#AuxSons est un webmedia collaboratif, militant et solidaire
-

Quel rôle pour les musiques actuelles du monde face aux défis environnementaux ?

En novembre dernier, l’organisation londonienne Julie’s Bicycle, pionnière du mouvement artistique mondial face au changement climatique, recevait le prix d’excellence professionnelle lors du WOMEX 2019, le salon international des musiques du monde. L’année 2019 aura été marquée par l’attention portée à la question environnementale au sein de l’industrie de la musique : Outre-Manche le mouvement Music Declares Emergency, qui compte à ce jour plus de 3000 artistes, organisations et individuels signataires, déclarait l’urgence écologique et environnementale, réclamant un changement systémique ; Glastonbury et We Love Green faisaient les gros titres en annonçant l’interdiction des bouteilles en plastique à usage unique, alors que Coldplay et Massive Attack mettaient enfin sous les feux des projecteurs – LED – la question de l’impact environnemental des tournées.

Le rapport du GIEC d’août 2018 avertissait qu’à l’époque, nous n’avions que 12 ans pour empêcher de dépasser les 1,5 °C de réchauffement planétaire, point au-delà duquel le risque d’inondations, de sécheresses, de chaleur extrême - et la pauvreté en découlant - augmenterait. Si personne ne peut maintenant nier cette réalité, le secteur de la musique y compris, les artistes et professionnels de nombreuses régions du monde n’ont cependant pas attendu ce réveil pour initier et échanger des idées pour repenser les réponses aux changements environnementaux, rassembler les communautés et régénérer les pratiques musicales.

Un récent numéro du Journal of Ethnobiology célèbre les chants et les musiques autochtones en tant que sources et transmissions de connaissances écologiques traditionnelles, soulignant l’importance de préserver ces langues et traditions ancestrales. La musique est également un moyen de mettre en lumière leurs luttes environnementales, amenant la réflexion sociale et l’action en faveur de la justice climatique.

 

En 2015, Björk appelle à une action mondiale pour empêcher la destruction des hauts plateaux islandais :

 

 

Si beaucoup de professionnels de la musique ont le souhait de s’investir, il est parfois compliqué de savoir par où commencer, de trouver les bonnes méthodes et les bonnes voies pour parvenir à un changement réel. Dans une réalité où de moins en moins de musiciens peuvent compter sur la vente d’albums comme source de revenu, l’accent est mis sur les tournées et la vente de merchandising. Comment alors concilier une démarche éco-consciente avec une pratique qui implique de prendre souvent l’avion ? En particulier dans des contextes géographiques où les alternatives n’existent pas, et où l’accès aux scènes occidentales est vital pour de nombreux artistes des régions du monde où les impacts les plus extrêmes du changement climatique sont ressentis. A cela s’ajoutent les problématiques de visas, de taxations ou encore de clauses d’exclusivité imposées par certains lieux de musique et festivals, autant d’obstacles à des tournées moins émettrices de carbone.

 

Le projet musical The Nile Project, né en 2013 à Aswan (Egypte), offre un exemple innovant de dialogue interculturel et d’action environnementale :

 

 

Les récentes annulations de festivals comme Lost Paradise ou A Day on the Green en Australie interrogent sur ce que sera l’avenir des festivals d’été face à la menace d’événements climatiques extrêmes de plus en plus nombreux. Il n’est plus question alors de réduire ses émissions, mais de s’adapter à une réalité. Fers de lance de l’engagement environnemental de l’industrie de la musique, les festivals sont des laboratoires d’expérimentation et de prise de risque, pouvant nous offrir la vision d’un monde plus soutenable et proposer des solutions susceptibles d’être reprises dans notre quotidien.

 

Le rappeur brésilien Edgar, que l’on a pu voir aux Escales ou aux Trans, se définit comme un « artiviste » et fabrique ses costumes à partir d’objets de récupération :

 

 

Un autre grand défi global des années à venir sera celui de l’impact du streaming. Si l’avènement du numérique a favorisé la circulation des musiques, l’élargissement des publics et leurs porosités, son coût environnemental est souvent méconnu. Dans son récent ouvrage Decomposed. The Political Ecology of Music, Kyle Devine, co-auteur de l’étude universitaire The Cost of Music, démontre que si la production globale de plastique dans l’industrie du disque a diminué, la transition vers le streaming des musiques enregistrées a entraîné des émissions de carbone nettement plus élevées qu’à tout autre moment de l’histoire de la musique. Il ajoute « Le nombre de personnes qui diffusent et téléchargent augmente à un rythme tel que cela pourrait éclipser tous progrès dans l’efficacité du système. […] Si nous prenons en compte les endroits où le streaming est énorme – en Chine, en Afrique ou en Inde – et où les exigences sont moins strictes en matière de production d’énergie pour internet, alors je n’ai pas les chiffres, mais mon sentiment est que le tableau est encore plus sombre. »

 

En 2019, Fulu Miziki se produisait pour la première fois hors du Congo au Nyege Nyege Festival ; le groupe développe le son des objets jetés, construisant un récit futuriste inspirant l’éco-conscience et la résilience :

 

 

Les musiques ont cette force qu’elles dépassent les frontières et rapprochent les gens. Elles incarnent cette notion que nous sommes tous dans le même bateau et qu’il s’agit d’un problème mondial à multiples facettes. Au-delà d’un catalogue de bonnes pratiques devant être mises en œuvre, il est nécessaire de raconter un autre récit face aux défis environnementaux ; comme le propose le philosophe Malcolm Ferdinand, auteur d’Une écologie décoloniale. Penser l’écologie décoloniale à partir du monde caribéen, il faut faire du monde l’objet de l’écologie : « parler d’urgence climatique, c’est très bien mais il est important de comprendre que ce n’est pas suffisant pour y répondre. Plutôt que d’avoir une approche uniquement environnementaliste, l’objectif est aussi politique, social et imaginaire. » C’est certainement à cet endroit que nous, acteurs des musiques actuelles du monde, pouvons ajouter notre pierre à l’édifice.

 

Gwen Sharp

 

© Constanze Flamme

 

Gwendolenn Sharp est la fondatrice de The Green Room, une organisation œuvrant pour le changement environnemental et societal dans l'industrie de la musique. Elle a travaillé avec des institutions culturelles, des festivals et des ONG environnementales en Pologne, France, Allemagne et Tunisie et possède une expérience diversifiée dans la production de concerts, la gestion de tournées, la conception de projets, la coopération internationale et le développement d'outils et de stratégies. Depuis 2016, elle co-crée des solutions avec des musicien-ne-s et technicien-ne-s associés vers des tournées bas-carbone et réalise des évaluations, des actions de sensibilisation et des formations opérationnelles sur les pratiques artistiques et les enjeux environnementaux. Elle est membre du conseil d'administration du Réseau Eco-Evénements (REEVE) et évaluatrice pour A Greener Festival (UK).

Veuillez choisir comment vous souhaitez avoir des nouvelles du webmédia #AuxSons par Zone Franche:
Vous pouvez à tout moment utiliser le lien de désabonnement intégré dans la newsletter.
En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.