune slameuse Caylah dénonce les stigmates de la colonisation française et la corruption des “Malgaches en costard” dans des textes au vitriol tandis qu’en Algérie, Raja Meziane tire à vue dans “Allô le système”, brûlot contestataire aux 43 millions de vues repris en chœur par tout le pays lorsqu’il descend dans la rue au printemps 2019.

 

 

Fierté

A l’heure où la jeunesse africaine n’a plus honte d’être fière, le rap s’affiche naturellement comme un espace de réflexion et de revendication autour de la question de l’identité.

Dans “Qui”, la rappeuse sénégalaise Moonaya sample le célèbre discours de Malcolm X - “qui vous a appris à vous détester ?” - pour une ode à la beauté du corps noir quand au Mali, Ami Yerewolo rappe en bambara sur des prods qui mêlent beats urbains et instruments traditionnels car “ce n’est pas en imitant les Américains ou les Français que je vais m’imposer : je suis Malienne et fière de l’être.” À son rythme, le rap africain témoigne aussi de la nécessité de produire un nouveau discours sur le genre et la sexualité. Et si ces messieurs sont encore à la traîne, la radicalité de rappeuses telles que l’ex-drag-king Dope Saint Jude a contribué à l’émergence d’une scène queer en Afrique du Sud notamment, suivie par Nyota Parker, Nazlee Saif Arbee, l’artiste transgenre Umlilo ou le duo FAKA.

 

 

Enfin, avec la démocratisation du web et des nouvelles technologies sur le continent, impossible de ne pas voir que le hip-hop africain mute et vite : logiciels crackés en wifi et apprentissage DIY, expérimentations digitales ou noces électroniques chez Sho Madjozi par exemple, qui marie son rap xitsonga à la fureur des beats gqom. Et il voit loin ! En témoignent les affiches de tous les grands festivals, en Afrique et au-delà. Bien sûr de nombreuses artistes rêvent de s’exporter, notamment à cause du manque de structures dédiées en Afrique, mais d’autres font le chemin inverse à l’image de Sampa The Great, rappeuse zambienne basée en Australie qui célèbre ses racines sur The Return ou de Lous and The Yakuzas qui, depuis sa Belgique adoptive, nourrit l’espoir de pouvoir rentrer au Congo pour y construire des hôpitaux.

 

 

Vecteur d’émancipation, de solidarité, d’empowerment et de créativité, le hip-hop africain a décidément tout pour lui lorsqu’il s’écrit au féminin !

 

Jeanne Lacaille

Jeanne Lacaille

 

Après une Hypokhâgne/Khâgne, des études de Médiation Culturelle à la Sorbonne et de nombreux voyages - sur le continent africain notamment, Jeanne Lacaille s’oriente définitivement vers ses passions, la musique et la radio en premier lieu. Journaliste et productrice au sein de Radio Grenouille à Marseille, elle intègre ensuite Radio Nova dès janvier 2018 en tant qu’assistante de Bintou Simporé pour l’émission Néo Géo, puis reporter et chroniqueuse, avant de devenir présentatrice des Nuits Zébrées. En parallèle, elle participe à la réalisation de créations sonores hybrides avec le Soundwalk Collective et de documentaires musicaux tels que Les Routes de Lindigo (à paraître sur Canal +). Depuis juin 2019, Jeanne Lacaille contribue activement à la production éditoriale du magazine Pan African Music avec de nombreux reportages, enquêtes ou entretiens qui l’emmènent de l’Ouganda à l’Afrique du Sud, de la Réunion à … à suivre !

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